Archivée - Étude sur les indiens contemporains du Canada : Besoins et mesures d'ordre économique, politique et éducatif – deuxième partie (Le rapport Hawthorn, octobre 1967) page 1 sur 2

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Étude sur les indiens contemporains du Canada : Besoins et mesures d'ordre économique, politique et éducatif – deuxième partie
auteur : (Direction des affaires indiennes)
date : (octobre 1967)
PDF format (1 011 Ko, 245 pages)

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Table des matières

Éditeur: H.B. Hawthorn

Principaux auteurs
du Volume I:H.A.C. Cairns
S.M. Jamieson
K. Lysyk

Principaux auteurs
du Volume II:M.A. Tremblay
F.G. ValIee
J. Ryan

Personnel d'administration de la recherche

H.B. Hawthorn, directeur
M.A. Tremblay, directeur associé
A.M. Bownick, secrétaire et adjoint à l'administration

® Droits de la Couronne réservés En vente chez l Imprimeur de la Reine à Ottawa, et dans les librairies du Gouvernement fédéral dont voici les adresses:

HALIFAX 1735,
rue Barrington

MONTRÉAL
Édifice Æterna-Vie, 1182 ouest, rue Ste-Catherine

OTTAWA
Édifice Daly, angle Mackenzie et Rideau

TORONTO
221, rue Yonge

WINNIPEG
Édifice Mall Center, 499, avenue Portage

VANCOUVER
657, rue Granville

ou chez votre libraire.
Prix: 4.00N' de cat.: R32-1267/2F

Prix sujet à changement sans avis préalable

L'Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1969

Personnel d'administration de la recherche

H.B. Hawthorn,
directeur
M.-A. Tremblay,
directeur associé
A.M. Bownick,
secrétaire et adjoint à l'administration

M.J. Audain
B. Bernier
M. Burbidge
P. Charest
S.W. Corrigan
D.M. Coutts
G.B. Inglis
R.H. Jackson
J.E.M. Kew
L. Laforest
D. Luth
M.J. Lythgoe
R.F. McDonnell
J.E. Nicholls
G. Parsons
E. Schwimmer
 

A l'honorable Arthur Laing, C.P.

Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien
400 ouest, avenue Laurier
Ottawa (4), Ontario.

En 1964, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration demandait à l'Université de la Colombie-Britannique d'entreprendre, conjointement avec d'autres universitaires, une étude de la situation des Indiens du Canada sous ses aspects social, scolaire et économique, et de soumettre les recommandations jugées appropriées et avantageuses. Nous avons l'honneur de soumettre la 2e Partie de nos conclusions, qui se rapportent surtout aux questions d'éducation et d'organisation interne des réserves.

M.A. Tremblay
directeur associé
H.B. Hawthorn
directeur
 

Endroits visités par les membres du personnel-projet de recherche sur les indiens-travaux sur place et autres travaux de recherche

Nom
Sujet principal et région
Période
Dr M.-A. Tremblay
Éducation
Documentation et entrevues tenues à Ottawa et dans divers centres.
Réserves : Maria, Restigouche,
La Romaine, Mingan, Natashquan, Sept-îles (ancienne r), Maliotenam,
Bersimis, Pointe Bleue,
Mistassini, Weytonmachie, (Sanmaur), Rupert House, Six
Nations, Fort Alexander, Beardy's.
Agences: Québec, Ottawa, Toronto, Winnipeg, Saskatoon,
Edmonton
1à 3 jours
à chaque endroit
Adjoints :
M. B. Bernier
M. L. Laforest
M. F. Charest

Statistique
Statistique
Idéologie
 
 
Mlle J. Ryan
Éducation
Réserves: Cowichan no 1 et no 2,
Comox, Inkameep, West Saanich,
Sooke, Six Nations, Caradoc
(Oneida, Muncey, Chipeweyan),
Oak River, The Pas, Roseau
River, Duck Lake, James Smith,
Sweetgrass, Red Pheasant,
Mosquito Stoney, Poundmaker,
Little Pine.
Agences : Ottawa, Toronto,
London, Winnipeg, Portage La
Prairie, The Pas, Saskatoon,
Duck Lake, N. Battleford,
Edmonton, Vancouver, Nanaimo,
Duncan, Vernon
1 jr à
6 sem. à
chaque endroit
Mme M.J. Lythgoe
M. M. Burbidge
Éducation
Réserves: Musqueam, Squamish, Dollarton.
Entrevues à l'Inst. Professionnel de
Vancouver, Inst. technique de
Burnaby, U. de C.-B. et à diverses
écoles secondaires de Vancouver
et Vancouver-Nord.
3 mois
Dr H.A.C. Cairns
Adjoints :
M. M.J. Audain
M. R.H. Jackson
M. J.E. Nicholls
Politique
et adminis-tration Bien-être
Adm
Adm
Documentation et entrevues à Ottawa et dans divers centres.
4 mois
8-1/2 mois
4 mois
Professeur K. Lysyk
Questions constitution- nelles et juridiques
Documentation et entrevues à Ottawa et dans divers centres.
Dr S.M. Jamieson
Études économiques
Documentation et entrevues à Ottawa et dans divers centres.
 
Adjoint:
Mlle D.M. Coutts
Désorganisa-tion sociale
Réserves: Squamish,
Musqueam, Sarcee
3 mois
Dr F.G. Valée
Organisation des bandes
 
M. G.B. Inglis
Organisation sociale
Réserves: Chilliwack, Port
Simpson, Saddle Lake,
Nipissing
De 2 à 10 sem. à chaque endroit
M. D. Luth
Organisation sociale
Reserve: Walpole Is.
9 sem.
M. R.F. McDonnell
Organisation sociale
Réserves: Kamloops, Masset,
Goodfish Lake, Dokis
2 à 3 sem.
M. G. Parsons
Organisation sociale
Réserves: Manitoulin,
Fort Alexander
12 sem.
M. E. Schwimmer
Organisation sociale
Réserves: Mount Currie,
Blood, The Pas
2 à 3 sem. chaque endroit
Dr T.F.S. McFeat
Organisation des bandes
Réserves: Christian Is.,
Parry Island, Travaux surtout exécutés auprès des Tobiques Malécites du Nouveau Brunswick
2 étés
M. J.E.M. Kew
Organisation sociale
Réserves: Christian Is.,
Walpole Is., Georgia Is.,
Scugog, Rama, Curve Lake,
Hiawatha (Rice Lake),
Alderville, Saugeen
de 1 jr à 1 sem. chaque endroit
M. B. Bernier
Social
Organization
Réserves: Comox, Cowichan
2 mois à chaque endroit
M. S.W. Corrigan
Organisation sociale
Reserve: Oak River
5 mois
Mme P. Koezur
Éducation
Bands: Mattagami, Michipicoten,
Amalgamated Rainy River,
Couchiching, Lac La Croix, Seine
River, Stangecoming, Golden Lake,
Albany, Attawapiskat, Moose
Factory, Moosonee, Winisk.
de I à 28 jrs à chaque endroit
 
 
Rat Portage, Shoal Lake #93 and
#40, Wabigoon, Whitefish Bay,
île Manitoulin, Sheguiandah,
Sucker Creek, West Bay,
Whitefish River.
 
 
 
Fort Hope, Long Lac #58 and #77,
Nipigon, Dokis, Matachewan,
Nipissing, Temagami, Whitefish
Lake, Parry Sound.
 
 
 
Fort William, Gull Bay, Red Rock,
Mississauguas of Curve Lake,
Batchewana (Rankin), Garden
River, rivière Serpent, bandes no 1 et no 2 de Spanish River..
 
 
 
Lac Caribou (lac Rond), lac Seul, Asnaburg (New Osnaburg, Lac Chat), Lac de la Truite, Six- Nations, Saint-Régis, les Mohawks de la baie de Quinte, bandes fusionnées de Walpole Island.
 
Dr B.S. Lane
Éducation
Saanich
45 jours
M. S.W. Munroe
Organisation sociale
Bande d'Assiniboines à Morley
En cours
Drs. E.W. &
M. McL. Ames
Socialisation
Ecoliers iroquois
 
Mlle P. Atwell
Départs des réserves
Indiens résidant à Calgary
En cours
Mlle N. Bossen
Economic
Development
Ontario
3 mois
Dr H. Dimock
Développe-ment économique
Chibougamau-Mistassini
 
Prof. K. Duncan
assisté de D. Korn and
P. McIntyre
Formation professionnelle
Indiens Oneidas, Chippewas et Delaware
M. L.R. Gue
Éducation
Nord de l'Alberta
En cours
M. and Mme W.R.
Ridington
Organisation sociale
Rivière Prophète
1 an
Mme R.L.B.
Robinson
Socialisation et soin des enfants
Le-Pas
2 mois
Mlle J. Smith assistée de
M. R. Malpass
Facteurs socio-écono-miques
Micmac
En cours
Dr T.F. Storm et ses adjoints
Recherche des motivations
Colombie-Britannique
En cours
 

Experts-conseils

M. A. McCallum
Dr C.S. Belshaw
Dr R.M. Will
Dr D.V. Smiley
Dr E.R. Black
Dr E.S. Rogers
Dr P. Carstens
Dr R.W. Dunning
Dr EW. Ames
Dr M. McL. Ames
Dr P. Termansen
Dr T.F. Storm
M. W. Duff
Dr T.F.S. McFeat

Chapitre I  Introduction et recommandations

1. Instructions et amélioration

Le chapitre 1er du premier volume du Rapport décrit les travaux de recherche entrepris et énumére leurs mobiles et leurs objectifs. Il peut, à ce point de vue, servir d'introduction au présent volume. A peu prés tout ce qui a été dit au premier volume sur les questions d'emploi,eux-mêmes. de revenu, de ressources, de perspectives et de possibilités économiques, de l'administration la bonne compréhension des chapitres qui suivent, bien que ces derniers soient complets par soient complets par eux-mêmes.

Cette deuxième partie de l'étude traite de deux groupes de questions, soit l'établissement et la suffisance des moyens d'éducation destinés aux Indiens, jeunes ou adultes, puis le leadership, l'organisation et la direction des réserves.

Ces questions se compénètrent de plusieurs façons. Le Rapport pose, comme première hypothèse, que les Indiens doivent, de toute nécessité, être en mesure de faire un choix judicieux, et qu'il faut y veiller sans attendre que la confiance augmente ou que la situation s'améliore, car il importe d'agir dès maintenant et d'élargir graduellement la portée de nos efforts. Cependant, parmi les nombreuses solutions qui pourraient s'offrir aux Indiens, solutions qui iront en se multipliant, plusieurs n'intéressent que ceux qui sont déjà capables d'en profiter. Par conséquent, les jeunes Indiens, ainsi que les adultes disposés à suivre des cours, doivent trouver des écoles prêtes à les recevoir et des programmes qui s'adressent véritablement à eux.

Pour certains Indiens, qui sont déjà la majorité et dont le nombre ne peut qu'augmenter, l'une de ces solutions consiste à vivre dans la réserve, tout en travaillant à l'extérieur. La réserve, c'est le lieu de naissance, de la famille, des amis, l'endroit où l'on partage avec les autres la langue et la plupart des autres valeurs. Dans la mesure où un pays moderne permet l'organisation d'une réserve, il est évident que ceux à qui appartient la réserve entendent en diriger les affaires. Une partie de cette direction est présentement dévolue au Conseil de bande, mais il y aurait lieu de faire appel à d'autres rouages administratifs, dont certaines particularités ont été décrites à la Partie I du Rapport ou le seront dans les chapitres subséquents du présent volume.

Les exigences en matière d'éducation et les conséquences qui en découlent sont étroitement reliées aux besoins d'emplois plus rémunérateurs, d'une meilleure hygiène, de moyens de subsistance améliorés, de capitaux d'exploitation suffisants et d'une participation plus intense à la vie gouvernementale et politique du pays. Dans plusieurs de ces domaines, il est évident et normal que la réalisation des objectifs repose sur un certain degré d'instruction. Mais si l'instruction n'est pas accompagnée ou même précédée d'une certaine amélioration des réalisations de l'âge adulte, elle risque d'être inefficace, comme nous le démontrons aux chapitres IV et V. C'est dire que le fait de présenter l'école aux enfants comme un moyen de s'instruire pour devenir quelqu'un et en profiter par la suite, est un argument qui se détruit partiellement de lui-même, du moins dans le cas présent. Les Indiens doivent dès maintenant, assumer des responsabilités accrues et prendre la place qui leur revient dans la société canadienne, de façon que l'instruction ait une signification pour leurs enfants. L'instruction donnée à l'enfant, à l'école, doit lui apprendre que l'indien peut être autre chose qu'un bûcheron, un trappeur, un pêcheur ou un cultivateur à la petite semaine. Il ne faut pas mettre la charrue devant les boeufs: les deux doivent marcher ensemble.

A la Partie I de notre Rapport, nous avons analysé un certain nombre de problèmes économiques, juridiques, administratifs et politiques. Le présent volume porte sur l'éducation et son degré d'adaptation, ainsi que sur la direction et l'organisation de la vie dans les réserves. Nous nous rendons compte que ces questions trouvent leur définition dans un cadre beaucoup plus vaste, qui est celui de la culture et de la collectivité; nous devrons néanmoins, dans les chapitres qui vont suivre, faire abstraction de ce cadre pour les fins de l'étude.

Au cours des dix dernières années, on a fait un effort particulier en vue de trouver de l'emploi aux Indiens, de fournir assistance et appui aux initiatives indiennes à caractère économique. En même temps, la révision de la Loi sur les Indiens et l'intensification des programmes de la Direction des affaires indiennes ont tracé la voie aux Indiens, pour qu'ils participent davantage à la direction de leurs propres affaires. Depuis les premières tentatives d'intégration scolaire, il y a une vingtaine d'années, les efforts ont redoublé en vue de faire inscrire tous les enfants à l'école, de les y maintenir plus longtemps et de leur fournir tous les avantages scolaires dont jouissent les autres enfants canadiens. La hausse du niveau professionnel au sein des services éducatifs, l'augmentation du nombre d'enfants fréquentant l'école et la prolongation de la fréquentation scolaire ont certainement donné des résultats. Les finissants du cours secondaire sont de plus en plus nombreux; on note même une augmentation, minime encore mais significative, du nombre d'étudiants qui entreprennent des études avancées. Toutefois, le nombre d'institutions secondaires et post-secondaires n'est pas encore suffisant pour réaliser l'égalité de l'instruction avec le reste du pays. On pourrait dire qu'au cours des dernières décennies, la plupart des problèmes des Indiens ont même devancé les solutions que l'instruction aurait pu apporter. A coup sûr, il faut plus d'instruction, mais il y a lieu de se demander si elle doit comporter les mêmes éléments ou des éléments différents.

L'accession des jeunes Indiens à l'éducation pose, de nos jours, de nombreux problèmes. Pour certains d'entre eux, l'école est quelque chose de déplaisant, d'effrayant et de pénible. Dans ces cas et dans quelques autres, il s'agit plutôt de mésadaptés. Ils ont peu de raisons d'aimer l'école, de s'y intéresser de quelque façon, en classe ou à l'extérieur, parce qu'elle ne débouche pas sur les emplois qu'on en attend. D'après des études préliminaires, leur intérêt à l'égard de l'école s'émousse à mesure que leur séjour se prolonge. Ils n'arrivent pas à donner le rendement dont ils seraient capables. Peu à peu ils abandonnent et ils en arrivent à se considérer comme des ratés. Leur présence à l'école n'est pas justifiée par des résultats; bien plus, ils s'y trouvent malheureux. On rencontre ce comportement chez quelques enfants blancs, mais il semble que ce soit monnaie courante chez bon nombre, sinon chez la plupart des jeunes Indiens.

Nous avons essayé, au début de cette étude, d'apprécier aussi exactement que possible la place qu'occupe l'école dans la vie du jeune Indien, ainsi que les dispositions des systèmes d'enseignements fédéraux, provinciaux et autres.

L'enfant indien admis à l'école vit une expérience qui représente une rupture avec son mode d'existence. Pour lui, la vie avait un sens; en arrivant à l'école, il possède déjà tout un bagage de connaissances. Son caractère a déjà subi une certaine orientation. Cette orientation n'est pas nécessairement la même pour tous les enfants indiens de toutes les tribus et de tous les groupes; néanmoins, chez un très grand nombre de jeunes Indiens, il existe des similitudes d'orientation et de connaissances qui ne correspondent pas à ce que l'école attend et exige. L'élève idéal que l'école attend, c'est le petit Canadien issu des classes moyennes de la société. Ce n'est ni notre but ni notre intention de comparer ici les valeurs du jeune Indien et celles du jeune Canadien de classe moyenne, et de dire qui l'emporte. Chacun a sans doute ses aptitudes propres et sait s'adapter à différentes situations. Mais étant donné que le petit Indien manque souvent d'un porte-parole et comme notre Rapport renferme des commentaires défavorables sur les aspects de sa vie qu'il croit lui être préjudiciables, nous ferons remarquer ici que les qualités d'indépendance, d'autosuffisance et de non-combativité qu'il apporte à l'école, ne sont pas des qualités négligeables: dans certains grands pays du monde, ce serait des atouts. Toutefois, dans une école du Canada contemporain, ces qualités s'adaptent moins bien; aussi l'enfant qui est privé des connaissances élémentaires que possède le jeune Blanc ordinaire, se sent-il perdu.

L'intégration des enfants indiens au régime scolaire provincial, sur laquelle on avait fondé des espoirs, n'a pas réglé la question. Elle fournit à l'enfant indien un enseignement identique, mais les programmes existants ne tiennent pas compte du fait que ses besoins sont différents de ceux de la plupart des enfants non-indiens. La thèse énoncée dans le premier volume de notre Rapport, selon laquelle les Indiens doivent être traités comme des citoyens privilégiés en raison de leurs besoins et de leur droit à un tel régime, s'applique encore bien davantage à l'enfant. A cet égard, il lui faut plus que l'égalité ou la similitude d'instruction. En un certain sens, il lui faut plus d'instruction différente. Ceci ne signifie nullement qu'il lui faille un régime à part. Il semble que les régimes scolaires provinciaux pourraient répondre à ses besoins particuliers et qu'il y aurait grand avantage à l'intégrer au régime scolaire des autres petits Canadiens. Il semble possible de faire aimer l'école au petit Indien déprimé et malheureux. On pourrait atteindre ce but de diverses façons en faisant entrer en ligne de compte les parents, le foyer, les instituteurs, l'agencement des cours, les autres élèves et leurs parents, les programmes d'études et les dispositions administratives.

2. L'instruction: besoin nouveau

On pourrait définir simplement et partiellement l'instruction comme un moyen collectif de socialisation. L'enfant a ainsi l'occasion d'apprendre, sous surveillance, les rudiments du rôle qu'il sera appelé à jouer plus tard, y compris celui de travailleur. Une définition aussi simple ne s'accommode pas de toutes les fins, étant donné que l'écolier ne fait pas que préparer son avenir: il vit dans son monde propre et il a droit à une instruction qui lui plaise, qui l'intéresse. L'instruction devrait donc être intégrée aux valeurs et à l'ensemble de la culture. Il est évident que ni l'école provinciale contemporaine ni les écoles particulièrement destinées aux enfants indiens n'intègrent suffisamment les valeurs et les autres aspects de la culture du jeune Indien. A son entrée à l'école, le petit Indien ne partage pas implicitement avec l'instituteur autant de valeurs et d'espoirs que ne le fait le petit Blanc de classe moyenne. Le jeune Indien ne sait pas ce que l'instituteur attend de lui; cette ignorance peut passer inaperçue aux yeux de ce dernier, qui n'en saisit pas la raison. Vu les nombreuses barrières de langue, d'âge, de préoccupation et de timidité qui le sépare des autres, l'élève qui arrive à l'école et l'instituteur affairé ne peuvent engager un dialogue qui permettrait de relever leurs différences de point de vue. Il ne fait pas de doute que les deux en souffrent, l'enfant y voyant un défi à son identité. Il se découvre différent de celui que les autres attendaient. Il n'arrive pas à se définir exactement, mais il sent nettement qu'il ne répond pas aux espérances qu'on se faisait à son sujet.

La question serait peut-être moins grave si la réserve et le milieu familial ne traversaient pas simultanément une crise d'identité. Le progrès a entraîné dans son sillage le milieu familial et la réserve. Le commerce, les gouvernements, l'industrie et la colonisation ont touché chaque réserve, sans que l'indien n'ait eu le sentiment d'avoir pris part à l'évolution. Les changements ont peut-être eu pour lui plusieurs avantages, mais là n'est pas la question immédiate. Ce sont des peuples et des institutions d'inspiration différente qui ont donné la note. C'est devenu une chose douteuse que d'être un Indien. L'enfant qui arrive à l'école découvre cela pour la première fois et rien n'est fait pour lui enlever son doute.

Sous certains rapports, la situation de cet enfant ressemble à celle d'autres enfants de groupes minoritaires, sauf que les parents de ces derniers ont probablement insisté sur le fait que leurs valeurs propres reposaient sur un passé historique glorieux, consigné et reconnu, et que leurs enfants comprendront bientôt les raisons qui expliquent leur manière de parler, d'agir et de voir les choses. Néanmoins, lorsque le foyer et l'école ne parlent pas le même langage, la communication demeure fortement entravée. Dans toutes les provinces, les régimes scolaires tiennent compte des obstacles que représentent les différences de langue; dans la plupart des cas, on élabore des programmes spéciaux pour remédier à ce problème de langue. Il semblerait donc possible, comme premier pas à faire, d'étendre ou de modifier certains programmes existants, en vue de faciliter les rapports entre l'instituteur et son élève indien.

Ce genre d'obstacles a des répercussions encore plus grandes: il éloigne les parents de l'école, l'Indien des parents des Blancs, et les autres élèves de l'élève indien. Nous nous sommes intéressés à la désaffection des parents pour l'école, désaffection qui rend l'institution encore plus étrangère pour l'enfant. Nous nous sommes aussi intéressés aux chances de vaincre partiellement cette désaffection par des consultations plus suivies avec les parents, notamment lorsqu'il s'agit d'envoyer leurs enfants aux écoles de la province.

Le comportement des Blancs, parents et enfants influe peut-être autant que celui du professeur sur l'aptitude scolaire du jeune Indien. Face à des attitudes négatives, l'enfant est accablé. Ces cas extrêmes se font rares, mais il arrive encore de trouver certains autres enfants et leurs parents qui rejettent ou détestent un enfant indien, peu importe son caractère et ses qualités, pour la seule raison qu'il est Indien. Si le rejet total est profondément destructeur, le rejet partiel l'est dans une certaine mesure. Où un changement peut-il commencer à se produire? D'après certaines de nos observations, les directeurs d'école et les instituteurs peuvent jouer un rôle important; il leur incombe, du reste, d'essayer de jouer ce rôle. Ils peuvent compter maintenant sur les grands courants de pensée: même le groupe de Blancs le plus irréductiblement hostile ne pourrait s'empêcher d'être confronté avec les grands courants de la civilisation moderne, par la radio, la télévision et les publications.

3. Responsabilité de l'éducation des Indiens

On est généralement d'accord sur les problémes que rencontrent certains enfants indiens à l'école. N'y trouvant pas avantage, ils en arrivent à se sous-estimer et à fournir moins d'effort. Ils ont perdu le sens de leur identité, de sorte qu'ils ne savent plus comment se comporter. L'ambiance de l'école ne représente pas pour eux quelque chose d'heureux ou d'utile: dés qu'ils le peuvent, ils s'en évadent psychologiquement ou ils s'en retirent.

Certains directeurs et bon nombre d'instituteurs ont essayé de trouver des solutions à ces problémes. Ils poursuivent leurs efforts, soit à l'occasion d'expériences voulues ou en raison de la situation particuliére d'une école ou d'un groupe donné. On essaie de changer les attitudes et les points de vue des groupes communautaires et des instituteurs, de modifier les programmes d'études, de perfectionner le programme de formation des maîtres, de modifier certains aspects du fonctionnement des cours, de créer des maternelles spéciales, des jardins d'enfants et des cours de rattrapage. Dans les chapitres qui vont suivre, nous apporterons certains commentaires au sujet de quelques-uns de ces programmes.

Les programmes visant à fournir plus d'avantages à l'enfant ne seront réalisés avec succés que si l'autorité compétente dispose d'un personnel qualifié et de ressources financiéres suffisantes et si elle a la conviction de mettre à l'essai le meilleur programme qui soit. Dans les chapitres suivants nous mentionnons briévement les différentes autorités qui se sont intéressées au jeune Indien. Diverses Églises chrétiennes ont été les premiéres à ouvrir et diriger des écoles pour les Indiens. L'appui que leur accorde présentement le gouvernement est une marque d'appréciation de leur initiative. Le gouvernement fédéral, par les différentes agences qui ont précédé la Direction des affaires indiennes, a ouvert d'autres écoles et les a exploitées directement. Il en a été de même pour les provinces qui, au cours des deux derniéres décennies, ont assumé certaines responsabilités. Il en est résulté l'établissement d'externats et de pensionnats isolés, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des réserves, et l'adoption de certaines dispositions en vue de l'intégration des éléves indiens aux écoles des provinces.

Chacune de ces administrations a tenu à garder sa propre philosophie et son propre régime d'enseignement, de sorte que l'on trouve parmi les provinces, comme parmi les Églises qui dirigent des écoles indiennes, diverses conceptions au sujet de l'éducation de l'enfant et des méthodes à suivre à cette fin. Dans certains cas, il s'agit non pas de simples variantes, mais d'oppositions réelles des points de vue. Aux chapitres II et V, nous étudions certaines de ces oppositions et nous donnons un exemple de quelques principes d'intégration qui peuvent servir de guide pour l'éducation du jeune Indien. Certains des principes qui nous ont servi à formuler nos recommandations, s'inspirent d'assez prés des principes énoncés récemment dans le Rapport de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec (1964). D'autres principes sont énoncés ici et là dans les chapitres III et IV.

4. Leadership, organisation et prise des décisions dans les réserves

Jusqu'à quel point les communautés indiennes ne dépendent-elles que d'elles-mêmes? A la Partie I de notre Rapport, nous avons étudié le probléme sous l'angle du revenu et de l'emploi, et en fonction des attributions et de l'autorité conférées aux municipalités. Il s'agit ensuite d'étudier les moyens que prennent les collectivités pour organiser l'activité qui transcende les frontiéres domestiques et qui touchent les gens dans leur qualité de membres des bandes et de résidents d'une agglomération.

Les Conseils de bandes et certains organismes bénévoles à buts définis fixent et canalisent les efforts à l'intérieur d'une réserve, étudient les résultats, prennent des décisions et mettent à exécution les mesures qui en découlent. Les données que renferment les chapitres VI à IX proviennent de travaux de recherches portant sur ces conseils et organismes, sur leur fonctionnement, leur mode de recrutement et de formation. Comme les organismes bénévoles se multiplient sans cesse et prennent de l'importance aux yeux des Indiens, nous nous étions proposé d'examiner cette tendance dans l'organisation et l'évolution des collectivités.

Nous avons aussi tenu compte d'autres groupes comme les familles, les lignées et les réseaux de clans, dont les activités ne sont pas aussi apparentes et dont les buts ne sont ni aussi explicites ni aussi évidents, sauf lorsqu'ils semblent se rattacher à des structures mieux organisées sur le plan juridique. II existe plusieurs raisons de ne pas attacher d'importance à ces groupes. La présente étude à un but pratique, car elle vise notamment à suggérer des moyens de travailler avec les groupements indiens, en vue d'améliorer le sort des Indiens. Pour assurer une telle coopération, il faut être en mesure de prévoir le fonctionnement des groupes. Mais lorsqu'il s'agit de familles, de réseaux de clans, il est presque impossible de formuler des régles générales, à plus forte raison de les mettre en application. La coopération à la direction des affaires communautaires constituera, dans ce cas, une partie de l'art de gouverner, car on en n'est pas encore arrivé au stade de l'organisation scientifique.

L'importance de l'organisation juridique vient aussi de ce que, sans elle, il ne saurait y avoir de puissance sociale. A la suite de Robert Bierstedt, nous disons d'un groupe qu'il a une puissance sociale, s'il a les moyens et l'occasion de faire entendre sa voix et d'obtenir ce qu'il désire, pour autant qu'il posséde le nombre, qu'il a réalisé un mode optimal d'organisation et qu'il dispose de ressources importantes. Les ressources à utiliser varient suivant la situation des diverses sociétés. Ce peut être l'argent, le savoir-faire, l'information, les connaissances ou les biens. Il n'existe pas de société où toutes ces ressources sont réparties à la volée, où tous les habitants ont également accés à toutes les ressources. Dans la société canadienne, l'argent est la principale ressource, parce qu'il permet l'accés à une foule de choses différentes et désirables, qu'on peut ainsi acheter. Sauf à l'échelon local, les Indiens sont relativement peu organisés; dans l'ensemble, ils ont à peine plus que le minimum vital. En fait, ils ne possédent que peu de ressources, dont la privation causerait aux non-Indiens une véritable gêne, si l'on excepte leurs services et leur collaboration en vue d'aider les non-Indiens à réaliser leurs objectifs. Et pourtant, les objectifs auxquels les Indiens s'opposent le plus volontiers sont précisément ceux qui sont à leur avantage.

Nous n'entendons pas soutenir que le but unique ou principal de l'organisation soit de canaliser ou de réglementer les efforts en vue d'acquérir la puissance sociale, car les tentatives de collaboration se rapportent trés souvent à des occupations humaines trés importantes, comme la récréation et les exercices rituels. Pour certains groupes d'Indiens, ces exercices rituels figureraient au premier rang des objectifs visés par la tentative de collaboration. Mais nous insistons sur la puissance, comme objectif, parce que la presque totalité des Indiens s'inquiéte de son état de dépendance et de son manque de puissance, et réclame une autonomie et une indépendance accrues.

5. Collaborateurs, documentation et méthodes de travail

La rédaction de la Partie II du présent rapport est principalement l'oeuvre des Drs M.-A. Tremblay et F.G. Vallée et de Mile Joan Ryan. Le Dr Tremblay s'est surtout chargé des chapitres II, III et V, le Dr Vallée, des chapitres VI, VII, VIII et IX, et Mlle Ryan, du chapitre IV. Seuls ou collectivement, tous ont contribué, à différents moments, aux recommandations, Les chapitres II, III et V ont d'abord été rédigés en français et les autres chapitres, en anglais. Il est probable que la signification de certains passages a perdu un peu de sa précision en cours de traduction, et nous regrettons de n'avoir pu soigner le style, en raison des délais imposés.

Dans les chapitres pertinents, nous avons puisé fréquemment dans les rapports de MM. Gordon Inglis, Michael Kew, Dietrich Luth, Roger McDonnell, George Parsons et Erik Schwimmer, qui ont exécuté sur place d'importants travaux. Ces rapports constituaient les documents de base pour l'étude de l'organisation juridique et les prises de décision. Mme Sheila Rorke a assisté le Dr Vallée dans les travaux d'analyse des documents statistiques, lorsqu'il s'est agi d'étudier les tendances relatives aux élections et au fonctionnement des Conseils de bandes. Au cours de l'été de 1964, le Dr T.F.S. McFeat a surveillé un groupe d'études sur place, en plus de fournir les résultats des travaux de recherches qu'il a exécutés lui-même dans les Maritimes.

L'étude sur l'éducation a été grandement facilitée par l'utilisation des connaissances acquises par certains membres de l'équipe de recherche, en particulier Mlle Ryan. Durant deux étés, on s'est employé à puiser des renseignements dans les dossiers de la Direction des Affaires indiennes, tant à Ottawa que dans les bureaux extérieurs. Le Dr Tremblay et Mlle Ryan ont visité des écoles et des bureaux régionaux dans toutes les provinces où les enfants indiens étaient en nombre considérable. Mlle Ryan s'est consacrée, de plus, à l'étude approfondie des services scolaires de trois réserves; elle était assistée de Mme June Lythgoe et de M. M. Burbidge, qui s'occupaient de recueillir d'autres renseignements. Bernard Bernier, Lucien Laforest et Paul Charest ont aidé le D" Tremblay à rassembler les données statistiques qui ont servi de point de comparaison pour certaines conclusions; ils ont aussi fait la lecture de certains documents se rapportant à la philosophie et à l'administration de l'enseignement.

Au chapitre III de la Partie I, nous avons décrit la méthode selon laquelle nous avons choisi, d'aprés les réponses à un questionnaire, les groupements qui ont servi de base à l'étude de l'organisation juridique et de la prise de décisions. Nous y ajoutons quelques commentaires au chapitre IX du présent volume. En ce qui concerne les premiéres études, soit celles de MM. Inglis, Kew et autres, les endroits ont été choisis par eux et par des fonctionnaires supérieurs, suivant l'intérêt des données préliminaires réunies au sujet de ces endroits, soit parce qu'on recherchait l'explication des choses qui s'y passaient ou, au contraire, parce qu'il ne s'y passait rien. Par la suite, les endroits ont été choisis en fonction des connaissances acquises et accumulées par les membres de l'équipe.

Nous avons aussi puisé aux conclusions de certaines études anthropologiques récentes qui n'avaient pas rapport au projet, études qui portaient surtout sur les bandes des régions boisées et sous-arctiques du Grand Nord et qui sont insuffisamment représentées, tant dans nos travaux sur place que dans l'échantillonnage des questionnaires. Si nous avons négligé ce genre de bandes, c'est que nous ne voulions pas reprendre des travaux déjà effectués par d'autres, ou que nous voulions utiliser au maximum le temps et les fonds mis à notre disposition en concentrant nos efforts sur les endroits plus facilement accessibles. Nous avons à dessein recherché à multiplier les endroits où nous avions raison de croire qu'il se passait des choses ayant un rapport avec l'organisation juridique et avec la prise de décisions. Nous avons donc orienté notre échantillonnage vers les bandes plus considérables, dans les régions où elles subissent le plus le contrecoup de l'activité des non-Indiens et où les rapports avec d'autres bandes indiennes sont plus fréquents. Nous croyons que l'orientation de l'échantillonnage est conforme aux tendances des bandes indiennes, où qu'elles se trouvent, notamment à la tendance à se rapprocher davantage des non-Indiens et de leurs institutions, à former des groupements plus considérables, plus complexes et plus cohérents, ainsi qu'au regroupement régional des diverses collectivités indiennes.

RECOMMANDATIONS RELATIVES À L'ÉDUCATION

Généralités

(1) Le principe de l'éducation intégrée pour tous les enfants canadiens est recommandé sans objection fondamentale. L'intégration des enfants indiens aux régimes d'écoles publiques devrait se faire en tenant compte de tous les intéressés et avec l'assurance de l'entiére collaboration des Indiens et des Non-Indiens de la localité.

(2) La Direction des affaires indiennes devrait veiller à ce que l'intégration scolaire, une fois commencée, soit réalisée le plus tôt possible. Ceci découle de la recommandation sur laquelle nous avons appuyé tout au long du volume I de notre Rapport portant que la Direction doit aider la cause des Indiens en les représentant dans les situations nouvelles auxquelles ils ont à faire face.

(3) Les autorités scolaires devraient reconnaître que l'éducation des enfants indiens, sous une forme intégrée ou autrement, exige des programmes spéciaux et correctifs.

(4) Les instituteurs et les directeurs d'écoles doivent fonder leur action sur l'acceptation du fait que le jeune Indien a des possibilités intellectuelles aussi étendues que le jeune Blanc.

(5) Les programmes d'éducation devraient tenir compte des différences manifestes qui caractérisent les traditions des jeunes Indiens, ainsi que des différences, souvent moins évidentes, que comportent leur échelle de valeurs et leurs mobiles.

(6) On devrait encourager les instituteurs à se familiariser le plus possible avec les traditions et la culture de leurs éléves indiens; ils devraient prendre l'initiative de les mieux connaître en particulier.

Services spéciaux d'éducation

(7) A leur entrée à l'école, nombreux sont les petits Indiens qui, comme beaucoup d'autres petits Canadiens, ne parlent le français ou l'anglais que comme langue seconde, si tant est qu'ils le parlent. En vue d'aider ces enfants, on devrait leur offrir, sous une forme adaptée à leurs besoins, les cours correctifs de langue que comportent normalement les programmes d'études provinciaux.

(8) Étant donné que les enfants d'autres cultures ont à peu prés les même difficultés à apprendre l'anglais ou le français à l'école ou à s'en servir, les ministére provinciaux de l'Éducation, en collaboration avec la Division de l'éducation de la Direction des affaires indiennes, devraient encourager les universités à offrir, comme partie de la formation des instituteurs, des études linguistiques comportant l'étude de la grammaire comparée.

(9) Nous recommandons que la Direction des affaires indiennes, conjointement avec les services d'extension des ministéres provinciaux de l'Éducation, commandite des cours et des instituts spéciaux en vue d'enseigner l'anglais comme langue seconde. Ces cours permettraient aux professeurs déjà en place, ainsi qu'aux membres du personnel des Facultés de l'enseignement, de maîtriser les techniques nouvelles et de se familiariser avec les nouvelles méthodes.

(10) La Direction des affaires indiennes, par l'intermédiaire de sa Division des programmes et en vertu d'ententes avec des spécialistes extérieurs, devrait mettre au point des ouvrages didactiques portant sur les langues indiennes, dont s'inspireraient les titulaires des cours.

(11) Les jardins d'enfants établis dans les réserves devraient être maintenus en service, sauf lorsque les enfants peuvent être admis aux jardins d'enfants des écoles publiques. Si l'école publique n'en offre pas, la Direction des affaires indiennes devrait en créer. Nous faisons la même recommandation à propos des programmes des écoles maternelles. Lorsque la chose est possible, ces programmes devraient être établis sur une base de coopération, de façon que les parents indiens puissent partager la responsabilité de l'aide à l'éducation de leurs enfants. Le programme devrait mettre l'accent sur les arts du langage et permettre l'accés aux livres, aux contes, aux disques et autres moyens d'expression de même nature, qu'on ne trouve pas dans les réserves.

(12) Quelques réserves disposent d'installations suffisantes pour l'étude. Dans plusieurs réserves, l'externat indien ou la salle publique sont utilisés comme salles d'études, au cours de la soirée. Nous recommandons que la Direction des affaires indiennes favorise la formation de comités d'éducation constitués d'Indiens, dont le rôle serait d'organiser des périodes d'étude pour les étudiants. Au cours de ces périodes, il y aurait lieu de donner des leçons particuliéres. S'il s'en trouve, des volontaires d'écoles secondaires pourraient aider les plus jeunes, et des volontaires d'universités pourraient aider les étudiants du cours secondaire. Les instituteurs qui travaillent auprés des Indiens devraient, comme certains parents indiens le font déjà, aider au transport et à la surveillance générale.

Santé

(13) Le mieux qu'on puisse dire de l'état de santé d'un grand nombre d'enfants indiens, c'est qu'il laisse à désirer, Tous ces enfants devraient être soumis à des examens médicaux obligatoires avant leur admission à l'école. Ces examens pourraient être confiés à forfait aux Services de santé des Indiens ou à quelque autre organisme disponible. Il devrait y avoir examen annuel des dents et des yeux. Pour éviter que les enfants ne continuent de souffrir de malnutrition, de défectuosité de la vue ou de 1'oui~ ou de quelque autre affection pouvant nuire à son rendement scolaire, l'infirmiére de l'école devrait s'assurer que les traitements ou les médicaments prescrits lors des examens sont effectivement administrés. Bref, un service de santé publique devrait être assuré à tous les enfants indiens et à leurs parents.

(14) Les écoles ont beaucoup à se plaindre des normes d'hygiéne personnelle des enfants indiens. Plusieurs foyers indiens sont privés de baignoires et d'installations de buanderie. Dans la plupart des écoles, il se trouve d'autres enfants dont les foyers sont aussi privés de commodités; c'est pourquoi nous recommandons que les écoles prennent les dispositions voulues pour que leurs éléves puissent utiliser les douches du gymnase et les appareils de buanderie de l'enseignement ménager. Ce n'est pas une façon d'éduquer un enfant ou de corriger une situation que de renvoyer un enfant chez lui parce qu'il est malpropre. Même si la portée de cette recommandation dépasse la compétence de la Direction des affaires indiennes, cette derniére devrait entreprendre des négociations avec les écoles qui reçoivent des éléves indiens en vertu d'un accord conjoint. De plus, pour nous en tenir à une recommandation du volume I du Rapport, nous insistons pour que soit encouragée l'installation de buanderies automatiques dans les réserves.

Programme d'études

(15) 11 existe encore certains ouvrages qui traitent des Indiens de façon évasive, trop générale et parfois insultante. Ces manuels devraient disparaître des programmes. S'il est nécessaire de procéder à une élimination progressive, nous recommandons que les instituteurs corrigent immédiatement les textes ayant trait aux Indiens, à l'aide d'ouvrages de référence ou autre sources de documentation disponibles à la bibliothéque de l'école. Pour simplifier ce travail, la Direction des affaires indiennes devrait dresser une liste des manuels fautifs et l'adresser au Conseil canadien des éditeurs, ainsi qu'aux ministéres provinciaux de l'Education.

La diversité des cultures indiennes ne facilite pas la présentation d'un cours détaillé et précis sur les Indiens, bien que certains musées provinciaux et municipaux aient accepté de fournir certains matériaux à cette fin. Si les matériaux ou sujets ne sont pas encore disponibles, les écoles qui comptent un pourcentage élevé d'éléves indiens, devraient s'entendre avec les Indiens adultes pour qu'ils fournissent les matériaux indiens dont ils disposent sur place, aux fins des études sociologiques et des sections du programme qui se rapportent à l'art, au théâtre et à la littérature. Les enfants non-indiens pourraient tirer profit d'horizons nouveaux, tandis que les enfants indiens acquerraient ainsi un sens de leur importance et de leur personnalité propre.

Communication et relations publiques

(16) Dans presque tous les cas, les rencontres entre les professeurs et les parents indiens se font à l'école, à la demande de l'instituteur, et dans le but de renseigner les parents sur les fautes de l'enfant. Autant que possible, les instituteurs devraient rendre visite aux parents, dans la réserve, et nous recommandons fortement qu'on veille à multiplier les occasions de rencontres entre les parents et les enseignants. Pour faciliter les visites subséquentes des parents, les autobus scolaires devraient servir aussi au transport des parents.

(17) Les instituteurs et les éléves se plaignent d'un manque de communications entre eux. II ne s'agit pas d'un probléme particulier aux écoles indiennes, mais lorsque des éléves indiens sont en cause, la difficulté se complique du fait des différences dans les attentes et la compréhension. Nous avons déjà recommandé aux instituteurs d'essayer de comprendre les antécédents de l'enfant. A ce sujet, on devrait cesser de punir le jeune Indien pour des choses qui tiennent à un coucours de circonstances indépendantes de leur volonté, comme les retards, les absences et le manque de propreté.

(18) Les communications et les relations entre enfants de milieux différents sont tantôt bonnes tantôt mauvaises. Sauf pour certains cas isolés, le facteur déterminant semble être l'atmosphére générale de l'école et, en particulier, les limites de comportement que le personnel juge acceptable. Lorsqu'il se produit des attaques verbales ou physiques contre les enfants indiens, nous recommandons que les membres du personnel de l'école prennent sur eux d'y mettre fin. Directeurs d'écoles et instituteurs devraient créer une ambiance qui favorise le respect et l'amitié entre les jeunes Blancs et les jeunes Indiens.

Ententes conjointes

Nous recommandons ce qui suit:

(19) Que les installations des écoles publiques soient utilisées pour l'éducation des enfants indiens partout où les arrangements paraissent raisonnables et avantageux.

(20) 11 ne devrait y avoir d'ententes ni avec des écoles provinciales de qualité inférieure, ni avec des milieux où les attitudes ne sont pas favorables aux éléves indiens,

(21) On ne devrait signer aucune entente sans consulter au préalable les parents des éléves indiens, ni avant de s'être assuré de leur entiére collaboration et de celle des parents non- indiens. Avant d'entreprendre l'étape finale des négociations, il devrait y avoir quelques réunions groupant les parents de tous les éléves de l'école.

(22) Lorsque la loi provinciale le permet, les ententes devraient stipuler que les Indiens doivent être officiellement représentés à la Commission scolaires; sinon, la Commission devrait accepter que les Indiens y soient officieusement représentés.

(23) Des dispositions devraient être prises pour que la Direction des affaires indiennes verse à la Commission des paiements globaux à des fins d'honoraires, d'achat de manuels, de dîners, d'utilisation des casiers et des jeux, de maniére que les enfants indiens ne soient pas handicapés par leur condition sociale.

(24) Les ministéres provinciaux de l'Éducation devraient comprendre que les programmes correctifs exigeront des installations et un personnel spécialisés, qui pourraient être fournis en vertu d'accords et de financement conjoints.

(25) Tout accord conjoint ne devrait être maintenu en vigueur qu'à la condition que l'école continue d'assurer l'éducation de l'enfant indien.

(26) Une fois réalisée l'intégration aux écoles publiques, les externats indiens devraient pouvoir servir de centres d'enseignement correctif et d'éducation des adultes. Sauf dans les centres isolés, la construction de ce genre d'écoles devrait être discontinué.

(27) La mise en application des principes énoncés précédemment devrait être préalable à l'intégration.

(28) La conversion des installations existantes en aménagements auxiliaires devrait commencer par le bas de l'échelle. Ainsi, de façon générale, on devrait refuser l'admission à la 8e année d'une école résidentielle; l'intégration des éléves de 11e année ne devrait pas être obligatoire pour leur derniére année d'études; les enfants arrivés au terme de leurs études devraient être autorisés à demeurer dans la réserve, tandis que les éléves de 1ére devraient être admis directement dans les écoles publiques.

Écoles confessionnelles et privées

(29) On devrait cesser de subventionner l'établissement dans les réserves, d'écoles dirigées par des groupements religieux.

(30) Les écoles des réserves dont le personnel est indien et qui continuent de fonctionner avec succés (à un niveau égal à celui des écoles publiques), devraient être autorisées à poursuivre leur activité jusqu'à ce que les parents se prononcent en faveur de l'intégration.

(31) Les pensionnats confessionnels devraient être convertis en pensionnats à plein temps et cesser de dispenser l'enseignement.

Formation professionnelle et placement

(32) Nous recommandons au gouvernement fédéral (Direction des affaires indiennes et ministére de la Main-d'oeuvre) de continuer à payer les cours de perfectionnement des Indiens qui désirent retourner à l'école, suivre un cours de formation professionnelle ou obtenir un emploi.

(33) On ne renseigne pas suffisamment les Indiens sur les moyens de perfectionnement et la formation professionnelle. On devrait instituer un systéme plus étendu et plus actif d'information sur les cours, leurs modes de financement et les modalités d'application.

(34) Les fonds affectés à cette partie du programme d'éducation devraient être suffisants pour que:

  1. le nombre des étudiants en mesure de profiter des occasions de formation augmente sans cesse.
  2. les étudiants puissent vivre convenablement, de façon à poursuivre leurs études, le plus efficacement possible,
  3. les épouses et enfants de l'éléve puissent accompagner ce dernier au centre de formation.

(35) On devrait pouvoir recommander aux candidats une variété sans cesse grandissante de programmes de formation. Plusieurs étudiants ont des aptitudes et des goûts pour des carrières qu'ils considèrent hors de leur portée. Les membres du personnel ne devraient pas insister sur les occupations dites « pour Indiens », mais plutôt fournir systématiquement tous les renseignements sur les autres possibilités de carrière.

(36) Nous désirons reprendre ici la recommandation faite au volume I, portant que la Direction des affaires indiennes s'emploie davantage à trouver un emploi aux jeunes Indiens qui se sont établis à la ville.

Autres observations

(37) Nous recommandons que la Direction des affaires indiennes mette en oeuvre des programmes de formation complémentaire en organisant des cours d'été, des cours du soir et des cours de formation sur place. Ainsi, les instituteurs et les autres membres du personnel pourraient acquérir une connaissance méthodique des gens auprés desquels ils travaillent. Nous recommandons aussi que les commissions et les fédérations scolaires, de même que les ministéres provinciaux de l'Éducation, incitent les instituteurs à suivre ces cours et leur facilitent la chose.

(38) Nous recommandons à la Direction des affaires indiennes d'étudier certains mécanismes, comme l'enseignement programmé, et de juger de leur utilisation comme moyen d'assurer aux enfants une récupération scolaire rapide et efficace. Nous recommandons aussi l'élaboration d'un programme de recherches, en vue d'étudier les problémes qui se rapportent à l'instruction des éléves indiens dans les écoles publiques et de mettre en marche des programmes expérimentaux en vue de les résoudre.

(39) Nous recommandons que la Direction des affaires indiennes retranche de ses écoles tous les tests psychologiques de groupe, comme les tests d'intelligence et les tests d'aptitudes, et que les écoles publiques soient priées de prendre les mêmes dispositions. La Direction des affaires indiennes occupe une situation idéale pour sensibiliser les autorités scolaires à l'inopportunité de ces tests dans le cas des écoliers indiens.

(40) Que des agents de liaison soient nommés par les ministéres provinciaux de l'Éducation, aux fins de coordonner l'activité des divers organismes et particuliers intéressés aux problémes de l'éducation des Indiens à l'échelon local.

(41) Que le rôle des comités scolaires soit élargi, de façon à intéresser les adultes de la réserve qui possédent des connaissances particuliéres.

Recommandations relatives aux conseils de bandes et autres organismes

(42) Pour donner suite aux recommandations 85 et 86 de la Partie I, pour ce qui a trait aux cours de leadership et aux autres programmes d'éducation des adultes, on devrait communiquer aux Indiens, sous forme de résumé, les résultats des travaux de recherche ayant trait à leur mode de vie.

(43) Ces cours de leadership devraient avoir notamment pour objet de mettre en lumiére la notion de la variabilité et de la plasticité des cultures, de façon à élargir le champ des options.

(44) Ces cours devraient encourager les Indiens à expliquer aux non-Indiens les méthodes fondamentales permettant d'obtenir l'unanimité, de sauver les apparences, d'éviter de discuter de choses qui sautent aux yeux, ainsi que les autres aspects des relations humaines dans lesquels on dit qu'ils excellent, en montrant que le "leadership" est beaucoup plus qu'une question de style, une aptitude à donner des ordres "avec autorité" ou une habileté à suivre la procédure parlementaire, et le reste.

(45) Afin de propager des idées et des renseignements parmi les peuplades indiennes, autant que possible dans leurs langues, des projets comme celui de l'Association indienne- esquimaude de l'Arctique, modelé sur le Forum agricole, devraient être étendus à toutes les régions nordiques des provinces.

(46) On devrait encourager les Conseils de bandes et d'autres corps constitués à demander l'avis des professionnels sur les questions juridiques, économiques et sociales, en s'adressant non seulement aux sources officielles mais aussi à d'autres sources.

(47) Pour donner suite à la recommandation 50 de la Partie I en ce qui a trait à l'appui des organismes bénévoles, on devrait encourager les organismes existants, comme les conseils de trappeurs, les clubs de conservation, les clubs récréatifs et les coopératives, à intensifier leur activité sur une base régionale ou sous-régionale. il pourrait s'agir de défrayer de leurs dépenses de déplacement et de subsistance les résidants venus des régions reculées pour assister aux réunions.

(48) En l'absence de telles organisations administratives dans la localité, le budget et le programme d'aménagement communautaire devraient prévoir l'établissement et le maintien de tels liens entre les collectivités.

(49) Comme suite à la recommandation 89 de la Partie I en ce qui a trait aux Conseils de district qu'on a tenté de former en Colombie-Britannique, nous soulignons de nouveau la nécessité d'établir des liens inter-communautaires propres à grouper les régions plus éloignées. Là où la population est clairsemée, lorsque les Conseils de bandes ne présentent aucune analogie avec les organismes communautaires d'importance, on devrait favoriser la création d'agences, de bureaux de district ou de bureaux régionaux.

(50) Ces organismes devraient non seulement jouer un rôle consultatif, mais aussi disposer de certains pouvoirs. On pourrait les appeler des districts d'aménagement local, ou encore des districts de mise en valeur des ressources. La mise sur pied de ces districts devrait être le premier article des programmes de développement économique, et l'on devrait insister particuliérement sur la nécessité de consultations intensives avec les Indiens à cet égard.

(51) Il est souhaitable que les non-Indiens vivant parmi les Indiens et ayant les mêmes problémes socio-économiques que les Indiens inscrits, soient inclus dans ces groupements régionaux ou sous-régionaux. A cette fin, des ententes spéciales devront être conclues avec les gouvernements provinciaux et territoriaux. A l'heure actuelle, il existe des empêchements statutaires à une telle action réciproque sur le territoire des réserves, et ce sont des empêchements que les autorités compétentes doivent lever. Cependant, il existe d'autres obstacles non statutaires, tels que l'éloignement social, qui ne pourront être éliminés que par des programmes comme ceux de l'aménagement communautaire, les centres d'amitié et le mouvement coopératif.

(52) La Direction des affaires indiennes devrait fournir la formation et le matériel nécessaires à la traduction simultanée, en vue de faciliter les communications, au sein des conseils qui englobent des districts et des régions, entre les représentants de langue et de milieu différents, de maniére qu'ils puissent participer à ces conseils.

(53) Pour mettre en oeuvre la recommandation 82 de la Partie I en ce qui a trait à l'établissement d'une Fonction publique pour les bandes, les employés de ladite Fonction publique devraient relever du Conseil de bande (ou du Conseil de district), et non pas de la Direction des affaires indiennes. Les salaires devraient être payés à même les fonds de la bande, lorsque ces fonds sont suffisants et administrés par les conseils, ou encore à même les subventions accordées aux bandes. Dans le cas des bandes plus nombreuses, ces employés de bandes ne devraient pas être admissibles à des postes au sein des Conseils de bandes.

(54) Pour combler ces postes, on devrait procéder par voie de concours publics. Les candidats ne devraient pas nécessairement être membres d'une bande donnée ni même être reconnus officiellement comme Indiens.

(55) Si les postes ne justifient pas un emploi à plein temps, l'administration des affaires locales devrait être assurée, comme c'est le cas présentement en plusieurs endroits, par un premier conseiller ou quelque autre conseiller dont la rémunération pourrait être établie en fonction, mettons, du nombre prévu d'heures consacrées à l'administration des affaires de la bande ou du district. On pourrait aussi, comme nous le proposons dans la recommandation 82 de la Partie I, mettre un ou plusieurs employés de la Fonction publique au service de plusieurs petites bandes voisines.

(56) Ces services ne devraient être fournis qu'en vertu d'un contrat. Ainsi, le titulaire ne devrait pas être considéré comme un employé de la Direction des affaires indiennes, même si l'administration des mesures de bien-être doit être surveillée, suivant le cas, par les Services de bien-être fédéraux ou provinciaux et se conformer à leur orientation (se rapporter aux recommandations 60 et 61 de la Partie 1).

(57) Lorsque ce sont des personnes élues qui exécutent ces services administratifs en vertu d'un contrat, il faudrait prévoir certaines dispositions spéciales qui assureraient droit de recours aux personnes qui se sentiraient injustement traitées.

(58) Même s'ils ne remplissent aucune fonction administrative, les chefs de conseils et les conseillers devraient, être rétribués convenablement, au lieu de toucher, comme c'est le cas actuellement, une rémunération symbolique. Les chefs de conseils devraient recevoir au moins $750 par année, et les conseillers, au moins $500.

(59) 11 faudrait fixer le nombre des réunions que les conseils seront tenus de convoquer chaque année. Ces réunions devraient être publiques; elles devraient avoir lieu, autant que possible, prés des centres où habitent les électeurs, en vue d'assurer une participation maximum. Seules les personnes invitées par le Conseil à exprimer leur opinion devraient être autorisées à le faire au cours des réunions.

(60) Il faudrait dresser les procés-verbaux des assemblées du conseil, et tous les intéressés devraient y avoir accés, c'est-à-dire les considérer comme des documents publics. Les résumés des assemblées du conseil devraient être affichés.

CHAPITRE II   Une analyse des idéologies concurrentes

INTRODUCTION

Le concept français "éducation" et le concept anglais "éducation" ne sont pas équivalents. En bonne linguistique, on doit traduire le terme anglais "éducation" par le terme français "instruction." Mais afin d'éviter l'équivoque, le terme anglais "éducation" sera traduit par le terme français "éducation" dans le texte qui suit. Par ailleurs, l'expression "éducation scolaire" sera employée dans un sens plus restrictif.

1. La nécessité des études sur les idéologies concurrentes dans le domaine de l'' éducation des Indiens

Nous croyons qu'une telle étude sur les idéologies de l'éducation des Indiens est nécessaire pour connaître les conceptions que les divers organismes intéressés se font de l'éducation des Indiens, et les politiques administratives qui en résultent, de même que pour connaître l'évolution à travers le temps de ces conceptions et de ces politiques. Toute action, toute prise de position pour résoudre un probléme est déterminée par les attitudes qu'on adopte en face de ce probléme. Les attitudes sont les fondements de l'action. C'est en remontant aux attitudes que nous pouvons retracer les conceptions que l'on se fait de l'action dans une situation donnée. Mais encore faut-il que ces attitudes, que ces conceptions soient relativement homogénes et reconnaissables. Cette analyse se poursuivra à trois niveaux: l'idéologie du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, l'idéologie des groupes intermédiaires, y compris les associations indiennes et, finalement, l'idéologie des groupes confessionnels. Les administrateurs et autres employés fédéraux et provinciaux qui s'intéressent à l'éducation des Indiens sont nombreux. Mais comme ils appartiennent à un même service, dans leurs ministéres respectifs, ils partagent dans une certaine mesure les mêmes attitudes du moins officiellement ou suivent une même politique définie par des législateurs ou par les administrateurs qui détiennent les postes supérieurs. II y a donc une homogénéité et une continuité dans les attitudes et les conceptions qu'ont ces fonctionnaires sur l'éducation des Indiens. Mais il y a aussi place pour le changement. Ces changements peuvent être attribués à plusieurs causes: changements dans la haute administrations; changements du à l'influence prépondérante d'un ou de quelques hauts fonctionnaires; transformations subies par la société. Il y a donc une évolution dans les attitudes et les politiques des administrations et, en conséquence, dans les idéologies. Quant à l'analyse des idéologies des groupes intermédiaires, des associations indiennes et des confessions religieuses, nous les concevons comme des idéologies d'apposition. Elles visent à modifier les points de vue officiels des administrations fédérale et provinciale. Elles se présentent d'ailleurs comme des idéologies concurrentes.

2. Le concept "idéologie": perspectives théoriques

Toute idéologie comporte normalement les trois éléments suivants:

  1. Une définition de la situation sociale globale ou particuliére à l'intérêt d'un groupe donné.
  2. Une stratégie de l'action en conformité des buts poursuivis.
  3. Une explication ou une justification de l'existence du groupe et de son action.

3. Les sources documentaires

L'analyse des idéologies sur l'éducation des Indiens a été construite à partir de trois types de documents écrits: (a) des documents législatifs; (b) des documents administratifs; et (c) des rapports de conférences. La plupart des documents que nous avons parcourus sont de date récente, ayant été publiés entre 1960 et 1965. Le gros des exposés qui suivent portera donc sur le contenu le plus actuel des diverses idéologies. Nous ferons à l'occasion une description succincte de l'évolution des idéologies lorsque la documentation dépouillée le permettra. Les documents les plus importants sur lesquels s'appuieront les différents exposés sont les suivants: A. Documents législatifs (a) La Loi sur les Indiens, S.R.C., 1952, c. 149 avec modifications de 1952-1953, c. 41 et de 1956, C. 40. (b) Procés-verbaux et témoignages, Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur les Affaires indiennes, fascicule 16, 1961. B. Les Documents administratifs (a) Administration des Affaires Indiennes, préparé en vue de la Conférence fédérale- provinciale sur les Affaires indiennes, 1964. (b) Indian Education, dans la série Indian In Transition, publié par la Direction des affaires indiennes, 1962. C. Les Rapports de conférences Rapports de la deuxiéme et de la troisiéme conférences Schools in the Forest, 1964, 1965. La plupart des documents administratifs consultés ont été préparés par la Direction des Affaires Indiennes. Sur 24 documents consultés en vue de définir l'idéologie du gouvernement fédéral sur l'éducation des Indiens. 18 émanent de la Direction des affaires indiennes. Les documents utilisés pour définir les idéologies des provinces sont moins nombreux et moins substantiels, mais du moins suffisants pour nous en donner un bref aperçu. Quelques entrevues réalisées avec des commissaires d'écoles permettront d'esquisser rapidement les attitudes des commissions scolaires vis-à-vis l'éducation des Indiens.

4. Le Plan du chapitre

L'ordre et l'importance des exposés iront de pair avec l'importance de la documentation recueillie et avec les degrés de responsabilité des divers organismes dans l'éducation des Indiens. Nous analyserons successivement l'idéologie des administrateurs du gouvernement fédéral, des administrateurs des gouvernements provinciaux, des commissaires d'écoles, des organismes privés et celle des groupes confessionnels.

I. L'IDÉOLOGIE DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

1. Le fondement juridique de l'idéologie

La Section 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique confie au gouvernement du Canada l'autorité légale sur les Indiens et sur les affaires qui les concernent. A cause de ce texte de loi, les affaires indiennes ont toujours été considérées comme la responsabilité du gouvernement fédéral. Cependant, les lois provinciales s'appliquent aussi aux Indiens dans les domaines non touchés par une législation particuliére du fédéral. Ce pouvoir exclusif du gouvernement fédéral de légiférer sur les questions indiennes crée des difficultés lorsqu'il s'agit d'établir des ententes conjointes fédérales-provinciales sur l'éducation ou sur le bien-être économique et social des Indiens. De fait, à venir jusqu'à tout récemment, le gouvernement fédéral s'était toujours considéré comme l'unique responsable des affaires indiennes. Mais depuis que le gouvernement du Canada désire partager cette responsabilité avec les provinces, en vertu du principe que les Indiens sont aussi des citoyens des provinces, il éprouve de la difficulté à faire accepter par les provinces ce changement dans sa politique. Car, même s'il est prêt à partager les responsabilités, le gouvernement fédéral continue à revendiquer, par ailleurs, une juridiction légale exclusive sur les affaires indiennes. Cette constitution légale a fait que, pendant longtemps, les autorités fédérales furent les seules à s'intéresser aux affaires indiennes tant du point de vue législatif que du point de vue exécutif. II n'est donc pas surprenant que la majorité des documents analysés émanent des autorités fédérales. Cependant, nous n'avons pas cru bon de conserver, dans l'exposé, cette distinction entre législateurs et administrateurs, sachant que les seconds ont influencé les premiers comme nous avons pu le constater à l'analyse des trois documents du dernier Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur les Affaires Indiennes. De leur côté, les administrateurs doivent se baser sur la Loi régissant les Indiens et s'y conformer dans l'organisation de leurs plans d'action.

2. L'évolution de l'idéologie des administrateurs fédéraux

L'idéologie des responsables fédéraux des affaires indiennes a tellement évolué à travers le temps qu'il est plus juste de parler de plusieurs idéologie que d'une seule et même idéologie. L'idéologie des administrateurs actuels est sensiblement différente de l'idéologie des premiers administrateurs.

A. L 'idéologie paternaliste (1867-1945)

Lors de la constitution de la Confédération du Canada en 1867, le gouvernement fédéral fut chargé de l'administration des traités conclus auparavant entre le gouvernement impérial et les Indiens et décida de poursuivre cette politique de conclusion de traités. Par ces traités, la plupart des Indiens cédaient le droit exclusif sur leur territoire à la Couronne et, en retour, cette derniére mettait une partie de ce territoire à leur disposition et leur fournissait des "avantages supplémentaires comme des versements en espéces, des rentes, des facilités d'instruction et autres avantages." Le gouvernement s'engageait aussi à protéger les territoires-réserves et les intérêts des Indiens.

Ces traités sont à l'origine des attitudes protectionnistes et paternalistes qui furent longtemps celles des administrateurs fédéraux vis-à-vis des Indiens. Un ancien ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a décrit en ces termes cette attitude:

Il y a plusieurs années, nos attitudes étaient paternalistes et même restrictives de par leur nature. Il est vrai qu'elles ne prévoyaient pas beaucoup de soins et de protection pour les Indiens, mais elles ne les incitaient guére à améliorer leur propre sort. Note de bas de page 1

Une autre citation d'un haut fonctionnaire vient appuyer ce témoignage:

Voulant ardemment protéger les Indiens contre l'influence de la société moderne, les premiers gouvernements du Canada ont établi des lois et des dispositions protectionnistes qui expliquent partiellement le fait que les communautés indiennes, de façon générale, sont restées à l'écart des grands courants économiques, sociaux et culturels du Canada. Note de bas de page 2

Cette politique qui confinait les bandes à leurs réserves et qui voulait leur éviter le plusplus en plus grand. leurs activités économiques traditionnelles pour devenir des dépendants de possible les contacts avec l'extérieur a contribué largement à perpétuer l'isolement des Indiensfois que les ressources devinrent insuffisantes, les Indiens durent abandonner, en nombre de au sein de la grande communauté canadienne. L'idéologie d'alors était donc franchementoubliait cependant que leurs territoires de chasse se trouvaient considérablement amputés. Une conservatrice. On voulait que les Indiens conservent leurs modes de vie traditionnels. Onpour devenir des dépendants de l'État. On ne prévoyait pas non plus que, tôt ou tard, les contacts avec la société industrielle extérieure deviendraient inévitables et que les Indiens ne seraient pas du tout préparés pour y faire face.

L'ancienne politique voulait que l'Indien naisse, vive et meure dans sa réserve. Il n'était point question pour lui d'en sortir. La réserve était son refuge et son salut. Dans ces conditions, le peu d'éducation scolaire dispensée aux Indiens devait suffire à assurer leur avenir économique et social dans les limites de la réserve. Savoir lire, écrire, compter et connaître les techniques d'exploitation et de conservation de leur milieu, ainsi que posséder quelques notions d'hygiène, telles étaient les connaissances jugées comme suffisantes pour vivre dans le système des réserves. La connaissance académique comme telle n'était pas considérée comme importante.

Cette idéologie isolationniste, protectionniste et paternaliste fut en gros celle des administrateurs des affaires indiennes jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale. La Loi sur les Indiens, bien qu'elle ait été amendée depuis, témoigne encore dans plusieurs de ses articles de cet esprit paternaliste par tous les pouvoirs souvent discrétionnaires qu'elle accorde au ministre responsable et au Gouverneur en conseil.

B. L'idéologie démocratique: l'Indien, un citoyen à part entière (1945-1965)

L'après-guerre marqua une nouvelle orientation de la politique du gouvernement fédéral sur les affaires indiennes. On commença à favoriser la prise d'initiative de la part des Indiens et l'ouverture des réserves au monde extérieur. Des élèves indiens commencèrent à fréquenter les mêmes écoles que les Blancs. Ces premières expériences s'étant avérées fructueuses, on accentua les efforts dans le même sens, particulièrement dans le but de favoriser l'intégration des Indiens à la société canadienne. Les vieilles attitudes paternalistes s'estompèrent lentement et vinrent à disparaître du moins officiellement chez les haut fonctionnaires de la Direction des affaires indiennes. On désire maintenant voir les Indiens s'intégrer complètement à la vie économique et sociale du Canada et vivre sur un pied d'égalité avec les autres citoyens du pays.

Les changements dans les attitudes sont si importants qu'on assiste entre 1960-1965 à la définition d'une nouvelle idéologie de l'administration des affaires indiennes, particulièrement dans le domaine de l'éducation. C'est cette nouvelle idéologie que nous voulons décrire en détail dans les pages qui vont suivre. Cette idéologie est à la fois une définition de la situation sociale des Indiens et un plan d'action axé principalement sur l'éducation.

Une définition du contexte socio-culturel des Indiens

Comme toute idéologie, l'idéologie des fonctionnaires fédéraux sur les affaires indiennes, en général, et sur l'éducation des Indiens, en particulier, comporte une définition de l'univers socio-culturel de l'Indien. Il importe donc d'expliciter cette définition de la situation sociale des Indiens telle que vue par les administrateurs parce qu'elle influence directement le plan d'action envisagé dans le domaine de l'éducation. Cette définition s'intéresse aux Indiens, à leur passé et à leur histoire, à leur évolution, à leur démographie, à leur bien-être économique et social, à leur avenir et à leurs relations avec l'ensemble de la société canadienne.

Origine, histoire et démographie

Les connaissances sur l'origine et l'histoire des principaux groupes indiens du Canada telles qu'exposées dans le document sur l'Administration des affaires indiennes (pp. 1-3) correspondent aux derniéres connaissances anthropologiques et sociologiques sur le sujet . On y souligne l'origine asiatique probable des races indiennes et la subdivision des Indiens du Canada en nombreux groupes linguistiques. On distingue cinq zones écologiques différentes qui ont déterminé chez les Indiens qui les occupent des traditions culturelles fort différentes d'une zone à l'autre. L'hétérogénéité et la dispersion des différents groupes sont les deux principales caractéristiques des groupements Indiens.

On constate qu'à ces premiéres différences d'ordre écologique s'ajoutent d'autres différenciations d'ordre sociologique. Les différents groupes sont à des degrés divers d'évolution. II en est de même pour les Indiens pris individuellement, "depuis le chasseur jusqu'à l'industriel hautement spécialisé ou au professionnel." On constate aussi que la population indienne augmente plus rapidement que n'importe quel autre groupe au Canada. Aujourd'hui, les Indiens sont aussi nombreux qu'ils étaient lors de l'arrivée des premiers découvreurs, soit 200,000 individus environ. Cette population est répartie en plus de 500 bandes différentes ayant accés à 2,241 réserves. Les concepts de "bandes" et de "réserves" sont des concepts-clés dans l'idéologie fédérale. Selon la Loi sur les Indiens, "une bande" est un groupe d'Indiens qui posséde un territoire de réserve, dont les deniers sont administrés par le fédéral ou qui a reçu son statut légal du Gouverneur en conseil.Note de bas de page 3 D'autre part, le terme "réserve" désigne une:

parcelle de terrain dont le titre juridique est attribué à sa Majesté et qu'Elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande.Note de bas de page 4

Ces deux définitions en disent long sur le statut de dépendance des Indiens. Le taux d'accroissement annuel de la population indienne du Canada est estimé à 4% malgré un taux de mortalité infantile assez élevé. A ce rythme, la population indienne devrait doubler dans moins de 25 ans.

Le bien-être économique et social

On reconnaît plus ou moins explicitement que les Indiens ont été négligés pendant longtemps et que leur niveau de bien-être économique et social est de beaucoup inférieur à celui des autres citoyens canadiens. Un fonctionnaire des Affaires du Nord a résumé la situation en ces quelques mots:

Durant les quatre-vingt-dix premiéres années de notre existence, les Indiens du Canada n'ont pas profité de l'expansion du pays au même titre que ceux d'entre nous dont les parents sont au pays depuis une génération ou plus.Note de bas de page 5

L'écart économique énorme entre les communautés indiennes et les communautés non- indiennes est attribué au fait que pendant trés longtemps les Indiens ont été tenus hors de la vie économique de l'ensemble du Canada. Confinés à leurs réserves, les Indiens n'ont pu s'engager dans les industries et recevoir des salaires rémunérateurs. Plus tard, lorsqu'ils commencérent à sortir des réserves, le manque de préparation scolaire les empêcha de pouvoir concurrencer avec une main-d'oeuvre non-indienne mieux qualifiée. Par ailleurs, les emplois à l'intérieur des réserves ont toujours été limités et généralement peu rémunérateurs. Les revenus de la pêche, de la chasse et de la trappe des animaux à fourrure ne sont pas comparables aux salaires versés dans les industries. L'attitude paternaliste des autorités gouvernementales a entretenu cette infériorité économique en préférant donner des subsides et de l'aide directe aux Indiens dans le besoin plutôt que de réorganiser leur économie et de les préparer à des emplois salariés.

Cette infériorité économique des Indiens se refléte directement dans les coûts élevés des allocations sociales versées aux Indiens dans le besoin. Chaque année, environ 36% de la population indienne doit être secourue de cette façon comparativement à seulement 3 1/2% de la population non-indienne. Sur certaines réserves, plus de la moitié des Indiens reçoivent du secours direct à une période ou l'autre de l'année. Le coût per capita de l'assistance sociale versée aux Indiens est 22 fois supérieur au coût per capita pour les non-Indiens. En 1963, le trésor fédéral a déboursé 72 millions de dollars pour les Indiens et le budget augmente sans cesse chaque année.

Les efforts gouvernementaux pour relever le niveau de vie des Indiens portent principalement sur le bien-être social et le développement économique, en plus des efforts trés importants dans le domaine de l'éducation, dont nous parlerons plus loin.

Le programme de bien-être social "a pour but d'aider les Indiens et leurs collectivités à obtenir et à maintenir un niveau de vie tout au moins comparable à celui des non-Indiens vivant dans un milieu socio-économique identique." Pour ce faire, des ententes sont négociées avec différentes agences provinciales de bien-être qui prolongent leurs services aux Indiens moyennant une compensation financiére. Le programme fédéral de bien-être comprend "l'assistance publique (nourriture, vêtements, combustibles, et équipement domestique pour les indigents); des services de protection et d'entretien pour les enfants; le soin des vieillards; des programmes de réadaptation pour les personnes désavantagées physiquement ou socialement; et, enfin, divers programmes conçus pour former des chefs chez les Indiens et encourager l'amélioration des groupements indiens."Note de bas de page 6 De plus, les Indiens ont droit aux allocations familiales et aux pensions de vieillesse et d'invalidité comme n'importe quel autre citoyen canadien.

Le gouvernement maintient en opération des services de santé à l'intention des Indiens, bien qu'on reconnaisse que ces derniers n'ont aucun droit statutaire à ces services. On veut ainsi assurer aux Indiens des services de santé et d'hygiéne comparables à ceux dont jouissent les autres Canadiens. Les efforts des services de santé portent principalement sur les points suivants: propagation d'informations sur l'hygiéne et les soins à donner aux jeunes enfants; assistance aux femmes pendant leur grossesse et lors de l'accouchement; dépistage et traitement de maladies endémiques telles que la tuberculose et la pneumonie. Malgré les efforts déployés, on reconnaît que les taux de mortalité sont beaucoup plus élevés pour la population indienne que pour le reste de la population du pays. La mortalité infantile est trois fois supérieure, le taux de mortalité d'enfants d'âge pré-scolaire est quatre fois plus élevé.Note de bas de page 7

Conscientes que les mesures de bien-être ne sont que des mesures palliatives destinées à secourir les Indiens dans le besoin et qu'elles ne peuvent leur assurer le niveau de vie auquel ils ont droit en tant que citoyen canadien, les autorités gouvernementales ont décidé de concentrer les efforts sur le développement économique des réserves. Elles désirent ainsi poursuivre deux buts. Le but premier est d'encourager les particuliers et les collectivités indiennes à répondre à leurs propres besoins économiques de la même façon que les autres Canadiens le font dans des lieux et des conditions semblables aux leurs. Le deuxiéme but, le plus important, puisqu'il s'oriente vers l'épanouissement humain, est "de favoriser l'intégration des individus et des groupements indiens à la vie sociale et économique du Canada en les aidant à se trouver des emplois en dehors des réserves et en les guidant au cours de la transition à la vie des villes. L'objectif fondamental est d'aider les Indiens à mettre en valeur et à tirer le plus grand profit des ressources qui sont à leur disposition à l'intérieur et à l'extérieur de la réserve. Le succés des programmes dépend essentiellement de l'initiative et de l'intérêt personnels même s'ils comportent une certaine aide financiére accordée, moyennant un remboursement, chaque fois que la chose est possible."! Ce texte en dit long sur la nouvelle idéologie des administrateurs fédéraux en ce qui concerne les affaires indiennes et introduit deux idées nouvelles qu'il importe d'expliciter davantage: l'intégration des Indiens à la vie canadienne, ou l'ouverture des réserves au monde extérieur.

3o/ L 'avenir des Indiens

aa) Le systéme des réserves versus l'autonomie administrative Note de bas de page 8. Dans cette perspective, on veut encourager autant que possible l'émergence de "leaders" indiens compétents qui assumeront la direction de leurs communautés. C'est ainsi que des cours sur le "leadership" sont donnés à l'intention de chefs indiens dans quelques universités du pays. On veut aussi reconnaître et encourager ce "leadership" lorsqu'il y a lieu:

nous devons, en tout temps, accorder aux "leaders" indiens, particuliérement à ceux qui ont été élus par leurs commettants, la reconnaissance à laquelle ils ont droit … Nous ne devons négliger aucune occasion de reconnaître publiquement le "leadership" indien.Note de bas de page 13

On voit aussi dans la consultation des Indiens sur les sujets qui les intéressent de prés un autre moyen d'accroître leur participation dans la direction de leurs affaires. Le passage suivant du discours d'un haut fonctionnaire le démontre clairement:

J'insiste fortement sur la nécessité de consulter en toutes choses les Indiens…Par l'intermédiaire de leurs propres leaders, ils doivent être nos partenaires dans l'élaboration de nouvelles solutions et de nouveaux programmes.Note de bas de page 14

On constate cependant qu'il n'existe pas encore d'organisation adéquate permettant une consultation rapide de l'ensemble des groupes Indiens du Canada. Les raisons de cette carence sont les suivantes:

  1. le grand nombre et la dispersion des bandes sur un vaste territoire;
  2. les différences linguistiques;
  3. la non-représentativité des diverses associations indiennes;
  4. les degrés divers de l'avancement des bandes;
  5. la réticence traditionnelle des Indiens à exprimer clairement leur opinion;
  6. les jalousies tribales

Pour contourner ces difficultés, la Direction des affaires indiennes a pensé mettre sur pied des comités régionaux de consultation des Indiens ("Indian Regional Advisory Committee") qui seront invités à donner leurs avis et à faire des recommandations sur les grandes lignes de la politique concernant les affaires indiennes, comme la législation nouvelle, les ententes fédérales-provinciales, l'amélioration des programmes déjà existants et l'établissement de nouveaux programmes.

Ces mesures destinées à améliorer la participation des Indiens à l'administration de leurs affaires correspondent aux recommandations du dernier Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur les affaires indiennes qui a remis son rapport final en 1962. Ce Comité a recommandé au gouvernement d'accorder "plus d'autorité et de responsabilité aux conseils de bandes et aux Indiens pris individuellement en limitant par voie de conséquence l'autorité et le contrôle ministériels" et d'encourager "les Indiens à accepter et à exercer une telle autorité et une telle responsabilité."Note de bas de page 15 Les principaux changements proposés par le Comité pour améliorer la participation des Indiens concernent l'utilisation, l'administration et la mise en valeur des ressources des réserves, l'élection et l'autorité des conseils de bandes, l'utilisation et la gestion des deniers des bandes. On recommande que les terres des réserves soient administrées par les bandes ou par les individus lorsqu'ils en sont jugés capables, que le conseil de bande ait plus de responsabilité et d'autorité, qu'il ait le contrôle des deniers de la bande et qu'il ait plus de latitude en matière de crédit

La nouvelle idéologie est donc bien différente de l'ancienne idéologie paternaliste qui ne permettait pas aux Indiens de faire quoi que ce soit pour améliorer leur condition.

Cette nouvelle idéologie peut se résumer dans les termes suivants : … the essential ingredient for the full success on all our operations - full participation by the indian people under their own leaders."l Cette formule définit plus un plan d'action qu'une réalité, car, comme nous l'avons vu, bon nombre de bandes n'ont pas encore été touchées par cette nouvelle politique et contribuent trés peu, sinon pas du tout, à l'administration de leurs propres affaires. Par ailleurs, tant que la Loi sur les Indiens ne sera pas amendée, elle constituera un frein à une prise d'autonomie compléte de la part des bandes d'indiens.

L'autonomie relative dont jouissent actuellement certaines bandes plus avancées est loin d'être compléte. La Direction des affaires indiennes garde toujours un dernier droit de contrôle sur l'administration des terres et des deniers des Indiens. Il est vrai que des individus ou des bandes peuvent demander leur émancipation compléte et l'obtenir, mais ils perdent alors leurs statuts d'Indiens et de bandes indiennes et tous les priviléges qui y sont rattachés.

C'est l'objectif ultime du gouvernement fédéral d'accorder l'autonomie compléte aux bandes d'Indiens et de les libérer de la tutelle gouvernementale. La citation suivante le démontre sans équivoque:

…Aussi longtemps que les Indiens ne pourront pas se passer de nos services, nous ne saurions prétendre avoir atteint notre objectif ultime. …Toute l'aide que nous accordons aux Indiens doit, d'une maniére ou d'une autre, les préparer pour le jour où nous leur transmettrons éventuellement tous les pouvoirs.Note de bas de page 17

On veut cependant que, même aprés être devenues indépendantes, les bandes conservent les avantages culturels et économiques dont elles ont hérité. Le systéme proposé est le suivant: que les bandes deviennent des véritables municipalités autonomes dans le cadre des structures provinciales-municipales.Note de bas de page 18

Qu'adviendra-t-il alors du systéme des réserves? Selon un fonctionnaire, un bon nombre d'Indiens ne veulent ni abandonner leur réserve ni que le gouvernement abandonne le systéme des réserves.Note de bas de page 19 Ces Indiens sont encore en compléte dépendance vis-à-vis le gouvernement fédéral et ne sont pas prêts à assumer leurs propres responsabilités. Par ailleurs, il n'est pas question pour le gouvernement de déloger de force les Indiens de leurs réserves mais plutôt de remplacer le statut de réserve par un statut de communauté autonome ou de municipalité. Ainsi, les Indiens pourront conserver un sentiment d'appartenance à une communauté sociale et culturelle.

L'idéologie du gouvernement fédéral n'est cependant pas trés claire en ce qui concerne le systéme des réserves. Il ne semble toutefois pas qu'on veuille l'abandonner pour le moment.

bb) L 'intégration versus l'assimilation des Indiens Par intégration des Indiens, il faut entendre leur pleine participation à la vie économique et sociale du Canada, combinée à la rétention de certaines de leurs caractéristiques culturelles comme la fierté de leurs origines, la connaissance de leur histoire, la transmission de traditions et la conservation de leur langue.

Dans plusieurs documents, l'intégration des Indiens à la vie économique et sociale du Canada est définie comme un des objectifs à long terme de la politique du gouvernement fédéral au sujet des affaires indiennes.Note de bas de page 20

L'objectif fondamental du gouvernement fédéral dans l'administration des affaires indiennes est d'aider les Indiens à participer pleinement à la vie sociale et économique du Canada

Lit-on, en page 7 du document sur l'Administration des affaires indiennes.

A cet objectif primordial se rattachent les campagnes spéciales du gouvernement dans le domaine de l'éducation, du développement économique, du bien-être social et de l'aménagement communautaire. Toutes ces campagnes prévoient que la population indienne partagera un jour les droits et responsabilités des citoyens canadiens et participera sur un pied d'égalité à tous les aspects de la vie canadienne.Note de bas de page 21

L'idée de placer les Indiens sur un pied d'égalité avec les autres citoyens canadiens occupe une place trés importante dans la nouvelle idéologie. On désire que les Indiens jouissent du même niveau de vie et aient les mêmes chances que les non-Indiens. A preuve, les deux passages suivants:

C'est l'opinion publique qui a favorisé la politique actuelle, qui consiste à encourager les Indiens à s'engager à fond dans la concurrence économique, sur un pied d'égalité sociale avec les autres Canadiens.Note de bas de page 22
et:
Nous devons prévoir le jour où les Indiens auront, autant que tout autre groupe, la chance de participer aux plus grands avantages que le pays puisse offrir… Note de bas de page 23

C'est dans cette perspective que le droit de vote a été accordé sans restriction aux Indiens en âge de voter aux élections provinciales et aux élections fédérales. De même, les restrictions concernant la consommation de boissons alcooliques par les Indiens tendent à disparaître. Les autorités fédérales sont aussi d'avis que des ententes fédérales-provinciales plus nombreuses dans le domaine de l'éducation, du bien-être social et du développement économique contribueront à procurer aux Indiens la parité avec les autres citoyens des mêmes provinces.Note de bas de page 24

Les obstacles au changement culturel planifié qu'est l'intégration des Indiens selon la conception des administrateurs fédéraux, sont nombreux. L'éloignement géographique d'un grand nombre de bandes et l'insuffisance de l'éducation scolaire des Indiens sont deux obstacles majeurs. D'autres obstacles aussi importants sont d'ordre psychologique et culturel: ce sont la méfiance vis-à-vis les changements venant de l'extérieur et la timidité des Indiens à prendre des initiatives. La discrimination raciale n'est pas perçue comme un obstacle important, cependant. On envisage cette transition culturelle de l'état de ségrégation à l'état d'intégration compléte comme un processus long et difficile.

Dans certains textes, le processus d'intégration est clairement défini comme différent du processus d'assimilation:

il y aura progrés dans la mesure directe où l'opinion publique et les gouvernements comprendront que la participation des Indiens à la vie économique et sociale du Canada, suivant le principe de l'égalité des chances, ne doit pas nécessairement, de fait ne doit pas du tout être conditionnée par l'abandon de leur héritage, de leur culture, de leursréserves et des droits spéciaux qui leur ont été conférés à titre de premiers citoyens du pays, sauf si les Indiens eux-mêmes en décident ainsi.Note de bas de page 25

D'autres textes sont plus ambigus. Certains textes soulignent que les Indiens doivent conserver certaines valeurs culturelles à travers leur passage d'une société traditionnelle à une société moderne, mais on ne précise pas quelles sont ces valeurs. On ne fait pas allusion à la conservation de la langue qui est un facteur primordial dans la conservation de l'identité culturelle d'un groupe. On constate cependant que le changement culturel est inévitable, Note de bas de page 26 Cependant, il n'existe pas de conception d'ensemble et détaillée sur les différentes étapes du processus de changements culturels dont sont témoins les groupes indiens. L'idéologie du gouvernement fédéral aurait donc besoin d'être précisée sur le sujet de l'intégration.

3. L'éducation des Indiens: Instrument d'intégration

Parmi les divers moyens envisagés par les autorités fédérales pour favoriser l'intégration des Indiens à la société canadienne, l'éducation occupe une place de premiére importance. Le Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur les affaires indiennes le dit clairement dans les termes suivants:

Votre Comité est d'avis que c'est dans le domaine de l'éducation qu'on trouvera le principal moyen de réaliser pleinement, pour les Indiens et les non-Indiens, l'autodétermination, l'autonomie et le respect mutuel de leur héritage et de leur culture .. . . L'éducation s'impose comme un moyen indispensable, grâce auquel les Indiens pourront s'intégrer pleinement et efficacement à notre structure économique et sociale et y jouer effectivement le rôle qu'ils seront appelés à jouer au cours des années à venir, en leur qualité de porte-parole et de "leaders" de leur propre peuple.Note de bas de page 28

L'opinion du Comité est aussi celle de la Direction des affaires indiennes et ceci se traduit dans des mesures concrétes. Depuis plusieurs années, les efforts de la Direction se concentrent sur l'extension et l'amélioration des services d'éducation donnés aux Indiens. Une grande partie du personnel et une portion considérable du budget de la Direction sont consacrées à ces opérations scolaires.

On sait que le domaine de l'éducation revient normalement aux provinces en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Cependant, comme l'autorité légale sur les affaires indiennes appartient au gouvernement fédéral en vertu du même Acte, on a cru que l'éducation des Indiens revienne à sa charge.' Selon les articles 4 (3) et 113 à 122 de la Loi des Indiens, tous les "Indiens qui résident ordinairement dans les réserves ou sur des terres de la Couronne" peuvent profiter des services éducatifs gouvernementaux.Note de bas de page 29 Ces services sont gratuits, sauf pour les Indiens qui disposent de revenus spéciaux. ils sont "invités" à partager une partie des frais.

La politique du gouvernement fédéral au sujet de l'éducation des Indiens a beaucoup évolué depuis la seconde guerre mondiale. Avant cette date, l'éducation n'était pas considérée nécessaire pour l'ensemble des Indiens. Seuls ceux qui se trouvaient à proximité des villes pouvaient en bénéficier. On considérait que ceux qui vivaient dans des territoires éloignés n'en avaient pas besoin pour poursuivre leur genre de vie traditionnel à l'intérieur du systéme des réserves. Ces derniers, selon l'idéologie du temps, devaient être tenus à l'écart du monde industriel moderne. En conséquence, le systéme d'éducation scolaire mis à la disposition des Indiens laissait fort à désirer. Les écoles étaient peu nombreuses et le niveau de l'enseignement peu élevé. Seuls quelques centaines d'Indiens, et plus tard quelques milliers, fréquentaient l'école plus ou moins réguliérement.

Les premiéres écoles furent d'ailleurs fondées par des groupes religieux avant que le gouvernement fédéral prenne en main l'ensemble des opérations scolaires. La ségrégation des écoles était de régle et il n'était pas question pour des écoliers indiens de fréquenter les mêmes écoles que les écoliers blancs. Cet ancien systéme d'éducation a été jugé comme complètement inadéquat :

A la fin de la seconde guerre mondiale, les conditions qui prévalaient en éducation étaient trés loin d'être satisfaisantes. Les lacunes les plus graves à corriger étaient l'apathie générale, les absences, l'insuffisance d'instituteurs et d'installations.Note de bas de page 30

Depuis 1945, la situation des écoles indiennes a changé considérablement par suite de la nouvelle orientation de l'idéologie gouvernementale. L'influence du monde extérieur sur la façon de vivre des Indiens étant jugée comme inévitable, on a cru nécessaire d'étendre les services éducatifs au plus grand nombre possible d'Indiens. Le systéme d'éducation s'améliora progressivement. De nouvelles écoles furent construites un peu partout, des professeurs compétents furent engagés. La population scolaire et le niveau de scolarités accrurent rapidement. Les chiffres témoignent éloquemment de cet essor phénoménal. De 1948 à 1964, la population scolaire indienne a passé de 23,285 à 55,475. Pendant cette même période, le nombre d'étudiants au niveau secondaire a passé de 700 à 5,000 environ. Pour sa part, le budget de l'éducation qui était d'environ cinq millions de dollars en 1948 a sextuplé et était de $3 1,500,000 en 1963. Ceci représentait un peu plus de la moitié du budget total du ministére des Affaires indiennes.Note de bas de page 31

C'est aussi à la nouvelle idéologie qu'il faut attribuer la mise en oeuvre d'un vaste programme d'intégration scolaire de jeunes Indiens. Ceux-ci fréquentent en nombre de plus en plus grand les mêmes écoles que les enfants non-indiens. Alors que moins de 100 enfants indiens fréquentaient des écoles intégrées en 1945, le nombre était de 22,764 en 1964. Ce chiffre représentait plus de 40% de toute la population scolaire indienne. (En 1967 plus de 50% de la population scolaire indienne fréquentait des écoles intégrées.) L'intégration scolaire est donc le point saillant de la nouvelle idéologie et ressort d'une attitude radicalement différente de l'ancienne attitude paternaliste des administrateurs gouvernementaux. Elle s'harmonise logiquement à la nouvelle politique d'intégration des Indiens à la vie canadienne.

Aprés avoir décrit briévement l'évolution de la politique fédérale vis-à-vis l'éducation des Indiens, il nous faut maintenant étudier plus en détail la nouvelle idéologie scolaire et sa mise en application. Pour ce faire, nous traiterons successivement des points suivants:

  1. La loi sur les écoles indiennes;
  2. les objectifs poursuivis dans l'éducation des Indiens;
  3. les types d'écoles fréquentées par les Indiens;
  4. les programmes scolaires et le personnel enseignant;
  5. l'éducation des adultes;
  6. la participation des Indiens à leur éducation; et

A. La loi sur les écoles indiennes

Une rapide analyse des articles 113 à 122 de la Loi sur les Indiens va nous permettre de situer le cadre légal à l'intérieur duquel s'exerce l'action des administrateurs fédéraux en matiére d'éducation scolaire des Indiens. L'article 113 stipule que le gouvernement peut signer des ententes avec les gouvernements provinciaux, avec des commissions scolaires et des institutions religieuses, en vue de favoriser l'éducation des enfants indiens. Selon l'article 115, les Indiens âgés de 7 à 17 ans sont tenus de fréquenter l'école et le Ministre peut obliger tout Indien à aller à l'école jusqu'à l'âge de 18 ans. Par ailleurs, le Ministre a aussi le droit de choisir l'école que fréquentera un enfant indien à condition de respecter ses croyances religieuses et de l'envoyer dans une école confessionnelle appropriée. Ainsi aucun enfant protestant ne sera forcé de fréquenter une école catholique et vice versa.' Le Ministre peut aussi nommer des agents de surveillance chargés de contraindre les enfants indiens en âge de le faire à fréquenter l'école.Note de bas de page 32

Les trois principes fondamentaux de la loi sur les écoles indiennes sont donc les suivants: (a) La possibilité pour le Gouvernement fédéral de confier à des organismes non-fédéraux la charge de dispenser l'enseignement aux enfants indiens ou d'administrer les écoles fréquentées par ceux-ci; (b) La liberté des parents de faire instruire leurs enfants dans la religion de leur choix; et (c) L'obligation pour les enfants de fréquenter l'école à partir de l'âge de 7 ans jusqu'à l'âge de 16 ans révolus, et la prévision de mesures coercitives dans les cas litigieux. Ces principes sont larges et la loi sur les écoles indiennes est imprécise quant aux modalités de son application. Les administrateurs ont donc passablement de latitude dans la définition des objectifs à atteindre et des moyens ou méthodes à employer pour les atteindre.

B. Les objectifs de l' éducation des Indiens

Comme nous l'avons souligné, l'objectif global de l'actuelle idéologie des fonctionnaires fédéraux au sujet des Indiens est fondé sur la nécessité de l'intégration des Indiens à la société canadienne. L'éducation est conçue comme la principale technique pour atteindre cet objectif. Les objectifs dérivés sont d'assurer aux Indiens un bien-être économique et social égal à celui des non-Indiens et de les doter des connaissances nécessaires pour qu'ils puissent vivre adéquatement dans leur milieu. Ces objectifs sont ainsi définis dans le document portant sur l'Administration des affaires indiennes:

Le régime d'enseignement administré par la Direction des affaires indiennes essaie de favoriser un programme éducatif complet pour chaque enfant indien conformément à ses besoins, aux conditions locales et aux désirs de ses parents. Son objectif est de venir en aide à la population indienne en comblant le fossé socioéconomique qui sépare les Indiens des non-Indiens au Canada, et de fournir à chaque enfant l'éducation et la formation nécessaire pour lui garantir l'indépendance économique. Note de bas de page 34

En conséquence, on veut élever le niveau de l'éducation scolaire des Indiens jusqu'à un niveau quivalent à celui de la province qu'ils habitent et les préparer pour des emplois salariés et ventuellement, pour la vie urbaine. "Pour permettre aux éléves indiens d'atteindre aux mêmes normes d'instruction que les autres éléves de la province". Note de bas de page 35 On voit dans l'intégration scolaire des Indiens avec les non-Indiens le principal moyen d'atteindre cet objectif à long terme. Plusieurs textes sont explicites sur ce sujet. Nous en choisirons trois à titre d'exemples.

C'est la pratique du Ministére d'éduquer les enfants Indiens partout où la chose est possible avec d'autres enfants, surtout lorsque les commodités sont accessibles, dans un systéme scolaire provincial à la condition que les Indiens l'approuvent.Note de bas de page 36

La planification d'ensemble .. - repose sur l'hypothése que tous les enfants indiens devraient recevoir leur instruction conjointement avec les autres enfants canadiens.Note de bas de page 37

Le programme d'intégration scolaire des Indiens constitue le point central de la politique du gouvernement fédéral en matiére d'éducation des Indiens. Nous parlerons plus amplement des écoles intégrées dans la partie qui suit immédiatement et qui porte sur les types d'écoles fréquentées par les Indiens.

C. Les types d' écoles fréquentées par les Indiens

Selon les conditions du moment et du milieu, l'enseignement scolaire aux Indiens est dispensé dans trois grandes catégories d'écoles: (a) des écoles confessionnelles; (b) des écoles fédérales; et (e) des écoles intégrées. A travers l'évolution des types d'écoles fréquentées par la majorité des éléves indiens, l'on peut voir facilement les changements dans la politique fédérale sur l'éducation des Indiens.

(a) Les écoles confessionnelles

Le terme "écoles confessionnelles" n'est pas utilisé par opposition à "écoles fédérales," car on dispense aussi l'enseignement religieux dans ces écoles, mais veut plutôt désigner des écoles fondées et administrées par des dénominations religieuses. Historiquement les écoles confessionnelles furent les premiéres à être mises à la disposition des Indiens, l'éducation des enfants ayant toujours été un champ d'action privilégié pour l'activité missionnaire des différentes Églises. Aprés que le gouvernement fédéral eût pris à sa charge l'éducation des Indiens, ces Églises continuérent à s'intéresser à l'éducation des Indiens et se virent confier la direction des pensionnats indiens. Les quatre dénominations religieuses suivantes continuent à jouir de ce privilége historique: l'Église Catholique Romaine, l'Église Anglicane, l'Église Unie, et l'Église Presbytérienne. Cette association traditionnelle des confessions religieuses à l'éducation des jeunes Indiens a aussi fait que cet enseignement est demeuré confessionnel selon le libre choix des parents, dans des écoles opérées par le gouvernement fédéral aussi bien que dans les pensionnats.

Aujourd'hui, seuls quelques pensionnats appartiennent encore au clergé catholique. Ils sont administrés par des religieux "grâce à une subvention per capita versée aux autorités ecclésiastiques pour chaque enfant dont l'admission dans ces écoles a été autorisée par la Direction." De nombreux autres pensionnats appartenant au gouvernement fédéral sont "dirigés par une administration religieuse à la suite d'accords financiers fondamentaux conclus avec la Direction".Note de bas de page 39 Nous reparlerons des pensionnats dans la catégorie suivante d'écoles.

L'intérêt historique des confessions religieuses est donc encore reconnu par le gouvernement fédéral, même si l'apport de ces confessions se limite maintenant principalement à l'administration des pensionnats mis à la disposition des Indiens par le Fédéral.

(b) Les écoles fédérales Les écoles fédérales fréquentées par les Indiens sont de trois types: des externats, des internats ou pensionnats, et des écoles d'hôpitaux.

1 Les externats

Les externats sont situés sur les réserves et dispensent l'enseignement scolaire aux jeunes Indiens qui résident dans ces réserves, ils ne reçoivent donc que des éléves indiens. Ce type d'écoles correspond à l'idéologie du passé qui voulait que les Indiens demeurent sur les réserves et soient préparés uniquement pour la vie des réserves, il existe cependant encore de nombreuses réserves éloignées où l'établissement d'écoles intégrées demeure impossible et où la formule des externats demeure la seule solution pratique pour faire profiter les Indiens d'une éducation scolaire de base. Actuellement le nombre des externats et le nombre des éléves qui les fréquentent tendent à demeurer stationnaires. Ce fait est attribuable à la nouvelle idéologie de l'éducation qui veut que les enfants indiens fréquentent les mêmes écoles que les enfants non-indiens partout où cela est possible.

2 Les internats ou pensionnats

Les internats ou pensionnats sont établis pour les orphelins, les enfants de parents séparés et ceux qui ne peuvent suivre les cours des externats à cause de l'éloignement ou du mode de vie nomade de leurs familles.Note de bas de page 40

Comme nous l'avons vu, toutes ces écoles sont administrées par des autorités religieuses, et financées par le gouvernement fédéral. Depuis quelques années, on remarque une évolution dans la conception des pensionnats suivant en cela l'évolution de l'idéologie fédérale sur l'éducation des Indiens. Autrefois, les pensionnats maintenaient la ségrégation en dispensant leur enseignement aux seuls Indiens. Aujourd'hui, les pensionnats tendent à devenir des foyers scolaires où les jeunes Indiens qui fréquentent des écoles intégrées loin de leurs familles, prennent pension.

Six de ces écoles sont maintenant utilisées seulement comme foyers pour les éléves qui fréquentent les écoles non-indiennes, tandis que vingt reçoivent des nombres variés d'étudiants de foyers.Note de bas de page 41

3 Les écoles d'hôpitaux

Les nombreux enfants indiens qui sont dans les hôpitaux et les sanatoriums gouvernementaux pour une longue période de temps peuvent jouir d'un enseignement scolaire grâce à ces écoles d'hôpitaux.

L'enseignement n'est pas limité aux Indiens d'âge scolaire et on donne une formation aux enfants d'âge préscolaire et aux adultes. Note de bas de page 42

En 1960-61, 293 écoliers indiens fréquentaient ces écoles.

(c) Les écoles intégrées

Le programme d'intégration scolaire des Indiens que poursuit la Direction des affaires indiennes est mis en application par ce qu'il est convenu d'appeler des "écoles intégrées" dans lesquelles Indiens et non-Indiens reçoivent un enseignement en commun. Dans la plupart des cas, ces écoles font partie d'un systéme scolaire provincial. En plus de favoriser l'intégration des jeunes Indiens à la société canadienne, on estime que l'intégration scolaire a permis d'améliorer considérablement le niveau des cours disponibles. L'enseignement secondaire et supérieur dispensé aux Indiens reléve généralement des systémes provinciaux d'éducation. Cette pratique allége les Affaires indiennes d'un fardeau administratif considérable. Le gouvernement fédéral continue cependant à assumer les frais des opérations.

La fréquentation des écoles intégrées par les jeunes Indiens est assurée par des ententes conjointes entre la Direction des affaires indiennes et les commissions scolaires intéressées. Les principes fondamentaux régissant ces ententes sont les suivants:

aa) Le gouvernement fédéral s'engage à payer une partie des frais d'administration de l'école pour chaque Indien admis et une part du capital investi dans toute construction nouvelle destinée à être fréquentée par des éléves indiens.

bb) La commission scolaire s'engage à admettre les éléves indiens dans ses écoles et à veiller à ce qu'ils soient traités sur le même pied que les autres éléves.

cc) Aucune entente conjointe n'est signée sans l'assentiment au préalable des parents indiens. En 1964, le nombre de ces ententes conjointes s'élevait à plus de 200.

A cause de l'immense travail administratif que représentent ces multiples accords individuels, les autorités fédérales souhaitent établir des ententes globales avec les divers gouvernements provinciaux selon lesquelles un taux per capita serait versé aux provinces pour l'admission dans leurs écoles des enfants indiens. De telles ententes globales existent actuellement entre les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Manitoba et le gouvernement fédéral.

La Direction des affaires indiennes estime que, régle générale, les parents indiens se montrent favorables à ce que leurs enfants fréquentent des écoles intégrées. Les enfants indiens ne semblent pas avoir trop de difficultés à se faire des amis parmi leurs camarades non- indiens. Par ailleurs, les parents se réjouissent de voir leurs enfants traités sur un pied d'égalité avec les autres enfants et réussir aussi bien qu'eux. Le sentiment d'infériorité engendré par la ségrégation scolaire et par le systéme des réserves tend aussi à disparaître peu à peu.Note de bas de page 43

La Direction enregistre aussi certaines oppositions à leur programme d'intégration scolaire de la part des Indiens. Certains s'y opposent pour des raisons religieuses, d'autres par crainte de perdre leur identité ethnique. Une association indienne a prétendu que le programme d'intégration scolaire était tout à fait insatisfaisant et ne faisait qu'élargir le fossé entre les Indiens et les non-Indiens. Une autre association d'Indiens a conseillé au gouvernement d'y aller plus lentement dans sa politique d'intégration. Finalement d'autres voient dans cette politique une machination de la part du gouvernement fédéral pour abandonner ses responsabilités aux provinces ou aux communautés indiennes. Note de bas de page 44

Malgré ces quelques oppositions, la Direction considére son programme d'intégration scolaire comme une réussite et prévoit continuer dans le même sens en autant que la collaboration de la majorité des Indiens lui sera assurée. Par ailleurs, on souhaite que les provinces assument des responsabilités plus grandes dans l'éducation des Indiens en acceptant l'intégration scolaire compléte et la conclusion d'ententes globales. L'objectif final est donc l'intégration compléte des écoles fréquentées par les Indiens aux systémes scolaires provinciaux.

D. Les programmes scolaires et le personnel enseignant

Dans cette section portant sur les programmes de cours et le personnel enseignant, nous analyserons la politique du gouvernement fédéral sur les points suivants:

  1. la langue d'enseignement;
  2. les cours académiques et les cours pratiques;
  3. les cours spécialisés et l'apprentissage;
  4. le personnel enseignant.

La langue fait partie intégrante d'une culture envisagée dans le sens anthropologique du terme. De plus, selon des linguistes, la structure de la langue détermine les catégories mentales et la façon de penser des gens qui l'ont héritée de leurs parents. Nul ne contestera non plus le fait que la langue parlée et écrite est un instrument essentiel dans les processus de transmission de la connaissance et d'apprentissage. Dans le domaine de l'éducation scolaire, il y a une relation directe entre la maîtrise de la langue et les progrés réalisés dans l'apprentissage. Pour toutes ces raisons, la question de la langue d'enseignement dans les écoles fréquentées par les Indiens est donc d'une importance capitale. Les jeunes Indiens qui doivent suivre des cours dans une langue qui n'est pas leur langue maternelle ont plus de difficultés à réussir que les autres enfants, principalement durant les premiéres années du cours. Ce probléme de la langue d'apprentissage est reconnu par un administrateur fédéral, soit le Directeur de l'enseignement des Indiens.

… à l'école, les enfants indiens font preuve d'incapacité linguistique. ils peuvent arriver à parler anglais, mais leur vocabulaire est restreint, comparé à celui des jeunes Blancs. Note de bas de page 45

… Certains problémes particuliers aux enfants indiens, dans les écoles non-indiennes, découlent des différences de langue et de culture. Ce n'est pas que les enfants indiens soient moins capables d'apprendre, mais ils ont plus de choses à apprendre.Note de bas de page 46

La principale solution à ce probléme et proposée par le même administrateur est la suivante:

la solution la plus sage consiste à admettre le plus tôt possible les enfants indiens dans les écoles non-indiennes.Note de bas de page 47

Deux autres solutions complémentaires consistent dans l'établissement d'écoles maternelles où le jeune Indien pourra apprendre les rudiments de la langue d'enseignement avant de suivre un enseignement académique formel en anglais ou en français, et dans l'intensification et l'amélioration des cours de langue dans les premiéres années du cours primaire.

Nous n'avons pas rencontré de texte proposant que l'enseignement ou qu'une partie de l'enseignement se fasse dans une langue indienne ou qu'il y ait des cours de langues indiennes. Il est vrai que la chose est plus difficilement réalisable dans les écoles intégrées que dans les écoles de réserve, mais il est concevable que même dans les écoles intégrées, les jeunes Indiens améliorent la connaissance écrite et parlée de leur propre langue, même si pour cela, il leur faut suivre des cours spéciaux. La pénurie d'un personnel qualifié dans l'enseignement des langues indiennes est la principale explication de cette lacune importante.

La politique du gouvernement sur la conservation des langues indiennes est ambiguë. Il semble qu'on évite de se prononcer ouvertement sur ce sujet. Cependant par le peu de cas que l'on fait de l'enseignement des langues indiennes dans les programmes de cours, il semble bien qu'on permette que les langues indiennes soient abandonnées au profit de la langue anglaise . . . et de la langue française (dans le Québec). Le grand nombre des langues indiennes et des dialectes ainsi que la nécessité de l'intégration à la société canadienne pourraient justifier cette mesure.

II faut alors se demander si l'intégration ne deviendra pas alors une véritable assimilation. La perte de la langue chez une population entraîne presque inévitablement la perte de son identité ethnique propre et de ses traditions culturelles.

(b) Les cours académiques et les cours pratiques

Dans le passé, le systéme d'écoles de réserves et d'internats avait une programmation de cours ambivalente conçue pour dispenser à la fois des rudiments de connaissances scolaires et pour favoriser l'initiation aux techniques reliées aux occupations traditionnelles telles que la chasse, la pêche et la trappe. Or, il arrivait que les jeunes Indiens qui fréquentaient l'école pendant quelques années sans terminer leurs études n'étaient bien préparés ni pour la vie hors réserve ni pour exercer une occupation traditionnelle. Ils étaient condamnés à demeurer oisifs sur les réserves et à être des dépendants du gouvernement. Aujourd'hui, la nouvelle politique scolaire favorise surtout les cours académiques dans sa programmation.' Au niveau secondaire, technique et universitaire, les programmes de cours sont exactement les mêmes que ceux des provinces, puisque la plupart des jeunes Indiens qui poursuivent leurs études aprés le niveau primaire fréquentent des institutions provinciales. Au niveau primaire, les écoles intégrées suivent le programme provincial. Les écoles de. réserve se conforment aussi à ce programme, mais dispensent des cours supplémentaires de langue. C'est ainsi que dans les écoles anglaises, les instituteurs sont tenus de donner une demi-heure de cours d'anglais oral chaque jour pour les éléves de la premiére à la sixiéme année. Des cours d'économie domestique pour les filles et d'arts industriels pour les garçons complétent le programme d'étude partout où cela est possible. On voit donc que la programmation scolaire dans les écoles fréquentées par les Indiens correspond à l'objectif que s'est donné le gouvernement fédéral.

(c) L 'enseignement spécialisé, l'apprentissage et les programmes de placement

On ne saurait trop insister sur l'importance de la formation professionnelle et technique. On nous a signalé que les Indiens avaient de grandes aptitudes naturelles et qu'il faudrait tirer meilleur parti des installations disponibles pour ce genre de formation.

Telle est l'opinion du Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur les affaires indiennes qui recommande aussi une plus grande participation de la Direction des affaires indiennes dans l'enseignement spécialisé.Note de bas de page 48 Une attention spéciale est accordée aux jeunes âgés de 16 à 25 ans qui s'adaptent plus facilement à la vie urbaine. Ces deux programmes sont encore à leurs débuts et doivent se développer dans les années à venir. Comme pour les autres mesures ils ont pour but ultime d'intégrer les indiens à la société canadienne.

(d) Le personnel enseignant

Dans le passé, c'est-à-dire avant 1945, la rareté du personnel enseignant qualifié affectait considérablement le développement d'un systéme d'éducation adéquat pour les Indiens. Aujourd'hui, bien que le recrutement du personnel pour les écoles indiennes demeure difficile, environ 90% des instituteurs sont diplômés. La politique du gouvernement est de n'engager que du personnel qualifié pour enseigner dans les écoles indiennes. Environ les deux tiers de ce personnel sont des femmes. Par ailleurs, en 1960-61, 121 instituteurs indiens enseignaient dans les écoles indiennes, ce qui représentait un peu moins de 10% de tout le personnel enseignant.Note de bas de page 51

On reconnaît aussi le besoin d'un entraînement spécial pour les instituteurs qui enseignent dans les écoles indiennes pour qu'ils soient mieux préparés à comprendre l'arriére-plan culturel des Indiens et à faire face aux problémes posés par les relations inter-ethniques.

Des cours d'été en sociologie, en anthropologie, en psychologie et en histoire indienne ont été organisés à cette fin dans des universités canadiennes et le personnel enseignant des coles indiennes est encouragé par le gouvernement fédéral à suivre ces cours.

Par ailleurs, la Direction encourage la formation d'instituteurs indiens compétents en offrant une assistance financière à ceux qui sont désireux de devenir instituteurs et d'aider leurs frères.Note de bas de page 52 Cependant, les instituteurs ainsi formés ne sont pas tenus par le gouvernement indien à enseigner dans des écoles indiennes.

La politique du gouvernement fédéral en ce qui concerne le personnel enseignant des écoles indiennes favorise donc l'engagement d'instituteurs qualifiés et la formation de professeurs d'ascendance indienne.

E. L'Éducation des adultes

Pour compléter le systéme d'éducation et reprendre une partie du terrain perdu, la Direction des affaires indiennes a organisé un programme d'éducation des adultes et un programme de récupération scolaire ("upgrading program"). Le programme d'éducation des adultes s'adresse principalement aux Indiens illettrés habitant les postes éloignés et à ceux qui ont trés peu fréquenté l'école. Le but est de donner à ces adultes une éducation scolaire de base en leur apprenant à lire, à écrire, et à compter. En 1960-61, 1,590 adultes suivaient ces cours.

Les cours de récupération s'adressent aux Indiens jeunes et moins jeunes qui ont abandonné l'école avant d'avoir terminé leurs études mais qui possédent plusieurs années de scolarité. Ces cours ont trois objectifs:

  1. parfaire les connaissances académiques des sujets de sorte qu'ils puissent choisir une carriére;
  2. leur fournir un apprentissage dans un métier convenant à leur goût et à leurs aptitudes; et
  3. informer les sujets sur les perspectives de travail et sur les avantages et les

indiennes et dispensés dans diverses universités à travers le pays.Note de bas de page 53 Ces divers programmes complémentaires d'éducation sont destinés à améliorer les connaissances des Indiens qui n'ont pu aller à l'école ou dont la préparation est insuffisante, et à faciliter leurs relations de plus en plus fréquentes avec la société canadienne.

F. La participation des Indiens au processus d' éducation

Alors que les Indiens n'avaient rien à faire autrefois dans le processus de leur éducation, aujourd'hui la nouvelle politique fédérale leur permet une participation plus grande. Cette participation accrue se manifeste de trois façons: par la formation d'un nombre croissant d'instituteurs indiens, par l'existence d'associations parents indiens-maîtres d'écoles et par les comités scolaires indiens. Nous avons déjà parlé précédemment des instituteurs indiens. Malgré leur nombre relativement peu élevé, ils affirment le désir du gouvernement de confier à des autochtones l'enseignement dans les écoles indiennes lorsque la chose est réalisable. Comme nous l'avons vu, le gouvernement finance aussi la formation d'instituteurs indiens par l'octroi de bourses. Les portes semblent grandes ouvertes dans ce domaine. Il reste aux Indiens à profiter des occasions qui leur sont offertes. Quelques groupes de parents indiens à travers le Canada font partie d'associations parents-maîtres ou d'autres associations du même genre. ils ont l'occasion de donner leur opinion et de faire des suggestions aux maîtres d'écoles sur l'enseignement scolaire que reçoivent leurs enfants. Ces associations ne sont pas encore trés nombreuses et on remarque que ce sont les parents les plus instruits qui s'intéressent le plus à l'éducation de leurs enfants. C'est ainsi que "l'alphabétisation croissante de la population indienne est un des facteurs qui contribuent le plus à accroître cet intérêt croissant pour l'instruction," lit-on dans le document

sur l'administration des affaires indiennes.Note de bas de page 54

La nouvelle politique fédérale veut donc promouvoir la participation des parents indiens à l'administration des affaires scolaires et en général au processus d'éducation de leurs enfants.

4. Le profil de l'idéologie fédérale

La politique des administrateurs fédéraux dans l'administration des affaires indiennes a tellement évolué qu'il est plus juste de parler de deux ou plusieurs idéologies plutôt que d'une seule et même idéologie. L'ancienne idéologie qui est demeurée forte jusqu'à 1945 en voulant assurer la protection des Indiens a favorisé le paternalisme de la part des administrateurs et développé un sentiment de dépendance de la part des Indiens. Mais cette idéologie n'a pas favorisé le développement social et économique de la plupart des groupes indiens et dans cette ligne de pensée, on n'accordait pas grande importance à l'éducation scolaire des Indiens. Là où ils existaient, les écoles de réserves et les pensionnats perpétuaient la ségrégation raciale et visaient surtout à préparer les jeunes Indiens pour la vie des réserves. On leur enseignait les connaissances académiques de base en plus de leur dispenser des cours pratiques sur les techniques relatives aux occupations traditionnelles. Les Indiens n'étaient pas préparés pour entrer en contact avec le monde de l'extérieur.

Pourtant ces contacts se firent de plus en plus nombreux. Quand l'acculturation des Indiens par la société canadienne dominante fut jugée inévitable on assista à un changement de l'idéologie. A partir de 1945, une nouvelle idéologie a commencé à prendre corps et à se développer lentement et on s'est appliqué à la définir plus clairement pendant ces derniéres années (1960-1965).

La nouvelle idéologie favorise une intégration progressive des Indiens à la grande famille canadienne qui s'étend d'un océan à l'autre. Comme les divers groupes indiens dispersés à travers le Canada sont dans des situations économiques et sociales fort différentes les unes des autres, la durée du processus d'acculturation et d'intégration variera considérablement d'un groupe à l'autre. L'objectif ultime à atteindre est le suivant: que les Indiens soient placés sur le même pied que les autres citoyens du pays et qu'ils jouissent des mêmes services et du même niveau de vie. Dans cette optique, les gouvernements vont favoriser une participation de plus en plus grande des Indiens à la direction de leurs affaires jusqu'à ce qu'ils puissent en assurer la pleine responsabilité. L'intégration scolaire qui permet aux jeunes Indiens de fréquenter les mêmes écoles que les non-Indiens est encouragée comme étant le principal moyen pour réaliser l'intégration sociale compléte. La nouvelle politique tend donc à favoriser au maximum la fréquentation d'écoles intégrées par les jeunes Indiens. Les programmes de cours sont aussi conçus dans l'optique intégrationniste. Enfin, on veut augmenter la participation d'Indiens adultes au processus d'éducation par les comités scolaires indiens, véritables embryons de futures commissions scolaires. Dans l'esprit du gouvernement fédéral, le succés de l'intégration sociale dépend dans une large mesure du succés du programme d'éducation et du programme d'intégration scolaire.

Dans l'ensemble, la nouvelle idéologie est donc favorable à l'amélioration du statut économique et social des Indiens et à la prise en main de la direction de leurs affaires par les communautés indiennes.

Cette idéologie comporte cependant quelques lacunes ou omissions et des ambiguïtés. La politique du gouvernement sur la conservation des langues et des traditions culturelles indiennes n'est pas précise, par exemple. Régle générale, on ne semble pas leur accorder grande importance. Ceci rend plus difficile la distinction entre une politique d'intégration et une politique d'assimilation qui permet la perte des principales valeurs culturelles du groupe ethnique intégré.

Par ailleurs, il faut se demander si cette nouvelle idéologie transparaît dans la réalité. A ce sujet, il faut se poser deux questions. Cette idéologie qui est définie par les hauts fonctionnaires est-elle mise intégralement en application par les fonctionnaires subalternes?

Dans de nombreux cas, il est permis d'en douter. Cette idéologie serait-elle plus ou moins officielle pour se donner bonne conscience devant l'opinion publique et pour cette raison serait- elle appliquée en partie seulement?

Seule l'analyse de la réalité sociale dans un chapitre suivant nous permettra de répondre à ces questions. Auparavant, il est bon de préciser en toute justice que la nouvelle idéologie est récente et qu'elle n'a pas pu être mise en application complétement dans ses objectifs à long terme. Par ailleurs, la réalité sociale indienne est tellement complexe qu'il est impossible d'espérer une application parfaite de l'idéologie.

II. LES IDÉOLOGIES DES GOUVERNEMENTS PROVINCIAUX

1. L'intérêt croissant des provinces pour l'éducation des Indiens

L'intérêt des gouvernements provinciaux pour l'éducation des Indiens est récent. Lorsque, aprés la derniére guerre, le gouvernement canadien a lancé son programme d'intégration scolaire, les provinces étaient fort sceptiques sur les résultats et gardérent le statu quo.' Comme l'expérience s'avéra une réussite, l'intérêt de certaines provinces s'éveilla et eut pour résultat de favoriser l'admission d'un nombre de plus en plus considérable d'éléves indiens dans les écoles provinciales. La province de la Colombie-Britannique signa une entente globale avec le Gouvernement central pour l'admission des enfants indiens dans ses écoles. Par ailleurs, la province d'Alberta a établi un district scolaire presque uniquement en vue d'améliorer les conditions de l'enseignement scolaire aux Indiens: la Northland School Division.

Voulant profiter de cet intérêt croissant de la part des provinces pour l'éducation des Indiens et dans le but d'améliorer le niveau de scolarité le gouvernement fédéral proposa aux provinces une collaboration plus étroite et un partage des responsabilités.

Cette proposition n'eut pas le même accueil dans toutes les provinces. Ces derniéres n'ont pas toutes la même idéologie ni le même intérêt envers l'éducation des Indiens. Certaines sont prêtes à assumer plus de responsabilités tandis que d'autres se montrent réticentes ou indifférentes. Les arrangements financiers sont la principale source de désaccord.

2. La Colombie-Britannique

En Colombie-Britannique, la Commission Royale d'enquête sur l'Éducation a constaté que le programme d'intégration scolaire poursuivi par la Direction des affaires indiennes en collaboration avec le ministére de l'Éducation de la Province et diverses commissions scolaires, était une réussite dans son ensemble et devait être poussé plus avant. "The Commissioners conclude that the present trend toward integration is desirable and should be encouraged. The Commissioners gained the impression that, on the whole, the program of

integration was progressing in an encouraging manner."Note de bas de page 57 La Colombie-Britannique s'est déclarée en faveur de l'intégration des Indiens à la société canadienne et de la continuation du programme d'intégration scolaire. Les autorités de cette province reconnaissent aussi que les Indiens ont droit aux mêmes priviléges et aux mêmes services que les autres citoyens du pays. La province est prête à-étendre ses services aux Indiens dans le domaine de l'éducation à condition que le gouvernement fédéral paie une part des coûts en vertu des responsabilités qui lui sont conférées par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

3. La Saskatchewan

La province de la Saskatchewan favorise aussi l'intégration des Indiens à la société canadienne pour qu'ils puissent jouir du même niveau de vie que les autres Canadiens. Dans cette perspective, on considére comme désirable l'extension des services provinciaux au bénéfice des Indiens. On pense aussi que cette opération peut être réalisée sans altérer les droits traditionnels et le statut légal des Indiens, mais l'assentiment et la coopération des Indiens sont des conditions essentielles au succés de l'entreprise.

Cette province est en faveur de l'intégration des écoles de réserve dans les districts scolaires provinciaux. On espére aussi que, dans un avenir rapproché, les parents indiens puissent administrer les écoles fréquentées par leurs enfants.'

Dans un mémoire présenté au Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur les affaires indiennes, il est affirmé par les représentants de la Saskatchewan que l'éducation est considérée comme le service le plus important dispensé aux Indiens par la Direction des affaires indiennes et, qu'en conséquence, une plus grande attention devrait lui être accordée. Dans le même document, la province se montre favorable à l'intégration scolaire des Indiens et opposée au systéme des pensionnats parce qu'ils favorisent la ségrégation.

En ce qui concerne les programmes de cours et le personnel enseignant, on propose les mesures suivantes:

  1. l'établissement d'écoles maternelles;
  2. le développement d'un programme de cours spécialisés et l'apprentissage de métiers;
  3. un programme d'orientation professionnelle;
  4. un programme d'éducation des adultes;
  5. des cours spéciaux portant sur les cultures indiennes pour le personnel enseignant.

4. L'Alberta

Les représentants de la province d'Alberta sont aussi d'avis que la politique à long terme doit être l'intégration des Indiens à la société canadienne, à condition qu'ils puissent conserver leur identité ethnique. Cet objectif ne pourra être réalisé selon eux que dans la mesure où les Indiens voudront obtenir cette égalité sociale et économique. Actuellement, ils jouissent d'un statut légal particulier et différent de celui des autres citoyens et ils sont tenus à l'écart par le systéme des réserves. Tant que la Loi sur les Indiens ne sera pas changée, ceux-ci ne pourront pas être sur le même pied que les autres citoyens de la province. Par ailleurs, les Indiens doivent être encouragés à assumer les droits et priviléges des autres citoyens canadiens et à jouir des mêmes services. Dans le même ordre d'idée, on veut favoriser la participation des Indiens dans la prise de décisions sur les sujets qui les concernent et dans l'administration de leurs affaires. Les Indiens qui assument des responsabilités s'acquittent fort bien de leur tâche. "Indians of my acquaintance who are given responsibiities without the paternalistic attitudes seem to respond very well." La vitesse et le degré d'acculturation des Indiens ne doivent pas être définis de l'extérieur mais par les Indiens eux-mêmes.

En ce qui a trait à l'éducation, les responsables du gouvernement d'Alberta sont d'avis que les Indiens doivent avoir les mêmes chances que les autres citoyens de la province. Pour cette raison, le ministére de l'Education a mis sur pied la Northland School Division. Dans les écoles de ce district scolaire, il n'existe aucune discrimination raciale et l'intégration scolaire est une réalité.Note de bas de page 58 On favorise aussi une plus grande participation des Indiens en matiére d'éducation et il est devenu possible pour les Indiens d'être élus commissaires d'écoles, même s'ils ne paient pas de taxes fonciéres. Le programme scolaire suivi par les Indiens est celui de la province à l'exception de quelques ajustements récents destiné à permettre l'étude des langues indiennes et de l'histoire locale, par les jeunes Indiens. Ces cours sont destinés à améliorer la connaissance de leurs propres traditions culturelles chez les éléves indiens et à accroître le sentiment de fierté de leurs origines, de même que la connaissance de leur milieu. On considére que les jeunes Indiens qui suivent des cours spécialisés doivent recevoir leur entraînement dans des centres urbains pour qu'ils soient habitués à la vie des villes et qu'ils puissent affronter plus facilement la concurrence des non-Indiens lorsqu'ils entreront sur le marché du travail. Dans l'idéologie de la province d'Alberta, le concept d'intégration est donc défini clairement: les Indiens doivent définir eux-mêmes le degré de leur intégration, tout en conservant une partie significative de leurs traditions culturelles et la fierté de leur identité ethnique.

5. Le Manitoba

Les autorités responsables pour le Manitoba considérent que les Indiens constituent une source de problémes pour cette province à cause de leur nombre relativement élevé (environ 5% de la population) et aussi parce que leur situation sociale est considérablement inférieure à celle des autres citoyens.

Par ailleurs, on constate que le niveau scolaire des Indiens est de beaucoup inférieur à celui du reste de la province. Pour remédier à cette situation, le ministére de l'Education de la province vient d'élaborer une nouvelle politique. Le point le plus important de cette politique est un plan de développement familial en vertu duquel les parents et leurs enfants peuvent suivre les mêmes programmes de cours: les péres et leurs fils étudient les métiers industriels, les méres et leurs filles, l'économie domestique. La formation d'instituteurs compétents est aussi considérée comme un point trés important.

On est aussi d'avis qu'une formation académique de base est nécessaire avant l'apprentissage par les jeunes Indiens d'un métier. Dans le domaine des cours spécialisés, il doit y avoir une collaboration étroite entre l'industrie et les responsables de l'éducation de façon à ce que les Indiens puissent apprendre un métier en demande et obtenir un emploi rémunérateur à leur sortie de l'école.

Le gouvernement du Manitoba favorise aussi l'intégration des Indiens à la vie sociale et économique des provinces. Il voit dans l'abandon des réserves et la réinstallation des Indiens dans des endroits plus propices, de même que dans la formation professionnelle et l'exercice d'un métier par les Indiens, autant de mesures destinées à favoriser cette intégration.

6. L'Ontario

Le gouvernement de l'Ontario déplore le fait que les Indiens soient considérés comme des personnes à part et qu'ils ne soient pas traités sur le même pied que les autres citoyens.

Les différentes bandes indiennes de l'Ontario sont à des degrés divers de développement. Les bandes du sud jouissent à peu prés des mêmes priviléges que les autres citoyens de la province, alors que les bandes situées au nord ont trés peu changé leurs façons de vivre.

L'établissement d'un programme spécial d'éducation scolaire est considéré comme la mesure la plus urgente pour améliorer la condition de ces bandes nordiques. On souhaite aussi que les Indiens prennent une plus grande part dans la direction de leurs propres affaires et bénéficient des mêmes avantages que l'ensemble de la population du Canada.

7. Le Québec

Les représentants de la province de Québec sont d'avis que les Indiens doivent être considérés de la même façon que les autres citoyens de cette province et qu'ils doivent bénéficier des mêmes standards de services. La question des finances n'est pas considérée comme un obstacle à l'intégration des Indiens et la Province se dit prête à prendre en charge l'extension de tous les services provinciaux aux lndiens.

Le Québec est en faveur de l'intégration compléte des écoles fréquentées par les Indiens dans le systéme provincial, y compris l'administration des écoles, la propriété des édifices et de l'équipement. On est aussi favorable à l'incorporation des réserves dans les districts scolaires de la province à condition que les Indiens contribuent d'une façon ou d'une autre aux dépenses. L'intégration des écoles indiennes dans le systéme scolaire de la province favorisera, selon les représentants du Québec, un rehaussement du niveau de scolarité des Indiens.

Le Québec croit aussi que les Indiens devraient être consultés sur tous les sujets qui les concernent. On considére comme essentiel que les Indiens puissent voter à l'élection des commissaires d'écoles de leur district et qu'ils puissent même être élus commissaires d'écoles.

Finalement le Québec est d'avis que dans l'établissement d'un plan à long terme pour l'amélioration des services donnés aux Indiens, l'éducation scolaire et le développement communautaire qui favorisent l'initiative de la part des Indiens doivent avoir la priorité sur l'assistance sociale qui entretient chez eux un sentiment de dépendance.

8. Les provinces de l'Atlantique

Les provinces de l'Atlantique témoignent moins d'intérêt pour les affaires indiennes que les autres provinces plus populeuses, principalement parce que la population indienne y est beaucoup moins nombreuse. Les provinces maritimes s'accordent pour laisser toute initiative en la matiére au gouvernement fédéral. Le gouvernement de Terre-Neuve, pour sa part, s'occupe lui-même des Indiens vivant sur son territoire, mais accepterait volontiers une aide financiére de la part du gouvernement central.

Ces quatre provinces sont d'accord avec le principe d'intégration des Indiens à la vie des provinces.

La province de l'Île du Prince-Edouard qui n'a qu'une seule réserve indienne serait en faveur d'un déplacement de cette communauté, actuellement située sur une île, vers le continent, de sorte que les enfants indiens puissent recevoir une meilleure éducation scolaire dans une école intégrée.

9. Les idéologies provinciales

Les provinces sont d'accord avec la politique du gouvernement fédéral favorisant leur intégration à long terme à la société canadienne. Elles voient aussi dans l'intégration scolaire le principal moyen d'atteindre cet objectif. Elles favorisent par ailleurs, une plus grande participation des Indiens à la direction de leurs affaires, et ce, particuliérement dans le domaine de l'Éducation et dans le domaine du gouvernement municipal.

Dans l'ensemble, les provinces sont prêtes à assumer plus de responsabilités en ce qui concerne l'éducation et le bien-être social et économique des Indiens, mais à condition que la Loi sur les Indiens soit changée et que le gouvernement fédéral verse des compensations financiéres. Les provinces sont en général d'accord pour affirmer que le transfert des services du fédéral au provincial améliorerait la qualité des services déjà offerts aux Indiens et diminuerait les coûts d'opération.

Les provinces sont aussi favorables à la conclusion d'ententes globales entre les gouvernements provinciaux et celui du Canada portant sur l'éducation scolaire des Indiens dans des écoles provinciales, moyennant une compensation monétaire per capita de la part du trésor fédéral.

L'éducation est un terrain sur lequel l'entente est relativement facile entre les provinces et le fédéral. C'est une tête de pont par laquelle s'est effectué un rapprochement important et qui laisse entrevoir la prise de responsabilités plus grandes de la part des provinces.

III. LES IDÉOLOGIES DES COMMISSIONS SCOLAIRES

Nous nous contentons de souligner quelques traits qui semblent les plus apparents:

  1. En général, c'est la Direction des affaires indiennes qui approche les commissions scolaires dans le but de négocier avec elles des ententes conjointes aux termes desquelles ces derniéres acceptent de prendre des enfants indiens dans les écoles sous leur juridiction, moyennant une compensation financiére;
  2. Pour leur part, les commissions scolaires semblent surtout intéressées aux termes financiers de telles ententes conjointes.
  3. Selon certains commissaires d'école, il n'y a pas de ségrégation dans les écoles intégrées et les jeunes Indiens se mêlent bien aux autres enfants et se font des amis parmi leurs camarades non-indiens.
  4. Certaines autres commissions scolaires refusent d'admettre les enfants indiens dans leurs écoles en prétendant qu'ils sont sales, turbulents et qu'ils représentent des problémes pour les instituteurs. Selon ces commissions, les Indiens devraient être maintenus dans les limites de leurs réserves.

1. Les thémes idéologiques des associations indiennes et les Indiens des réserves

Nous nous demandons dans quelle mesure les associations indiennes traduisent les vues des individus des réserves.

Notre expérience dans la visite des réserves du Québec et celle des Prairies ne nous laisse guére l'impression qu'il est possible de rallier les Indiens derriére les vues d'un individu qui s'identifie comme le chef de la réserve. Nous avons également l'impression que dans la plupart des réserves des rivalités priment plus souvent qu'autrement sur les intérêts de la collectivité et que l'organisation sociale est pratiquement impossible dans ces circonstances.

Pourtant il y a certaines correspondances entre les aspirations des individus-indiens et les associations qui sont sensées les représenter auprés de la D.A.I. Ces correspondances se traduiraient plus par des sentiments tacites que par des paroles.

Ainsi nous sentons bien que lorsqu'une association indienne dit:

Nous ne voulons pas d'une instruction qui fera de nous des Blancs de seconde catégorie; ce que nous voulons plutôt, c'est de devenir des Indiens de premiére catégorie.

qu'elle est certaine de représenter le point de vue unanime de tous les Indiens bien que ce n'est pas un vrai choix entre des Blancs du second rang et des Indiens du premier. Il en est également ainsi lorsqu'elle défend le droit des parents indiens à vivre en compagnie de leurs enfants.

Nous sentons, en raison de la méfiance des Indiens à l'égard des Blancs, que les associations indiennes doivent faire preuve d'une certaine agressivité, d'une certaine intransigeance quitte à se récuser partiellement un peu plus tard et consentir à certains compromis.

Il n'y a pas de doute qu'à partir des quelques revendications vagues et quelquefois utopiques qu'adressent les chefs de réserves aux associations indiennes, celles-ci doivent inventer, filtrer, reformuler, rationaliser avant de transmettre des demandes à la D.A.I.

Le fait d'ailleurs que plusieurs centaines d'enfants indiens ne fréquentent pas les écoles disponibles ne peut pas s'expliquer uniquement par la surpopulation des écoles indiennes. Il est plus probable que dans beaucoup de cas, les parents indiens préférent prodiguer à leurs enfants une éducation "à l'indienne" par dépit pour l'éducation des Blancs.

Enfin, dans l'intérêt général des Indiens, les associations indiennes ont avantage à rationaliser des faits qui autrement seraient gênants à la défense des intérêts généraux des Indiens.

L'idéologie indigéne de l'éducation met en lumiére l'ambiguïté qu'éprouvent des Indiens en face des deux extrêmes possibilités que sont la vie sur les réserves à l'indienne ou la vie dans le "monde des Blancs" qui semble comporter une aliénation ethnique plus ou moins poussée. On accepte la derniére possibilité de plus en plus parce qu'elle semble être le résultat inévitable de la scolarisation et du progrés.

2. Les Idéologies des associations parent-maître (reflétées par l'idéologie de la "Home and School and Parent-Teacher Federation)"

A. Ce qu 'est et ce que fait la fédération

Pour être en mesure de saisir l'idéologie de cette fédération en matiére d'éducation des Indiens, il convient que nous nous arrêtions à la définition qu'elle donne d'elle-même.

La raison d'être de notre association, c'est le bien-être des enfants, non seulement des enfants de nos membres, mais de tous les enfants.Note de bas de page 59

L'action des membres de la Home and School and Parent-Teacher Federation s'est limitée surtout à des interventions annuelles auprés des autorités gouvernementales:

… et (ils) ont présenté au ministére fédéral des Affaires indiennes, chaque année depuis 1945, des exposés et des résolutions.Note de bas de page 61

Comme la Fédération l'explique elle-même, il était difficile pour ses membres de faire plus pour les enfants indiens. Pour que la Fédération puisse agir, il lui fallait mobiliser les Indiens eux- mêmes et le faire en conformité avec la loi.

La Fédération ne peut s'intéresser effectivement aux enfants indiens que dans la mesure où ses membres connaissent et admettent les droits du peuple indien.Note de bas de page 62

A la source même, la Loi sur les Indiens ne prévoit pas que l'Indien puisse avoir son mot à dire dans la conduite de ses propres affaires. La Loi renferme bien certaines dispositions portant qu'un conseil d'Indiens peut édicter des lois et des réglements; néanmoins, tout compte fait, c'est le Gouverneur en conseil qui, en définitive, a le dernier mot.Note de bas de page 63

Les Indiens d'aprés la Fédération, ne sont pas en mesure de décider de leur sort d'où leur impossibilité de participer efficacement à leur propre bien-être.

Nous croyons que la déclaration des droits de l'homme, en ce qui a trait aux Indiens, est la premiére mesure qui s'impose et qu'on devrait s'y rapporter pour tous les problémes à étudier.. La Loi sur les Indiens est nettement contradictoire. Elle devrait être mise au rancart.Note de bas de page 64

Cette déclaration des droits civils des Indiens fut présentée à l'honorable J.R. Nicholson, le 28 avril 1965.

Cette déclaration basée sur la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme des Nations- Unies proclame tous les droits essentiels des Indiens à l'auto-détermination.

En bref, en raison du caractére démocratique de la Canadian Home and School and Parent-Teacher Federation, elle ne craint point d'affirmer qu'il faut que les Indiens jouissent des mêmes droits que les Blancs pour être en mesure de contribuer au bien-être de leurs propres enfants en participant à l'action de la Fédération.


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B. Compréhension de la situation des Indiens

Un rapide diagnostic de la situation des Indiens par la C.H.S.P.T.F. justifie la nécessité de définir les droits des Indiens comme peuple.

Les gens croient que les Indiens n'ont pas ou ne peuvent acquérir une façon de vivre qui leur soit propre et mieux adaptée à leur moeurs et à leurs traditions. Par conséquent, consciemment ou non, la plupart des propositions passées visaient à l'absorption des Indiens par la communauté blanche et à la destruction consécutive du peuple indien. L'Indien a perdu ses terres et il a été privé de ses moyens traditionnels de subsistance. Son caractére se dilue. Sa famille a été fragmentée. Il perd sa langue et sa culture, et il est en train d'être assimilé. Note de bas de page 65

Ces paroles suffisent à indiquer à la C.H.S. and P.T. Federation qu'aucune action ne peut être rentable sans une reconnaissance préalable des droits des Indiens.

C. Démocratisation de l' éducation chez les Indiens

Avant même que la Fédération puisse contribuer activement à la démocratisation de l'enseignement chez les Indiens, elle propose certaines étapes préliminaires.

La réserve indienne doit être rendue économiquement indépendante et disposer d'assez de terres et de capitaux pour assurer un mode de vie vraiment indien. La réserve indienne devrait adopter un systéme de commissions scolaires, dont les buts seraient comparables à ceux des Commissions scolaires des non-Indiens. Les Commissions scolaires devraient jouer, chez les Indiens, à peu prés le même rôle que chez les non-Indiens; . . . par exemple, c'est la communauté indienne, par l'entremise de ses commissions scolaires, qui devrait choisir les instituteurs pour ses enfants.Note de bas de page 66

La Fédération est consciente cependant que ces étapes ne peuvent pas être franchies rapidement. Aussi propose-t-elle une solution temporaire:

Lorsque des enfants indiens fréquentent des écoles qui relévent d'un conseil de commissaires d'écoles, nous insistons sur le fait que les parents indiens devraient y être suffisamment représentés. Au besoin, la Loi sur les Indiens doit être modifiée, de façon non seulement à permettre mais à exiger cette représentation.Note de bas de page 67

La Fédération exige avant d'inviter les Indiens à travailler démocratiquement pour l'éducation de leurs enfants que les structures économiques et sociales des réserves soient elle-mêmes démocratisées et autonomes. Car, à son avis, la participation démocratique est un vain mot si les structures sociales ne la permettent pas.

Aucun étranger ne peut faire ce travail à leur place, mais la compréhension et l'appui de l'extérieur permettra aux Indiens de donner leur pleine mesure.Note de bas de page 68

La Fédération reconnaît par ailleurs que les réserves indiennes ne sont pas toutes sur un même pied au départ.

Chaque réserve ou systéme de réserve est unique; elle fait face à des problémes qui exigent des solutions particuliéres. Certaines réserves sont englouties, encerclées, submergées et absorbées par la société non-indienne, au point de ne jamais s'en sortir. Note de bas de page 69

D. Vues générales de la Fédération touchant le systéme d' éducation des Indiens

Nous examinerons ici l'éducation des Indiens des points de vue du contenu de l'enseignement, des enseignants et des types d'école. Quant au contenu de l'enseignement, la Fédération s'exprime ainsi:

Les parents indiens, de même que les éducateurs de sang indien, qui ont recours à tous les autres moyens professionnels dont ils ont besoin, doivent établir un programme d'études approprié au mode de vie des Indiens, tout en tenant compte du fait que les jeunes gens préféreront, dans bien des cas, quitter la réserve et s'établir parmi les non-Indiens.Note de bas de page 70

En plus de réclamer un curriculum adapté au mode de vie indien, la Fédération s'inquiéte du décalage entre les aspirations que crée l'enseignement chez les enfants indiens alors que les réserves n'offrent aucune ouverture.

Nous nous inquiétons particuliérement de la disparité entre les aspirations qui sont inculquées aux enfants indiens et les occasions qui leur sont fournies, plus tard dans la vie, pour vivre en conformité de ces aspirations.Note de bas de page 71

Concernant les enseignants, la Fédération favorise évidemment le recours aux instituteurs indiens.

Dans la pratique, nous nous fondons sur l'hypothése selon laquelle ce sont les enseignants de sang indien, plutôt que les non-Indiens, qui ont le plus de chances de réussir auprés des enfants indiens. Jusqu'ici, il y a toujours eu une insuffisance relative d'enseignants indiens, et la situation ne semble pas s'améliorer. Nous recommandons une attitude de collaboration beaucoup plus active pour qu'en définitive les jeunes Indiens se dirigent en plus grand nombre vers l'enseignement.Note de bas de page 72

Les recommandations de la Fédération s'appuient sur une perception générale de l'éducation des Indiens.

Les instituteurs eux-mêmes, les matiéres qu'ils enseignent et la langue qu'ils parlent, tout cela est étranger aux enfants indiens et à leurs parents: le systéme d'éducation marche à contre-pas du peuple indien.Note de bas de page 73

Quand à la question des écoles, la Fédération se montre assez dure vis-à-vis les écoles intégrées:

Quant aux écoles intégrées, il faudrait plutôt les appeler des écoles d'adsorption" ou d'assimilation". Ce sont des écoles de Blancs, établies par les Blancs et pour les Blancs, où le garçonnet ou la fillette indienne sont invités à adopter le mode de vie des non indiens. Note de bas de page 74

Cependant, la Fédération adoucit ses vues sur les écoles intégrées tenant compte de l'acculturation graduelle des Indiens. Et même si l'intégration scolaire est inévitable, la Fédération reconnaît qu'il est possible de pallier en partie à ce qu'elle considére un danger.

Il est indispensable que les instituteurs non-indiens affectés à des classes "intégrées", comprennent mieux les Indiens et leurs enfants.Note de bas de page 75

Au sujet des pensionnats, la Fédération les considére comme des foyers d'assimilation puisqu'ils éloignent les enfants de leurs parents.

Au cours de l'année scolaire de 1961-1962, 21 p. 100 de tous les éléves indiens vivaient dans des pensionnats, loin, trés loin du milieu familial. Existe-t-il meilleur moyen de détruire les familles comme noyaux fondamentaux et naturels d'un peuple?Note de bas de page 76

Et c'est dans la mesure où les droits des parents sont brimés que la Fédération s'en prend aux pensionnats scolaires.

La famille indienne est le noyau naturel et fondamental de la société indienne; à ce titre, elle doit être protégée par la société canadienne en général et par l'Etat.Note de bas de page 77

E. Conclusion

L'idéologie de la Home and School and Parent-Teacher Federation en matiére d'éducation des Indiens se rapproche dans une certaine mesure de celle des Indiens. Mais les motifs des mêmes revendications différent dans une certaine mesure.

La Fédération était une organisation à caractére démocratique tant dans ses objectifs, que dans sa définition et ses modes d'action. Il est normal qu'elle partage avec les Indiens le même désir qu'eux et espére les voir prendre en charge leur propre vie économique et culturelle. Mais si pour les Indiens, ce désir se fonde sur le sentiment collectif de rester eux-mêmes, pour la C.H.S. P.T.F., cette aspiration réalisée constitue la condition de la participation des Indiens aux activités de la Fédération.

Pour la Fédération, l'attitude qu'elle affiche en matiére d'éducation des Indiens est fondamentalement celle qu'elle adopte vis-à-vis toute autorité supérieure auprés de laquelle elle doit présenter ses demandes.

Comme nous l'avons dit antérieurement, dans le cas des Indiens, la Fédération estime que la démocratisation des structures sociales est fondamentale à la démocratisation de l'enseignement. Et c'est fondamentalement par la tâche de la démocratisation de l'enseignement qu'elle se définit. Pour mieux arriver à ce but, elle a recruté ses membres à même les rangs des parents et des maîtres.

Les critiques de la Fédération à l'égard des différents aspects de l'éducation des Indiens s'expliquent du fait que les moyens éducatifs utilisés pour l'éducation des Indiens s'opposent parfois à ce processus de démocratisation de l'enseignement et par conséquent rendent difficile le contrôle des intéressés sur l'évolution de l'enfant.

L'idéologie de la Fédération sans être ici trés explicite sur tous les points touchant l'éducation des Indiens se présente tout de même comme un ensemble cohérent qui éclaire son rôle et ses prises de position.

3. Les idéologies des groupes confessionnels

Les diverses Églises dont nous analyserons les idéologies en matiére d'éducation des Indiens ont traditionnellement été associées aux pensionnats scolaires indiens. Par conséquent, il est normal que leurs idéologies se définissent avant tout à partir de la question des pensionnats scolaires.

Les documents dont nous nous sommes inspirés pour mener cette analyse nous apprennent que quatre Églises régissent des pensionnats scolaires pour enfants indiens avec l'appui financier de la D.A.I. Il s'agit de l'Église Anglicane du Canada, de l'Église Catholique représentée par l'Ordre des Oblats, l'Église Unie du Canada et l'Église Presbytérienne. Une cinquiéme église, l'Assemblée Spirituelle Nationale des Baha' is du Canada fait également connaître son point de vue en la matiére, mais ne régit aucun pensionnat scolaire ou école.

Nous avons constaté que deux des cinq groupes religieux, à savoir les représentants de l'Eglise Anglicane et l'Ordre des Oblats, offrent une certaine opposition à la promotion de l'intégration scolaire des Indiens. Ils sont de fait les deux plus importants groupes régissant des pensionnats scolaires: sur 65 pensionnats scolaires indiens, ces deux groupes en régissent plus des deux tiers à peu prés.

A. L' idéologie de l' Église Anglicane du Canada

L'Église Anglicane justifie d'abord son rôle dans l'éducation des Indiens.

Dés ses premiers contacts avec les Indiens, l'Église s'est intéressée à leur instruction. En l'absence d'autres moyens organisés, elle a assuré les moyens d'instruction

…Dans bon nombre de secteurs, il n'y a à peu prés pas eu d'évolution dans la prise de conscience ou dans le sens collectif des responsabilités vis-à-vis les besoins éducationnels. Il existe certains signes encourageants, mais tant qu'on n'en sera pas arrivé à un certain degré de responsabilité locale relativement à l'instruction, il est certain que l'Eglise a un rôle essentiel à jouer pour ce qui est de l'éducation et des besoins des Indiens. Dans plusieurs de ces secteurs en expansion, l'Église représente la voix autorisée des gens qui débouchent lentement vers une prise de conscience collective. Note de bas de page 78

Cette conception de son rôle souléve une premiére difficulté, celle qui se rapporte au rôle du gouvernement Fédéral dans la définition d'une philosophie de l'éducation pour les Indiens.

Toute tendance du gouvernement fédéral à se considérer comme unique arbitre de l'orientation de l'éducation pour les Indiens est, à notre avis, une chose infiniment regrettable.Note de bas de page 79

Et pour appuyer sa position, l'Église Anglicane postule que:

Il ne peut y avoir de programme complet d'éducation dans un pays si cette éducation n'est pas solidement établie sur la religion.

Nous estimons que l'Eglise peut assumer partiellement la responsabilité de l'éducation des Indiens en s'occupant de certaines organisations ayant des buts fondés sur cette conviction. Note de bas de page 80

A l'appui de cet argument, l'Église Anglicane souligne les ressources dont elle dispose en personnel enseignant:

Nous nous rendons compte que c'est l'instituteur et son travail qui constituent l'élément le plus important de tout programme d'éducation. Nous trouvons ici un autre rôle d'appoint de l'Église, dans son association avec le gouvernement, lorsqu'elle sert d'agence auprés des jeunes Canadiens, Indiens et non-Indiens, et qu'elle les invite à se consacrer en nombre sans cesse grandissant à ce domaine bien particulier de l'enseignement dans tous les genres d'écoles Note de bas de page 81

Une autre contribution que tient à souligner l'Église Anglicane prend la forme de pensionnats qu'elle met à la disposition des enfants indiens.

Un autre rôle d'appoint de l'Église, dans son association avec le gouvernement, c'est de contribuer à trouver le meilleur remplacement possible pour le foyer de l'enfant, lorsque celui-ci, en raison de circonstances incontrôlables, est forcé de quitter le foyer aux fins de son éducation.Note de bas de page 82

Les points de vue présentés jusqu'ici visent à consolider les prérogatives de l'Église Anglicane qui ont prévalu jusqu'à maintenant. En plus, l'Église Anglicane du Canada appuie tout effort visant à élargir le nombre d'écoles indiennes de jour.

Nous recommandons instamment qu'on assure à ces services une expansion continue, car, à notre avis, il est souhaitable, voire indispensable, de prendre tous les moyens possibles en vue de garder l'enfant à l'intérieur du cercle familial. Les externats préservent les valeurs de la vie domestique, et l'influence des parents ne fait que conserver l'éducation dans le milieu normal de l'enfant. Les progrés en éducation ne seront permanents que s'il y a collaboration active entre le foyer et la communauté.Note de bas de page 83

L'Église Anglicane est donc en faveur des écoles indiennes de jour. Leur attitude se fonde sur le fait que la fréquentation de ces écoles renforce l'unité religieuse au niveau de la famille. L'Église Anglicane du Canada accepte une révision des fonctions des pensionnats.

Nous appuyons la ligne de conduite du gouvernement, selon laquelle nos pensionnats seront désormais considérés comme des endroits où les enfants vivent, en plus d'y recevoir une instruction. Toutefois, nous admettons volontiers qu'on pourrait admettre dans ces institutions:

  1. les enfants de foyers normaux qui ne peuvent s'instruire en raison de leur éloignement, et pour
  2. les enfants dont les parents sont séparés, les enfants mal adaptés ou les orphelins.Note de bas de page 84

Mais l'Église Anglicane demeure inquiéte au sujet de l'évolution actuelle.

La souplesse d'action des organisations de l'Église est gênée par l'imposition d'ordonnances et de réglements édictés par le gouvernement et qui s'appliquent indifféremment à toutes les institutions, sans tenir compte tout à fait des circonstances locales et particuliéres. Note de bas de page 85

L'Église Anglicane est également contrariée par la Loi sur les Indiens qui stipule ceci:

Tout enfant indien tenu d'aller à l'école doit fréquenter celle que le Ministre peut désigner, mais aucun enfant dont l'un des parents est de religion protestante, ne doit être assigné à une école dont la direction est catholique romaine, et aucun enfant dont l'un des parents est de religion catholique romaine, ne doit être assigné à une école dont la direction est protestante, sauf sur des instructions écrites du pére ou de la mére, suivant le cas.Note de bas de page 86

Le fait que des parents anglicans peuvent orienter leur enfant vers un pensionnat régi par les Oblats semble avoir créé des inquiétudes aux ministres du culte. C'est pourquoi, il leur semblerait plus sage que la clause " … except by written directive of the parent" soit biffée. Mais plus loin l'Eglise Anglicane suggére que les parents Indiens assument une plus grande responsabilité dans l'éducation de leurs enfants. Selon toute apparence, le fait d'envoyer un enfant indien à un pensionnat s'accompagnerait d'un désintéressement des parents pour l'éducation de leur enfant. L'Eglise anglicane souhaiterait que les parents se sentent plus responsables en défrayant une partie du coût de la pension.

On peut se demander si le gouvernement ou l'Église rendent un service équitable aux parents en leur retirant toutes ces responsabilités envers leurs enfants. Les parents indiens ne devraient-ils pas avoir l'occasion de payer une partie des frais de pension d'un éléve gardé en pensionnat? Nous croyons que même en versant un montant symbolique pour l'entretien de l'enfant, les parents auront un sens plus aigu de leurs responsabilités envers leur famille, et l'enfant se sentira plus attaché à ses parents.Note de bas de page 87

En ce qui a trait aux écoles intégrées, l'Église Anglicane manifeste une certaine ouverture.

Nous souscrivons de tout coeur au mouvement d'intégration des éléves indiens aux classes non indiennes dans toutes les communautés. Il en découle de grands avantages, non seulement pour l'enfant indien mais aussi pour les petits non-Indiens, tout autant que dans le domaine de la compétition et des réalisations scolaires.Note de bas de page 88

Cependant elle exprime une réserve.

Mais si nous voulons qu'un programme d'enseignement intégré ait les résultats attendus, il est important que les principes fondamentaux du programme soient d'abord expliqués aux parents et aux enfants des deux groupes, les Indiens et les non-Indiens, mais avant tout aux enseignants qui, en définitive, porteront la responsabilité du succés ou de l'échec du programme.Note de bas de page 89

Quant aux instituteurs, l'Église Anglicane s'exprime ainsi:

On ne devrait pas exiger de ceux qui enseignent aux Indiens uniquement la compétence universitaire, car c'est à l'instituteur qu'il incombe de former le caractére de l'éléve Sans une compréhension élémentaire, tout au moins, des antécédents, des traditions et des aspirations des Indiens au milieu desquels l'instituteur est appelé à travailler, il ne peut exister de rapport entre l'instituteur et l'éléve. Note de bas de page 90

Nous retrouverons le même point de vue partagé tant par la Canadian Home and Schooland Parent-Teacher Federation que par les Associations Indiennes elles-mêmes. Relativement à la juridiction provinciale en matiére d'éducation des Indiens, l'Eglise Anglicane exprime une attitude également ambiguë.

Le temps n'est-il pas venu, dans certaines régions, où les détails et les mécanismes de l'instruction des Indiens seraient mieux servis si cette tâche relevait des ministéres provinciaux de l'Éducation? Le gouvernement fédéral conserverait l'obligation d'assurer l'instruction des Indiens en votant les fonds nécessaires pour payer les frais d'un tel programme. Nous recommandons que soit étudiée la possibilité, pour la Direction des affaires indiennes, de déléguer aux provinces ses responsabilités en matiére d'éducation, et que partout où la chose est possible, l'instruction des Indiens, pour ce qui est des programmes et des méthodes, devienne la responsabilité de la province, le gouvernement fédéral agissant comme bailleur de fonds.Note de bas de page 91

Cet extrait ne fait pas état du transfert de la juridiction du fédéral au provincial. Mais le fédéral continuerait à exercer nécessairement sa juridiction du fait qu'il continuerait à fiancer l'éducation des Indiens. Par ailleurs, l'Église Anglicane souhaiterait que les décisions soient prises dans la mesure du possible au niveau local.

Trop fréquemment, des fonctionnaires prennent des décisions qui se rapportent au mode de vie des Indiens, sans que les intéressés soient consultés. Ceci s'applique également en matiére d'éducation. Nous recommandons que, lorsque les circonstances s'y prêtent, des conseillers indiens soient nommés auprés des fonctionnaires locaux de la Direction des affaires indiennes, en vue d'aider à établir les programmes et les méthodes scolaires au niveau de la localité.Note de bas de page 92

En bref, l'Église Anglicane du Canada est assez ouverte aux changements dans la structure du systéme scolaire des Indiens, mais dans la mesure où son action apostolique n'en souffre pas. Cependant, nous notons peu de préoccupations précises quant au contenu du programme scolaire et à l'orientation éventuelle des groupes indiens.

B. L 'idéologie des Péres Oblats

Les Péres Oblats définissent l'éducation dans les termes suivants:

Au Canada, l'éducation est un processus intégré où toutes les institutions (ou tous les facteurs) coopérent harmonieusement jusqu'à ce que l'objectif soit atteint, puis le processus recommence avec la génération suivante. Le foyer prépare l'enfant pour l'école élémentaire, qui le prépare pour l'école secondaire qui, à son tour, le prépare pour l'université ou l'école de formation technique ou professionnelle, d'où l'enfant sort, prêt à fonder son propre foyer. Chaque étape s'enchaîne à la suivante et s'il se produit une brisure, il faut prendre des mesures correctrices…

Si l'on analyse la situation des Indiens contemporains de moins de cinquante ans, on se rend compte qu'un trop grand nombre d'entre eux n'ont pas de revenus réguliers et qu'ils sont incapables d'élever une famille, précisément parce que, durant leurs années de formation, on ne leur a pas montré la futilité de leur activité traditionnelle et l'opportunité de s'adonner à des occupations qui leur auraient permis de s'intégrer solidement à l'économie nationale. Voilà pourquoi il est essentiel de procéder à un recyclage en profondeur … A quelques exceptions prés, le foyer indien ne prépare pas suffisamment l'enfant aux modalités scolaires adaptées aux besoins des Canadiens qui ne sont pas Indiens. Il s'ensuit que les jeunes Indiens ne profitent pas, et ne peuvent profiter de la préparation à un mode de vie qui leur est offert. La plupart d'entre eux quittent l'école avant même la 8e année …Note de bas de page 93

Les deux autres documents que nous sommes en mesure d'utiliser pour étudier la position des Péres Oblats vis-à-vis le systéme d'éducation sont le message d'un Pére Oblat à ses paroissiens et le compte rendu d'une conférence tenue en compagnie des fonctionnaires de la D.A.I. les 26-27 janvier 1960.

Ces deux documents traduisent l'opposition des Péres Oblats au mouvement d'intégration scolaire des enfants indiens aux écoles provinciales. Un Pére Oblat en juin 1965 s'exprimait ainsi à ses paroissiens:

Une soixantaine d'années plus tard, Satan et ses légionnaires firent une revue de la situation. Ils constatérent que partout dans le monde, même au sein de la population indienne, ils perdaient du terrain. Ils modifiérent donc leur stratégie, s'équipérent d'outils modernes et, sept fois plus forts, ils revinrent à l'attaque. Quelle est cette stratégie, ou, pour employer des mots à la mode, quelle est cette politique? Sortir la religion de toutes les écoles. Il faut trouver une formule pour détourner les Indiens des écoles confessionnelles Le démon se cache derriére la face, derriére les idées hypocrites de certains hauts fonctionnaires blancs dont dépend le systéme d'éducation de notre société.

Ce genre de sortie traduit l'opposition farouche d'un Pére Oblat à l'intégration scolaire des enfants indiens. Nous devons forcément conclure que d'aprés lui le systéme des écoles confessionnelles est le seul acceptable. Ce document est un cas d'une extrême virulence. Sans retrouver la même ardeur dans l'ensemble des témoignages de Péres Oblats nous décelons les signes d'une opposition véritable au mouvement d'intégration scolaire. Certains passages du compte rendu cité sont éloquents à cet effet.

Mgr Routhier déclarait que, lors de réunions récentes tenues dans l'Ouest, un certain nombre d'Indiens s'étaient vivement opposés à l'idée d'envoyer leurs enfants dans des écoles non-indiennes, parce que ceux- ci ne s'y sentaient pas à l'aise. Le Directeur fit remarquer qu'il connaissait nombre d'Indiens qui avaient profité d'une éducation non- indienne et que les jeunes Indiens devraient s'inscrire aux écoles secondaires non-indiennes, s'ils en ont la possibilité et moyennant le consentement de leurs parents. Mgr Routhier répondit que si tel était le voeu des Indiens, il ne voyait aucune objection à adopter la position du Directeur.

Mgr Routhier déclara qu'il approuvait le Ministére de ne pas insister pour que tous les Indiens fréquentent les écoles des non-Indiens. De son côté, l'Église n'insiste pas pour que tous fréquentent des écoles indiennes. Selon le colonel Jones, pour autant qu'il n'y a pas de problémes religieux et qu'il se trouve une école secondaire non-indienne à proximité, le Ministére devrait tenter de faire admettre tous les enfants à cette école. Note de bas de page 94

Et l'affrontement entre les représentants de la D.A.I. et les Péres Oblats se poursuit:

Mgr Routhier croit qu'on devrait enseigner aux enfants indiens un peu de leur histoire; selon lui, rares sont les instituteurs d'écoles non-indiennes qui ont les qualités requises pour inspirer à l'Indien un sentiment de fierté. Selon le Pére Forget, il se peut qu'un instituteur d'école non-indienne ait la compétence voulue pour enseigner l'histoire, mais sa faiblesse réside dans les outils dont il dispose. Le colonel Fortier est d'opinion que les parties des manuels d'histoire qui ont trait aux Indiens, ne sont peut-être pas bien rédigées. Selon lui, il pourrait être dangereux de garder les Indiens dans une école secondaire indienne, où l'accent est mis sur leur propre histoire, sans une étude suffisante des autres étapes de l'histoire.Note de bas de page 95

Il est évident qu'au cours de cette rencontre les Péres Oblats ont apporté nombre d'arguments destinés à remettre en question le principe de l'intégration scolaire des enfants indiens. Mais étant donné l'aspect pratique de la Conférence, nous n'avons pu connaître la position des Oblats vis-à-vis les autres aspects du systéme d'éducation des Indiens tel que la D.A.I. l'a aménagé. Nous pouvons tout de même saisir la politique de compromis que les Péres Oblats cherchent à suivre dans leur travail d'éducation des enfants indiens. Il est évident aussi que l'éducation morale et religieuse sont nettement mises en évidence dans les pensionnats au détriment peut-être d'une formation plus technique et en somme plus réaliste. Il est compréhensible par conséquent que l'intégration scolaire soit envisagée comme solution de rechange "moralement et spirituellement" guére alléchante aux yeux des missionnaires que sont les Péres Oblats.

C. L 'idéologie de l' Église Unie du Canada

Dans une lettre un porte-parole accrédité de l'Église Unie du Canada faisait connaître ses vues au sujet de ses pensionnats et ses écoles.

A premiére vue, il est par trop radical d'entreprendre, comme vous le proposez, des négociations avec votre Direction, en vue de vous céder la gestion de nos écoles et de nos résidences. Certes, vous comprenez que nous n'envisageons pas simplement de nous retirer, auquel cas votre Direction pourrait, supposément, demander à une autre Église de nous remplacer. Si vous êtes disposés à diriger ces écoles à titre d'institutions non-confessionnelles, nous pourrons songer à renoncer éventuellement à la direction de ces écoles. Notre Église n'a cessé d'affirmer, depuis 1946, qu'il faudrait organiser pour les Indiens un systéme d'instruction non-confessionnel. Le Comité, appuyé par notre Conseil de direction, a la conviction que le moment est venu de passer aux actes. Note de bas de page 96

Cet extrait de lettre résume clairement la position de l'Église Unie du Canada en ce qui a trait à son rôle dans le domaine de l'éducation des Indiens. Elle entend se retirer tout simplement de ce secteur d'activité au nom du principe de la liberté individuelle. Cependant elle ne prétend pas pour autant discontinuer de s'occuper de la pratique religieuse de ses membres.

Si un tel changement se produisait, nous compterions sur la collaboration étroite des autres confessions religieuses qui ont des éléves au pensionnat (Edmonton), pour assurer l'éducation chrétienne et les travaux d'atelier, soit au pensionnat ou dans les églises voisines. Le besoin d'une telle collaboration se fait sentir depuis trés longtemps, et nous avons raison de croire que c'est une chose réalisable.Note de bas de page 97

Cette prise de position résulte du fait que d'autres confessions partagent le même point de vue.

D. L 'idéologie de l' Église Presbytérienne du Canada

Dans le cas de l'Église Presbytérienne du Canada, nous disposons d'un document qui nous permet d'élaborer davantage son point de vue vis-à-vis l'éducation des Indiens.

Notre Église est nettement favorable à l'idée d'envoyer tous les éléves indiens aux écoles publiques ou communautaires du district. Le fait de grandir dans un externat ordinaire a une grande importance pour tous les enfants canadiens, quelles que soient leur race ou leurs croyances.

Nous savons que, pour certains cas spéciaux, il faut des écoles spéciales … Dans certains endroits, rien ne peut remplacer le pensionnat … est nécessaire d'avoir une pension bien tenue pour certains éléves indiens de tous âges (orphelins, enfants illégitimes, abandonnés et négligés). Partout où la chose est possible, il serait sage de transformer les pensionnats en foyers d'où les éléves puissent se rendre à l'école communautaire locale.Note de bas de page 98

Nous constatons que l'Église Presbytérienne du Canada a une attitude trés souple vis-à- vis les innovations dans le systéme d'éducation des Indiens. L'Église Presbytérienne cependant fait opposition à toute mesure tendant à précipiter l'intégration scolaire des enfants indiens.

Nous désapprouvons la pratique qui consiste à prendre des enfants en bas âge, et même des enfants plus âgés mais sans expérience, et à les conduire à une école centrale, trés éloignée de leur réserve, si belle soit cette école. Il faut ménager une période de transition, en vue d'éviter aux enfants et à leurs parents les chocs cumulatifs d'un changement complet et d'un ennui accablant. L'incompatibilité et la solitude sont deux problémes importants, qui poussent souvent à quitter l'école. Pour ces agences, et particuliérement pour l'Église, le déplacement et le transfert des éléves rompent fréquemment la continuité de la formation et de l'orientation. … Nous n'avons pas comme prétexe d'éviter à l'éléve la confrontation avec les autres croyances, mais nous voulons plutôt qu'il puisse continuer de se rapporter à des concepts qui lui sont familiers de maniére à équilibrer ses jugements et ses décisions. Nous considérons comme une norme trés acceptable, un externat situé à distance raisonnable de la réserve où habitent les éléves et qui accueille à la fois les Indiens et les non-Indiens.Note de bas de page 99

Certaines considérations d'ordre religieux conditionnent l'attitude de l'Eglise Presbytérienne vis-à-vis le systéme d'éducation des Indiens. Les écoles de jour à proximité du foyer constituent les institutions les plus propices au développement d'une vie humaine, morale et spirituelle. Elle s'objecte à un transfert rapide des enfants indiens aux écoles publiques provinciales surtout si elles sont éloignées du foyer familial en raison de l'effet désastreux et perturbateur qu'un tel changement peut provoquer dans la vie et les croyances des enfants indiens. Quant au contenu de l'enseignement, l'Église Presbytérienne met l'accent sur toute mesure de nature à inciter les Indiens à développer leur patrimoine, à faire des recherches de maniére à l'enrichir et à acquérir plus de fierté comme groupe autant que comme individus.

Dans toutes les écoles, le programme des études devrait comporter des cours ayant trait aux hauts faits historiques, aux Traités avec les Indiens, à la Loi sur les indiens ou à toute autre loi qui peut, à l'occasion, être adoptée, sur le patrimoine et sur la culture des Indiens Au moyen de bourses on devrait encourager certains Indiens choisis à relever et à consigner en des ouvrages qui pourraient être conservés, l'histoire des tribus, de leurs coutumes, de leurs traditions, de leurs formes d'expression artistique, de leurs langues et des autres particularités de leurs cultures. Tout cela serait de nature à redonner à l'Indien une partie de la dignité dont il a été "coupé", en raison des modalités administratives du gouvernement et des rapports avec les non-Indiens Il y a là non seulement une question de fierté pour l'Indien, mais aussi un enrichissement pour la culture générale au Canada. Ce serait le moyen de corriger certains textes d'histoire écrits à l'intention des non-Indiens et entachés de préjugés défavorables aux Indiens. Note de bas de page 100

Comme plusieurs autres groupements dont nous avons analysé l'idéologie, il y a une préoccupation pour le sort futur de l'indien et pour l'enrichissement de sa culture. Cependant, il faut ajouter que les Églises y ont tout à gagner au change, d'où leur intérêt dans l'amélioration des conditions de vie et l'émancipation des Indiens.

E. Idéologie de l' Assemblée nationale de Baha' is

Il s'agit d'une secte religieuse apparemment trés différente des précédentes et qui ne régit aucune institution scolaire. Voici la position de cette secte vis-à-vis le systéme d'éducation des Indiens:

Dans nos rapports avec les Indiens des diverses régions du pays, on nous a exprimé certaines doléances bien spécifiques au sujet du régime d'éducation actuel. Plusieurs de ces plaintes portent sur les écoles confessionnelles. Lorsqu'il se trouve plus d'une mission dans une réserve les Indiens commencent à se diviser dés l'enfance sur des questions de religion, ce qui produit des antagonismes et des rivalités. Certains ont aussi porté à notre attention le fait que la Loi sur les Indiens ne renferme aucune disposition relative aux droits religieux des parents qui ne sont pas chrétiens, comme ceux qui adhérent à la religion dite "Longhouse". Dans les écoles confessionnelles, particuliérement dans les pensionnats, on nous dit que le temps consacré à l'enseignement religieux est tel que les enfants ne reçoivent pas un enseignement suffisant des choses séculiéres.

… Il semble que la majorité des Indiens favorisent l'école laïque ou publique ou, de préférence, la fréquentation d'écoles qui ne soient pas des écoles de réserves. Note de bas de page 101

Les Baha'is, au contraire des autres confessions, semblent s'en prendre justement au fait religieux de certaines écoles indiennes et tenir d'autres confessions responsables de l'éducation inadéquate de certains groupes d'enfants indiens formés par des professeurs appartenant à l'une ou l'autre confession chrétienne. A l'encontre d'autres confessions, cette secte s'oppose aux écoles confessionnelles.

Si possible, les enfants indiens devraient fréquenter les mêmes écoles que les autres Canadiens. Si la chose n'est pas possible, il faudrait organiser, dans les réserves, des écoles non confessionnelles dont les normes, pour ce qui est du programme d'études et des aptitudes des enseignants, ne devraient pas être inférieures à celles de la province. L'affiliation religieuse des instituteurs ne devrait pas être considérée comme une qualité essentielle et les instituteurs ne devraient pas être tenus de fournir un enseignement religieux d'une confession particuliére. On devrait enseigner l'histoire de la religion et les principes spirituels essentiels, ou les principes de morale communs à toutes les croyances. Lorsque les parents exigent un enseignement religieux confessionnel, ce dernier devrait être donné en dehors des heures réguliéres de classe, sans rien sacrifier du programme d'études de l'école publique. Les enfants qui ne peuvent vivre à la maison tout en suivant leurs cours, devraient être placés, autant que possible, dans des foyers adoptifs, plutôt que dans des pensions ou autres institutions.Note de bas de page 102

Cette secte s'oppose également aux pensionnats comme solution de rechange à l'impossibilité de vivre avec la famille. Elle recommande le recours aux foyers adoptifs. Jusqu'ici les Baha'is sont les seuls à revendiquer pour les Indiens la liberté compléte de croyance religieuse. C'est pourquoi, selon elle, les confessions qui défendent leurs prérogatives auprés des autorités gouvernementales érigent inutilement des barriéres au détriment des intérêts réels des Indiens.

F. Conclusion

Cet inventaire des diverses positions affichées par autant d'églises régissant ou non certaines écoles ou pensionnats indiens nous révéle une situation assez confuse et plutôt anarchique. Nous constatons que plus une confession posséde de ressources scolaires ou a investi dans le systéme scolaire des Indiens, plus elle aspire à conserver le statu quo. Par contre, celles qui ont le moins d'intérêt matériel dans le systéme d'éducation des Indiens sont beaucoup plus ouvertes aux innovations.

Cependant à peu prés toutes les confessions posent des conditions avant d'endosser l'idée de l'intégration scolaire des enfants indiens.

A l'exception de l'Église Anglicane et des Péres Oblats, les trois autres confessions, l'Église Unie du Canada, l'Eglise Presbytérienne du Canada et l'Assemblée des Baha'is ne demandent pas mieux que de se défaire de leurs écoles confessionnelles comme nuisibles à la poursuite de l'intérêt général des Indiens.

Implicitement cette multiplication d'écoles confessionnelles est facteur de division néfaste au sein des réserves et s'avére finalement plus nuisible que profitable.

Enfin seule l'Assemblée des Baha'is critique le systéme des écoles confessionnelles en mettant en relief l'excés de zéle des représentants du culte dans l'accomplissement de leur rôle d'instituteurs ou de directeurs.

Nous constatons cependant que certaines confessions comme les Églises Unie et Presbytérienne réalisent les désavantages des écoles confessionnelles et aspirent à l'abandon de cette formule.

L'Étude de l'idéologie des groupes confessionnels met en lumiére les oppositions qu'éprouve la D.A.I. dans la recherche de solutions viables. Les options idéologiques des diverses églises constituent un facteur de freinage dans l'évolution scolaire indienne puisqu'elles mettent l'accent sur les priviléges acquis et sur les dangers que constitue pour la foi et les moeurs l'intégration scolaire.

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Chapitre III   Structures administratives et pédagogiques des écoles indiennes

I. STRUCTURES ADMINISTRATIVES ET PÉDAGOGIQUES

Ayant examiné les objectifs de ceux qui sont engagés dans la scolarisation des Indiens, il s'agit maintenant d'évaluer les structures mises en place pour réaliser ces objectifs. L'analyse des idéologies gouvernementales en matiére de scolarisation des Indiens a mis en lumiére les principes directeurs qui inspirent les grandes politiques scolaires du gouvernement central. Il est nécessaire maintenant d'examiner la concrétisation de ces idées-maîtresses par l'analyse des structures mises en place et de leur fonctionnement. L'idéologie est de l'ordre des intentions; les structures et leur fonctionnement sont de l'ordre de l'exécution.

Cette perspective théorique nous améne à examiner cinq aspects complémentaires du systéme scolaire tel qu'il a été conçu pour éduquer les jeunes Indiens canadiens:

  1. Les juridictions scolaires du gouvernement fédéral, des provinces et des municipalités;
  2. L'organisation scolaire: hiérarchie et fonctionnement:
  3. Le réseau des écoles indiennes;
  4. Le développement des comités scolaires indiens;
  5. Problémes particulier: voir chapitres IV et V.

1. Les juridictions scolaires

La « Loi sur les Indiens » (Indian Act) représente le document juridique de base qui détermine les champs respectifs de juridiction des gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que des municipalités dans le domaine de l'éducation des Indiens. C'est un document de trés grande importance car il permet au gouvernement fédéral de délimiter les responsabilités gouvernementales vis-à-vis l'éducation des jeunes Indiens d'une part et de définir ceux qui sont éligibles pour bénéficier de ces divers services d'autre part. Etant donné la position juridique trés forte du gouvernement central et son habitude d'interpréter chacun des cas qui se présente à la lumiére de cette loi, il nous apparaît nécessaire d'en résumer les aspects les plus essentiels.

En 1960, on a préparé un commentaire sur la loi des Indiens, à l'usage du Comité conjoint du Sénat et de la Chambre des communes. Voici de quelle maniére on interpréte la signification des sections 113-122 portant justement sur les écoles, la fréquentation scolaire et la confessionnalité.

  1. Le gouvernement fédéral peut établir, diriger et entretenir des écoles pour les enfants indiens ou encore conclure des ententes pour l'instruction des enfants indiens avec les gouvernements provinciaux, les commissions scolaires locales, et les diverses églises (article 113).
  2. .Le gouvernement peut prendre l'initiative d'établir des réglements concernant toutes les phases du programme d'instruction, assurer le transport des enfants à l'école, conclure des ententes avec les institutions religieuses pour le soutien et l'entretien des enfants fréquentant ces institutions (article 114).
  3. A l'exception des cas où la fréquentation scolaire n'est point requise (article 116) tous les enfants âgés de 7 à 16 ans sont tenus de fréquenter l'école. Le ministre peut même allonger cette période de fréquentation scolaires à partir de l'âge de 6 ans jusqu'à l'âge de 18 ans (article 115).
  4. A moins d'obtenir le consentement des parents, les enfants appartenant à l'Église protestante ne peuvent fréquenter une école dirigée par les catholiques et inversement les enfants catholiques ne peuvent fréquenter une école sous les auspices de l'une ou de l'autre église protestante (article 117).
  5. Le gouvernement peut nommer des agents de surveillance dont la principale fonction est de contraindre les jeunes Indiens à fréquenter l'école (article 118).
  6. Lorsque la majorité des membres d'une bande appartient à une confession religieuse donnée, l'enseignement dans l'école de jour doit être donné par un instituteur de la même confession. Lorsque les membres appartiennent à plusieurs églises, ils peuvent à l'occasion d'une réunion spéciale, par vote majoritaire décider de favoriser l'engagement d'un instituteur appartenant à une église particuliére. Finalement une minorité indienne protestante ou catholique, avec l'approbation du ministre, peut bénéficier d'une école séparée ou d'une classe spéciale séparée (articles 120 et 121).

La Loi sur les Indiens a délimité le champ essentiel des responsabilités du gouvernement fédéral. Nous avons constaté aussi dans le premier volume du Rapport, chapitres XII, XVII, et XVIII que le gouvernement a pris plus de responsabilités dans le cas de l'éducation, par exemple sous l'autorité de la Loi des subsides. Des maternelles et l'éducation permanente ont été maintenues par l'autorité conférée sous cette Loi.

La Loi sur les Indiens confére aussi l'autorité d'encourager les gouvernements provinciaux à assumer plus de responsabilités éducationnelles, et il existe aujourd'hui une tendance accentuée vers le transfert progressif de la juridiction du fédéral en matiére d'éducation des Indiens aux gouvernements provinciaux.

Présentement, nous traversons la phase des ententes conjointes qui consistent pour le fédéral à payer directement aux commissions scolaires locales ou aux gouvernements provinciaux les coûts d'éducation entraînés par la participation scolaire des enfants indiens au programme d'enseignement public déjà établi pour les enfants blancs et que facilite l'existence d'un réseau complet d'écoles modernes. Il vaut donc la peine que nous considérions ces ententes conjointes dans le but de savoir si elles permettent un meilleur partage des responsabilités fédérales-provinciales et si, en fin de compte, elles contribuent à un rehaussement de la scolarité des Indiens et si elles leur facilitent une meilleure intégration à la vie canadienne.

B. Les ententes conjointes: instrument de planification scolaire

Le plus récent document dont nous disposions sur le programme d'intégration scolaire pour l'ensemble du Canada indique' clairement que le nombre des ententes conjointes s'accroît trés rapidement d'année en année et que ces nouvelles ententes entraînent, par voie de conséquence, un accroissement paralléle des populations indiennes étudiantes, éduquées dans des écoles provinciales. Nous avons là, il nous semble, les deux caractéristiques les plus fondamentales de ces ententes; elles sont à la fois un instrument de planification scolaire à l'échelle du pays tout entier et une occasion de susciter une plus grande participation des provinces à l'instruction des populations indiennes vivant sur leur territoire.

Ces efforts de planification peuvent être examinés sous l'angle de leur réussite administrative ou encore par rapport aux répercussions qu'ils engendrent chez ceux qui en sont les bénéficiaires. Sous l'angle administratif, on serait amené à examiner l'utilisation des ressources institutionnelles existantes, les coûts financiers des ententes, le nombre des ententes conjointes et ainsi du reste. Sous l'angle des individus qui bénéficient de ces politiques, peut-on observer un plus haut niveau de scolarité, une préparation technique plus variée et plus adéquate, un apprentissage plus systématique à la vie des Blancs?

Les deux perspectives sont essentielles à une meilleure compréhension de l'efficacité de la planification scolaire et des résultats qu'elle suscite.

Il y a aussi une conscience nouvelle dans les provinces des responsabilités qu'elles doivent assumer dans l'éducation des Indiens. De plus en plus, les provinces ont tendance à considérer leurs populations autochtones sur une même pied que les autres populations et à vouloir leur offrir les mêmes services et les mêmes avantages disponibles aux autres groupes, ou même à vouloir leur offrir des programmes additionnels qui sont taillés pour leurs besoins spéciaux.

Au niveau des grands objectifs scolaires de l'Etat, fédéral ou provinciaux, les positions sont précises: on veut que les Indiens puissent bénéficier des mêmes services scolaires que les autres citoyens. Au niveau de la définition subjective de ces objectifs, cependant, quelques Indiens sont trés ambigus par rapport aux ambitions gouvernementales. Ils les perçoivent comme étant à la fois bénéfiques et dangereuses en ce sens qu'elles correspondent à une meilleure scolarisation, bien sûr, mais aussi à des conflits d'identification, voire même, à la marginalité culturelle et à l'assimilation.

Dans le cadre de cette section, nous voulons surtout mesurer l'efficacité administrative des ententes conjointes et examiner l'ensemble des problémes qui en résultent. Nous poursuivrons notre analyse en deux temps. A la premiére étape, nous analyserons les termes mêmes de l'entente conjointe afin d'en déceler la conception et la finalité. Au deuxiéme mouvement nous examinerons l'application des ententes dans des cadres scolaires concrets afin d'expliquer quelques-uns des "problémes" qu'elles suscitent.

Le concept des ententes conjointes

1' Les deux idées maîtresse

Jusqu'à maintenant du moins le gouvernement fédéral a voulu respecter deux principes fondamentaux dans l'élaboration de son programme d'ententes conjointes: 1. 11 faut que les ressources scolaires locales (de la province) soient d'aussi bonne qualité, sinon de meilleure qualité, que les écoles indiennes et qu'elles soient disponibles; 2. Il faut que la majorité des parents consentent à ce que leurs enfants fréquentent l'école non-indienne. Ces deux principes de base ont toujours été considérés par les administrateurs scolaires du fédéral comme des sine qua non, des conditions préalables à toute démarche avec les autorités scolaires municipales dans le but d'arriver à une entente qui satisfasse pleinement les deux parties concernées.

On peut se demander dans quelle mesure ces deux principes ont freiné l'expansion des divers projets d'intégration scolaire du gouvernement central. Le premier principe se référe à une politique de justice sociale: il ne saurait être question de retarder ou de compromettre l'éducation des jeunes Indiens en les obligeant à fréquenter des institutions provinciales dont le niveau académique est de qualité inférieure aux écoles fédérales de la région. Si le programme des écoles intégrées constitue un objectif valable c'est qu'il représente une tentative de promotion scolaire, un effort pour offrir aux jeunes Indiens les mêmes avantages académiques que leurs condisciples canadiens. A ce titre, mais à ce titre seulement, le programme des écoles intégrées vise à rendre pleinement justice aux Indiens en leur facilitant l'accés à des écoles mieux équipées et pouvant offrir des programmes scolaires de meilleure qualité. Par ce biais, le jeune Indien peut pousser ses études jusqu'au niveau désiré s'il en a les aptitudes. L'école de son milieu d'origine ne saurait, en aucune façon, freiner ses progrés scolaires ou éliminer pratiquement ses chances d'accéder à des études supérieures.

En théorie, cette égalité des chances est un facteur positif seulement si les Indiens ont une occasion effective d'améliorer leur scolarité. Si le gouvernement fédéral ne visait qu'à fournir aux Indiens des occasions plus nombreuses d'entrer en contact direct et continu avec les populations blanches, il ne poserait point cette condition limitative. En fait, l'intégration scolaire a presque atteint un point de saturation dans les provinces du Manitoba et de la Saskatchewan (et même en Alberta jusqu'à un certain point) parce que justement le gouvernement central juge que ses écoles dans les parties septentrionales de ces provinces sont de meilleur calibre que les écoles provinciales. N'ayant point systématiquement examiné chacune de ces situations, il nous est difficile d'affirmer catégoriquement si ces jugements sont entiérement fondés. Dans quelques cas, les administrateurs scolaires provinciaux contestent la validité de ces jugements. Dans certains autres cas, ces mêmes administrateurs voient d'un bon oeil que leurs éléves soient transférés dans les écoles du fédéral et sont prêts à en défrayer les coûts.

La disponibilité des services scolaires provinciaux n'est pas un principe d'absolue nécessité. Dans un bon nombre de cas, le fédéral a entrepris des démarches avec une commission scolaire locale sans que celle-ci ait nécessairement à sa disposition les espaces ou le personnel requis pour signer une entente conjointe. Mais dans ces cas, en particulier, la discussion a nécessairement porté sur les dispositions à prendre pour rendre ces services disponibles soit par des constructions nouvelles, soit par l'élaboration de nouveaux programmes, ou soit encore par l'embauche d'un personnel adéquat. Dans chacune de ces situations les démarches ont été poussées jusqu'à leur limite seulement lorsque ces exigences furent réalisées à la satisfaction des officiers fédéraux. C'est ce qui explique la participation financiére du fédéral dans la construction d'écoles provinciales. Cette participation fédérale aux coûts de construction constitue d'ailleurs un puissant levier dans les discussions préalables avec les administrateurs scolaires municipaux. Ces derniers utilisent même cet aspect de l'entente pour convaincre leurs commissaires d'écoles et les inciter à accepter les propositions fédérales. Plusieurs des problémes reliés aux ententes conjointes reflétent d'ailleurs de la part des autorités provinciales une connaissance bien imparfaite des engagements pris au moment de la signature de l'entente. Ces ententes sont habituellement faites pour une période indéfinie et constamment remises à jour à la lumiére des données scolaires ou démographiques nouvelles. Par exemple, lorsque le nombre des écoliers indiens dépasse le nombre prévu dans l'entente originale, un amendement ou une nouvelle entente est normalement effectué pour tenir compte de ce changement.

Le deuxiéme principe fondamental à l'origine des ententes conjointes, c'est le consentement de la majorité des parents. Le fédéral veut s'assurer ainsi que son programme d'intégration reçoive l'entier appui des parents indiens.

Cette politique a fait l'objet des disputes qui portaient les unes sur les modes même de la consultation auprés des parents et les techniques utilisées pour obtenir des signatures et les autres sur le principe même de l'école intégrée et son mode d'opération. Disons, au point de départ, que le principe même de la nécessité de la consultation indigéne n'est jamais remis en question par les Indiens. Au contraire, on le juge comme tout à fait nécessaire dans un contexte démocratique à la participation intéressée des parents concernés. Les critiques indigénes portent plutôt sur les circonstances et les techniques de la consultation.' Dans certaines circonstances, les directeurs fédéraux accélérent leurs projets d'intégration et soumettent des populations insuffisamment préparées à des choix dont toutes les implications leur sont mal comprises. Cette technique de la consultation populaire peut rarement permettre l'unanimité des points de vue. Aussi ceux qui voient leur point de vue renversé (ceux qui habituellement s'opposent pour toutes sortes de raisons à l'intégration scolaire immédiate) contestent les techniques utilisées pour obtenir des signatures qui sont interprétées comme des consentements. Les Indiens ont prétendu que certaines familles indiennes signent ou apposent leurs croix sur des documents officiels dont ils connaissent point ou imparfaitement le contenu. On va même jusqu'à affirmer que, dans certains cas, les officiers fédéraux responsables de la consultation populaire utilisent des méthodes nettement désavouables (intimidation, pression indue, explications baisées, etc...) pour obtenir le nombre de signatures nécessaires pour que l'entente puisse être entreprise. Quelques leaders indiens mécontents se servent d'ailleurs de ces occasions de division pour semer le doute auprés de leurs congénéres sur la validité des méthodes gouvernementales en matiére de consultation populaire.

En conclusion, on peut vanter la pureté des intentions gouvernementales par rapport à sa politique des ententes conjointes. C'est dans l'interprétation des situations concrétes ou encore dans l'utilisation de certaines techniques et l'exécution des décisions que des imperfections se glissent, lesquelles prêtent le Blanc à des critiques plus ou moins fondées.

Nous venons d'énoncer les principes directeurs des politiques gouvernementales dans le domaine des ententes conjointes. Il s'agit maintenant de définir les divers éléments de l'entente afin de concevoir plus clairement le partage des responsabilités.

2' Les principaux éléments de l'entente

La premiére entente conjointe fut signée en 1950 (South Indian Lake, Le Pas) dans la région du Manitoba. Le 31 mars 1965, 25,207 Indiens fréquentaient les écoles provinciales. Les ententes fédérales-provinciales qui régissent l'organisation et les modes d'opération de ces programmes conjoints ont été jusqu'à maintenant signées Ventre le fédéral et la commission scolaire locale où les jeunes Indiens seront inscrits (entente individuelle) et plus récemment entre le fédéral et certaines provinces (entente provinciale ou Le Plan directeur des ententes "Master Plan"). Dans ces derniers cas, le Fédéral ne signe qu'une seule entente générale avec le gouvernement provincial qui voit à son application concréte chez les commissions scolaires locales ou régionales où les jeunes Indiens sont admis aux études dans les écoles provinciales.

aa. Les ententes individuelles. Il est évident que les ententes conjointes entre le fédéral et l'une ou l'autre des commissions scolaires canadiennes ne sont pas identiques en tout point. Chacune d'elles tient compte des circonstances locales. Mais certaines similarités sont décelables dans chacune des ententes. A titre d'exemple, les commissions scolaires s'engagent à:

  1. accepter jusqu'au nombre spécifié les jeunes Indiens qui se présentent
  2. s'assurer qu'il n'y a pas de ségrégation raciale.

Les contraintes auxquelles doivent se soumettre les commissions scolaires sont de trois types: celles reliées aux droits scolaires des Indiens; les contraintes administratives et les contraintes académiques.

(1) Les contraintes reliées aux droits scolaires des Indiens s'expriment sous la forme de l'accessibilité aux écoles (les commissions scolaires sont tenues d'accepter l'inscription de tous les enfants d'âge scolaire) de l'instruction obligatoire (les commissions scolaires doivent offrir des cours à tous les enfants d'âge scolaire dûment inscrits) et de l'égalité des chances sur le plan de l'éligibilité à l'ensemble des services scolaires disponibles (les commissions scolaires doivent considérer tous les Indiens sur un même pied et sont tenues de leur offrir l'ensemble des services scolaires disponibles aux autres écoliers).

(2) Les contraintes administratives. Les commissions scolaires s'engagent à respecter un ensemble de contraintes administratives et financiéres. Elles doivent, en premier lieu, avant décembre de chaque année, soumettre des prévisions budgétaires afin que celles-ci soient entérinées par le Ministre. Elles doivent, par la suite, administrer les budgets annuels tout en respectant les limites établies par les prévisions acceptées. Elles doivent défrayer l'ensemble des coûts d'opération d'une telle entreprise ce qui comprend, les frais d'enseignement, ceux de l'administration scolaire, et les dépenses occasionnées par l'entretien et la réparation des bâtisses. Elles ne peuvent en aucune maniére, sauf si elles obtiennent l'autorisation expresse du Ministre, prélever des taxes scolaires sur l'évaluation des propriétés. Le fédéral veut s'assurer, par là, que l'intégration scolaire des Indiens dans les écoles provinciales ne comporte point de liens monétaires pour les parents. En dernier lieu, la commission scolaire pourra louer des services scolaires additionnels si la demande en est faite.

(3) Les contraintes académiques sont tout à fait inexistantes dans ce sens qu'aucune norme ne régit le contenu des cours, la qualification professionnelle des enseignants ou encore la variété et la qualité des programmes. L'entente mentionne simplement la possibilité théorique d'une consultation facultative auprés du surintendant régional des écoles indiennes au sujet des problémes soulevés par l'instruction des jeunes Indiens. Le fédéral s'engage à défrayer les coûts de l'instruction des jeunes Indiens dans les écoles provinciales en payant un per capita qui est établi à partir des coûts généraux de l'opération lorsque les écoles et les services scolaires sont déjà existants. Dans lés cas où de nouvelles bâtisses doivent être construites-le partage des coûts s'établit à partir de l'importance numérique relative de la population étudiante indienne par rapport à l'ensemble de la population étudiante totale. 103 Si la relation est du quart ou du tiers, ou de la demie, le fédéral défraiera dans les mêmes proportions l'ensemble des frais de construction.

Nous avons vu aussi qu'aucune norme académique n'est inscrite dans le contrat. Nous reconnaissons l'ensemble des difficultés pratiques que pourrait susciter un trop grand nombre de clauses académiques. Au surplus, nous savons par expérience et à la suite de nos contacts avec la majorité des surintendants régionaux, que l'aspect académique de la question est évalué séparément avec beaucoup de minutie. Aucune démarche formelle n'est entreprise sans qu'un jugement favorable sur la qualité des services scolaires et pédagogiques soit porté. Finalement les directeurs d'étude dans les diverses régions et districts scolaires ont la responsabilité de surveiller l'aspect académique et social de la carriére des Indiens à l'école publique intégrée. Nonobstant ces évaluations judicieuses et ces contrôles indirects sur l'aspect académique de l'entente, il nous apparaîtrait nécessaire d'inclure quelques clauses académiques dans les ententes individuelles avec les commissions scolaires. On objectera que le gouvernement central n'a point de juridiction sur les questions éducatives et que celles-ci relévent des provinces. A notre point de vue, les droits scolaires des Indiens débordent le strict champ de l'accessibilité à l'école et aux services scolaires disponibles. Ils incluent également le droit à la qualité et à la diversité des services scolaires essentiels dans les centres éducatifs de chacune des provinces.

L'absence de normes académiques souléve peu de difficultés lorsque les commissions scolaires impliquées dans les ententes conjointes connaissent les besoins particuliers des Indiens tout en évitant toute forme de ségrégation non,.obligatoire. Par exemple, aux écoles publiques de Maria et de Restigouche, les commissions scolaires locales ont organisé des maternelles pour les jeunes indiens dans le but de faciliter l'apprentissage de la langue française. Comme le micmac est encore la langue parlée à la maison, les indiens d'âge scolaire ne pourraient point entrer directement en premiére année sans risquer d'échouer ou d'obtenir des résultats trés faibles. La maternelle les prépare ainsi à mieux assimiler le programme de premiére année à leur entrée à l'école. Mais cette compréhension des problémes indiens n'existe pas partout.

Les ententes conjointes sont également silencieuses sur la question de la représentation indienne à la commission scolaire. Les autorités fédérales sont pleinement conscientes de cette lacune fondamentale dans un programme d'intégration scolaire des Indiens dans les écoles provinciales. Puisque cette représentation n'existe point, les Indiens n'ont pas de voix au chapitre et les décisions des commissaires se prennent de maniére unilatérale. Les Indiens n'ont point le droit d'être élus puisqu'ils ne payent pas de taxes scolaires. Cette disposition constitue un frein considérable à l'intérêt et à la participation des communautés indiennes aux programmes d'intégration scolaire. Les Indiens se sentent complétement dissociés des décisions qui se prennent et les considérent trop souvent comme dommageables au bien-être de leurs enfants. Le surintendant régional et les inspecteurs de districts sont là, bien sûr, pour surveiller les intérêts des Indiens, mais ils ne peuvent le faire de la même maniére que le feraient les Indiens eux-mêmes. Certaines commissions scolaires d'avant-garde obvient à cette difficulté juridique en invitant un délégué indien à siéger au sein de la commission scolaire à titre de consultant. Ces délégués n'ont cependant point droit de vote. On consulte parfois les comités scolaires des Indiens sur certaines questions. Mais ces consultations sont trop sporadiques et trop peu définies pour constituer des éléments positifs de participation indigéne au programme d'intégration scolaire. Les Indiens parviennent rarement à influencer directement les décisions qui les concernent eux et leurs enfants.

Bien que l'entente conjointe que nous avons analysée ne contienne aucune spécification à ce sujet, nous pouvons affirmer en conclusion qu'une des caractéristiques principales de ces ententes c'est que le gouvernement fédéral achéte un service déjà existant et qu'il ne cherche en aucune maniére à exercer un contrôle déterminant sur les méthodes d'opération courantes dans un milieu scolaire donné. Une clause typique apparaît dans l'entente conjointe de Deschambault qui explicite cette position du fédéral. Nous citons "Nothing in this agreement shall confer on the Minister any right of supervision over the curriculum, the administration and teaching personnel, the methods or materials of instruction or management generaily of the school, provided the Minister or any person authorized by the Minister shah have the right to visit the school from time to time."

bb. Les ententes provinciales

Le progrés le plus substantiel dans le champ des ententes conjointes se rapporte aux ententes entre le fédéral et une province. A ce moment-là les termes de l'entente se généralisent automatiquement à l'ensemble des commissions scolaires provinciales éligibles qui acceptent d'éduquer les jeunes Indiens. Ces ententes sont progressives dans ce sens qu'elles accordent de meilleures garanties aux populations indiennes sur le plan de leurs droits scolaires. Ces ententes finalement consacrent la participation provinciale dans le domaine de l'instruction des populations autochtones auxquelles on concéde les mêmes droits que ceux qui prévalent pour les populations blanches. Les responsabilités de l'éducation des Indiens deviennent partagées. Ces obligations spécifiques de chacune des parties concernées sont définies et codifiées à l'avance. Nous examinerons les trois ententes conjointes provinciales chronologiquement, dans le but de constater en quoi elles se différencient des ententes conjointes individuelles et en quoi chacune d'elles marque un progrés substantiel sur les ententes précédentes. Ce sont, dans l'ordre de leur apparition: l'entente avec la "Northland School Division"; l'entente avec la Colombie-Britannique; et l'entente avec le Manitoba.

(1) L 'entente avec la 'Worthland School Division. " La premiére entente conjointe que nous examinerons n'est pas, à proprement parler, une entente conjointe provinciale. II s'agit d'une entente entre la région scolaire du Nord de la province de l'Alberta et le Fédéral. Mais cette division scolaire Note de bas de page 104 comprend un territoire aussi vaste que le reste de la province et regroupe un trés grand nombre d'écoles dispersées offrant un minimum de services scolaires? Finalement cette entente comportait une trés grande valeur symbolique et stratégique pour l'avenir, étant donné son caractére novateur. Il ne nous est point loisible de reconstituer l'historique de l'établissement de cette nouvelle régionale scolaire en Alberta. Ce qui compte ici, pour les fins de l'analyse poursuivie, c'est de dégager les raisons qui rendent cette entente particuliérement intéressante pour la compréhension des nouvelles lignes d'équilibre qui sont en voie de s'établir et qui régiront demain les rapports fédéral-provinciaux dans le domaine de l'éducation des Indiens. Contentons-nous d'énumérer les aspects qui nous apparaissent comme étant les plus marquants.

  1. L'entente porte sur les territoires nordiques de la province de l'Alberta dans une région où l'intégration scolaire serait normalement difficile à réaliser.
  2. La politique provinciale des octrois scolaires ("equalization grants") ainsi que le vigoureux leadership du ministère de l'Éducation ont contribué à rehausser la qualité des écoles nordiques.
  3. Les clauses contenues dans la loi scolaire de l'Alberta concernant la confessionnalité des écoles publiques ont facilité le transfert des responsabilités du fédéral à la province de l'Alberta.
  4. Les relations personnelles harmonieuses entre les officiers du ministère de l'Éducation et ceux des Affaires indiennes ont grandement aidé la rédaction de cette première entente du genre.
  5. Le fédéral effectuait cette entente tout en respectant les prérogatives scolaires d'autonomie de la province et de cette régionale scolaire (La clause 6 de l'entente).

Ayant présenté, succinctement, les aspects novateurs de cette entente nous voudrions maintenant établir le profil des éléments de l'entente conjointe. Tout comme c'est le cas pour les ententes individuelles, certaines clauses définissent les responsabilités du (Ministre) Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration tandis que d'autres se rapportent aux obligations de la Division scolaire du Nord. Les responsabilités du Ministère sont plus nombreuses et cherchent à réduire l'ensemble des difficultés que pose la scolarité indienne. Quant aux contraintes administratives de la régionale elles sont plus détaillées. On y spécifie la méthode officielle acceptée pour déterminer l'inscription indienne pour une année, espérant réduire ainsi les difficultés liées au calcul du coût d'opération. Sur le plan académique, le fédéral consacre l'autonomie de la régionale par la même clause que nous citions auparavant.

Voici les responsabilités du Ministre:

En dernier lieu, certaines dispositions prévoient soit les modalités de la cessation de l'accord ou d'ententes nouvelles;

L'aspect le plus spectaculaire de l'entente concerne la participation indienne aux commissions scolaires en autant que les lois scolaires provinciales le permettent. Il nous apparaît intéressant de souligner l'appréciation d'un administrateur fédéral. Il ne craint point d'affirmer que la proposition provinciale

constitue une mesure positive en vue de faire accepter par la province une responsabilité accrue à l'égard de l'éducation des Indiens; elle pourrait nous fournir l'occasion de voir à l'oeuvre un programme fédéral-provincial restreint fonctionnant à titre expérimental. En deuxiéme lieu, si cette division scolaire s'avére un succés, sans difficultés insurmontables, elle pourrait alors servir de modéle pour la mise en oeuvre, dans d'autres agences, de programmes semblables à responsabilités partagées. Troisiémement, les instituteurs dont les classes comprendraient des enfants indiens, dans les écoles de cette division, reléveraient de l'autorité de la province. C'est dire qu'ils feraient partie de l'Association des enseignants de l'Alberta et, à ce titre, auraient droit à une accréditation provinciale. Enfin,. . . le régime des écoles confessionnelles ne serait nullement mis en question, étant donné que l'Alberta School Act renferme des dispositions relatives aux écoles confessionnelles.

II qualifia cette entente:

de point de départ vers un objectif ultime: la reconnaissance, par la province, des Indiens à titre de citoyens jouissant des mêmes priviléges et des mêmes avantages que les autres membres de la communauté.

Sur le plan académique, cette entente conjointe rendait possible un grand nombre de fonctions importantes. C'est du moins l'évaluation du même mémoire lorsqu'il définit l'ensemble des fonctions de la Northland School Division par rapport aux enfants indiens.

En bref, l'entente du fédéral avec la province de l'Alberta innovait sur plus d'un point.

(2) L 'entente avec la Colombie-Britannique. L'entente entre le fédéral et la Colombie- Britannique fut signée le 12 novembre 1963 mais devenait rétroactive au janvier 1963. Elle constituait un précédent en ce sens que ce fut le premier accord conjoint signé par le fédéral et une province canadienne. Un administrateur des Affaires indiennes s'exprima trés clairement à ce sujet lorsqu'il écrivit:

Cet accord est un document trés significatif, du fait qu'il crée un précédent qui, nous l'espérons, sera suivi par d'autres provinces.

L'aspect nouveau de cette entente conjointe est qu'elle fixe un coût d'opération mensuel per capita de $25 .00 pour chaque Indien fréquentant une école provinciale. Ce taux per capita, selon les termes de l'entente, sera valable pour trois ans. Dans sa demande au Conseil du Trésor, le 8 février 1963 la Direction des affaires indiennes mit l'accent sur le niveau raisonnable des frais scolaires.

Les frais de scolarité proposés sont trés raisonnables, si l'on considére que la Direction ne pouvait assurer les mêmes services, à un prix comparable, aux éléves indiens. . . .A notre avis, tout défaut de satisfaire aux demandes du gouvernement provincial risquerait sérieusement de compromettre les excellentes relations qui ont présidé à l'intégration de l'instruction des éléves de cette province, que nous nous sommes plu à décrire comme une province modéle, qui assume ses responsabilités en matiére d'éducation des enfants indiens.

Cet aspect progressif de la participation provinciale à l'instruction des Indiens en Colombie-Britannique est aussi apparent dans l'énoncé des clauses qu'ont signées les deux parties. Les clauses qui concernent la fréquentation scolaire mensuelle des Indiens sont détaillées puisqu'elles fondent juridiquement les subventions mensuelles globales auxquelles aura droit la province.

(3) L 'entente du Manitoba. L'entente signée entre le fédéral et la province du Manitoba ressemble sensiblement à celle de la Colombie-Britannique. D'ailleurs cette derniére a constitué l'arriére-plan à partir duquel les discussions furent amorcées. Elle consacre les droits scolaires des Indiens dans les écoles provinciales (le droit à l'instruction et à tous les services scolaires disponibles au même titre que les blancs) à la suite d'un Amendement à l"Education Act" du Manitoba. Cet amendement à la loi scolaire est le résultat direct des pourparlers qui ont abouti à la signature de cette entente par le Manitoba. C'est là une innovation substantielle. Tandis que dans les cas de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, l'entente ne contredisait en aucune façon la loi scolaire et lui était modelée, l'entente entre le fédéral et le Manitoba suscita une réforme de la loi scolaire. D'ailleurs, les officiers du ministére provincial de l'Education reconnaîtront même leurs obligations morales vis-à-vis les populations indiennes.

Au cours d'une discussion avec un fonctionnaire supérieur de la province, on s'est entendu, en principe, sur la responsabilité morale de la province, en ce qui a trait à l'éducation des Indiens comme citoyens de la province. On n'a pas abordé les considérations financiéres, mais la province trouve les taux offerts justes et raisonnables… Note de bas de page 106

De la responsabilité morale à la responsabilité financiére il ne reste plus qu'une étape à franchir-même si cette étape constitue un défi d'envergure. C'est donc dire que cette nouvelle entente directrice marque un progrés sur les précédentes et ouvre la voie à une participation provinciale encore accrue. L'entente fut signée le 21 juillet 1965. Voici les principaux aspects de l'entente: 1. Que le ministére de l'Éducation et la Direction des affaires indiennes signent un accord prévoyant ce qui suit: a) Le versement à la province, par la Direction des affaires indiennes, d'un montant convenu per capita pour chaque enfant indien inscrit dans une école publique du Manitoba. Ce montant per capita ne devrait pas comprendre les frais d'immobilisations et de transport; il devrait être établi séparément pour les éléves de l'élémentaire et ceux du secondaire. D'aprés

nos calculs, les frais per capita pour les éléves du cours élémentaire, pour l'année 1965, sont d'environ $275, et d'environ $400 par année pour les éléves du secondaire. b) Le paiement à la Direction des affaires indiennes, par la province du Manitoba, d'un montant établi d'aprés les mêmes critéres, pour les éléves indiens qui ne sont pas assujettis à des Traités et qui sont à la charge de la province dans les écoles indiennes. c) Si l'accord mentionné précédemment se réalise, la province versera un droit mensuel pour chaque éléve, dans chaque district et dans chaque division scolaire comptant des éléves indiens; ce droit devrait être calculé d'aprés les frais moyens nets, per capita, engagés par l'autorité locale. 2. 11 y aurait lieu de négocier de nouveau avec les districts et les divisions où il existe déjà des ententes, en vue de modifier la partie de l'entente concernant le paiement, par la Direction des affaires indiennes, des frais d'exploitation engagés par les autorités locales.

Et à ce sujet, un administrateur fédéral commentait:

Nous avons convenu que ce qui précéde, constituerait un accommodement juste et équitable pour toutes les parties en cause: le droit des éléves indiens de fréquenter nos écoles publiques serait garanti, les districts et les divisions scolaires seraient équitablement dédommagés pour les services rendus, et la province serait remboursée des subventions qu'elle aurait accordées aux districts et aux divisions scolaires pour le compte des éléves indiens admis aux écoles publiques.

Ainsi le Manitoba continuait à reconnaître ses responsabilités financiéres vis-à-vis les Indiens qui ne sont point enregistrés comme tels. La province consent à rembourser le fédéral pour les services scolaires qu'il leur accordera dans ses écoles. Les tarifs seront les mêmes que ceux que le fédéral paie pour les services provinciaux au nom des Indiens.

En conclusion à cette section sur la conception des ententes conjointes, on peut affirmer que les ententes provinciales représentent de meilleures garanties scolaires et académiques pour les Indiens que les ententes conjointes individuelles. Elles uniformisent l'accessibilité aux écoles provinciales et réduisent autant que possible toute décision arbitraire. Elles permettent également au fédéral de réduire les coûts de l'éducation des Indiens (coût par tête) et améliorent sensiblement les contrôles administratifs et financiers que le fédéral doit exercer sur les opérations scolaires en général. Finalement ces ententes permettent aux provinces de prendre conscience de leurs responsabilités scolaires vis-à-vis les Indiens et d'acquérir sur une vaste échelle une expérience concrète à la fois sur les plans académique et administratif de l'éducation des Indiens. Théoriquement du moins, les trois parties concernées: indiens, provinces et fédéral sont toutes trois bénéficiaires.

Régle générale, les ententes conjointes ont favorisé l'émancipation indienne d'une maniére positive. Par exemple, elles ont permis aux Indiens d'accéder à l'égalité des chances avec les jeunes Blancs sur le plan de la scolarisation.Note de bas de page 107 Dans les milieux blancs on leur reconnaît les mêmes droits que ceux que l'on accorde aux Blancs. L'ensemble des services scolaires accessibles aux Blancs deviennent également accessibles aux Indiens.

Malheureusement, par suite d'un ensemble de conditions socio-culturelles, les Indiens ne bénéficient point autant que les Blancs des services qui leur sont offerts: des indices sont le retard scolaire accentué des Indiens, l'abandon hâtif des études, un niveau inférieur de scolarité, etc… . Malgré ces handicaps, plusieurs jeunes Indiens particuliérement talentueux ont dépassé des barriéres autrefois infranchissables et ont démontré hors de tout doute les capacités intellectuelles des populations indigénes. Jusqu'à ces derniers temps on avait vanté surtout les talents sportifs et artistiques des jeunes Indiens. Maintenant on leur reconnaît des aptitudes intellectuelles comparables à celles des Blancs. Ces aptitudes se manifestent concrétement dans des résultats scolaires comparables lorsqu'on modifie du améliore les conditions de vie (et principalement les conditions d'étude) des jeunes Indiens. Les professeurs et les administrateurs scolaires le reconnaissent bien volontiers.

La plupart des ententes conjointes signées entre le fédéral et l'une ou l'autre des commissions scolaires du Canada fonctionnent bien. Nous voulons dire par là que les principes endossés par les signataires sont respectés à la lettre et l'éducation des jeunes indiens dans une école provinciale ne pose point de problémes particuliers. C'est là évidemment le résultat d'un ensemble de circonstances favorables qui varient d'un endroit à un autre. A titre d'illustration, nous voudrions mentionner l'ensemble des raisons qui ont rendu l'entente conjointe de Kinistino (James Smith Reserve), en Saskatchewan, si fonctionnelle'

  1. la coopération soutenue des parents;
  2. le leadership éclairé et puissant du président du comité scolaire local;
  3. les réunions conjointes des associations de Parents-Maîtres (des Indiens et des Blancs);
  4. la collaboration étroite entre le fédéral, le provincial et la commission scolaire à travers leurs représentants;
  5. les réunions réguliéres du personnel professionnel sur la réserve et échange continuel d'information.

Inversement, les ententes conjointes suscitent des problémes plus ou moins nombreux et plus ou moins graves selon les diverses régions du pays. Ces problémes ne se retrouvent pas tous concentrés dans un seul endroit. Aussi avons-nous choisi d'examiner l'ensemble de ces problémes, un à un, en les regroupant selon deux catégories significatives:

  1. Les problémes juridiques;
  2. Les problémes administratifs et financiers.

Notre but n'est pas de contester la valeur des ententes conjointes ou encore celle des écoles intégrées. Au contraire, le jugement global que nous portions plus tôt est plutôt positif. Nous voulons tout simplement souligner les points faibles de l'intégration scolaire dans le but de susciter les réformes administratives ou académiques nécessaires. D'ailleurs nous sommes conscients que nous ne traitons point nécessairement tous les problémes et que ceux auxquels nous référons ne sont point analysés dans tous leurs aspects. Tenant compte de ces limitations, nous examinerons ces séries de problémes dans l'ordre proposé ci-haut.

  1. Les problémes juridiques

La question de la représentation formelle indienne (par élection) fut soulevée à Restigouche au Québec. Jusqu'à maintenant, les Indiens ne sont point éligibles au poste de commissaire d'école parce qu'ils ne paient point de taxe scolaire. Le surintendant régional a fait valoir auprés des autorités du ministére provincial de l'Éducation un argument qui nous apparaît trés fort. Voici son raisonnement. Si l'Indien ne paie point directement de taxe scolaire, il en paie indirectement par le truchement des contributions financiéres fédérales à la commission scolaire locale. Autrement dit, l'argent que le fédéral verse à la commission scolaire locale pour l'éducation des Indiens est la part financiére que les Indiens devraient payer pour leur instruction. C'est donc le fédéral qui paie leur taxe scolaire en leur nom. L'aviser légal du Ministére croyait que cette interprétation légale de la contribution fédérale était juste. Nous croyons que ces discussions aboutiront à l'élection des Indiens aux commissions scolaires. Mais cet aboutissement peut prendre encore quelques années. Entre- temps, on continuera à débattre les aspects légaux de cette question fort importante pour l'avenir des Indiens.

A la Régionale scolaire du Nord cette même question aboutit à la considération d'une révision de la législation sur l'éducation qui permettrait la représentation indienne au sein des commissions scolaires.

2': Problémes administratifs et financiers

Un des problémes financiers les plus délicats dans les ententes conjointes individuelles concerne la détermination des coûts financiers de l'entente (coûts d'opération). Il s'agit de trouver une formule pour établir le chiffre exact de l'inscription indienne à un moment donné et l'ensemble des item à inclure dans les coûts d'opération. aa. Comment déterminer le chiffre de l'inscription globale indienne dans le but de calculer le montant global des subventions à recevoir? Ce chiffre de l'inscription indienne peut être calculé de plusieurs maniéres:

  1. par le calcul de l'inscription indienne à un moment donné - au début de l'année scolaire, à une date précise à chaque mois;
  2. par le calcul de la fréquentation scolaire moyenne; et
  3. par le calcul de l'inscription indienne totale pour l'année.

…Lorsque la province posséde une formule établie de calcul fondée sur une assiduité d'ensemble parfaite, au niveau secondaire, et sur une assiduité réelle, au niveau élémentaire, comme c'est le cas en Ontario, la Direction des affaires indiennes accepte telle formule. S'il n'y a pas de formule établie, la question fait habituellement l'objet de négociations entre la Direction et la Commission scolaire.Note de bas de page 108

bb. Quels item inclure dans les coûts d'opération? Afin de déterminer le per capita, il est nécessaire d'établir les coûts d'opération globalement. Une fois ces frais établis, il est alors facile de définir les frais attribuables à la présence de jeunes écoliers indiens (calcul proportionnel des frais) en autant que l'on puisse déterminer à la satisfaction des deux parties le total de l'inscription indienne. Le probléme central ici est de fixer les frais qui peuvent être remboursés par le fédéral. Le transport des «écoliers indiens» est entiérement assumé par le fédéral. Il ne saurait être question pour une commission scolaire d'inclure ces coûts de transport des écoliers blancs pour en charger par la suite une partie au fédéral. Celui-ci défraie déjà les coûts du transport des écoliers indiens. De la même maniére lorsque le fédéral a déjà contribué financiérement à la construction d'une école, il ne saurait par la suite consentir à payer annuellement aux commissions scolaires locales les frais découlant d'emprunts faits par elles pour défrayer leurs projets. Le fédéral a déjà payé sa quote-part et les intérêts sont chargés sur la part de la commission scolaire. Cette opinion est exprimée clairement dans le document que nous citions auparavant:

La détermination des frais souléve certaines difficultés, car une partie de ces frais ne s'appliquent pas à des éléves indiens. Par exemple, étant donné que la Direction assure le transport de ses éléves, elle ne devrait pas être appelée à partager les frais de transport de la commission. Toutefois, la principale préoccupation porte sur l'inclusion de paiements obligatoires annuels. Dans le cas d'un éléve non indien, la commission compte récupérer une partie de ses dépenses à l'aide de ces frais de scolarité, mais il n'est pas approprié d'ajouter des paiements obligatoires aux frais de scolarité dus à l'égard des étudiants indiens, si le ministére de la Citoyenneté et de l'Immigration a déjà contribué aux frais d'immobilisation de l'école. Pour cette raison, il est préférable de conclure des ententes formelles lorsqu'il y a contribution aux frais d'immobilisations. Note de bas de page 109

C. Évaluation des ententes conjointes

Malgré certaines lacunes que nous avons mise en lumiére, le bilan des ententes conjointes et de l'insertion graduelle des écoliers indiens dans les écoles provinciales est, nettement, positif. Ces ententes permettent aux écoliers indiens d'être sur un même pied que les écoliers blancs par rapport à leurs droits scolaires et rendent accessibles tous les programmes d'études spécialisées et professionnelles. C'est une politique que le gouvernement central doit accentuer tout en tenant compte de la préparation des populations autochtones à effectuer le passage de l'école de réserve à l'école publique. Le fédéral doit aussi inciter les provinces à s'intéresser davantage à la scolarisation des Indiens. De ce point de vue, de nouvelles ententes conjointes provinciales devraient être rédigées. Finalement, on devrait s'efforcer d'assurer aux parents indiens une participation plus grande dans l'effort d'éducation de leurs enfants. Ils seraient ainsi mieux informés sur la nature véritable de ces programmes et les jugeraient en meilleure connaissance de cause. Quant aux enfants eux-mêmes, ils en sont les premiers bénéficiaires: les résultats sont déjà visibles par le rehaussement de la scolarité et par une préparation technique plus adéquate. Il est encore trop tôt pour savoir s'ils sont des citoyens mieux intégrés à la vie canadienne.

II. L'ORGANISATION SCOLAIRE: Hiérarchie et fonctionnement

Le département de l'Éducation de la D.A.I. dessert un territoire subdivisé en sept régions scolaires. Ces régions sont:

  1. Les Maritimes
  2. Le Québec
  3. L'Ontario
  4. Le Manitoba
  5. La Saskatchewan
  6. L'Alberta
  7. La Colombie-Britannique.

A leur tour, ces régions se subdivisent en un certain nombre d'agences. Lorsque le nombre des agences est élevé, on crée des districts regroupant chacun deux, trois ou quatre agences. La Colombie-Britannique, en raison du fort contingent d'Indiens qui s'y trouve, se subdivise en cinq districts et dix agences.

Pour exercer un contrôle sur les frais d'éducation des Indiens et la valeur de l'enseignement qui leur est donné, la Division des affaires indiennes a créé une structure bureaucratique complexe encadrant les nombreux fonctionnaires à qui on a délégué des pouvoirs de décision et d'exécution en matiére scolaire. Notons, toutefois, que la structure bureaucratique encadrant les fonctionnaires de l'éducation est elle-même rattachée à la structure bureaucratique générale établie pour assurer le bon fonctionnement des réserves indiennes en général.

L'étude de l'organisation scolaire mise sur pied pour l'éducation des Indiens nécessite un examen de cette structure bureaucratique. En premier lieu, nous viserons 1) à décrire cette structure en termes de la délégation du pouvoir de décision et d'exécution; 2) à spécifier les fonctions ou tâches confiées aux détenteurs des postes à chaque palier d'autorité; 3) à décrire les canaux prévus de communication et chercher à savoir s'ils répondent aux besoins des personnes situées au bas de l'échelle et 4) à mentionner briévement le type d'institution scolaire que cette structure dessert.

Dans un second temps, nous préciserons les objectifs de cette structure bureaucratique. En troisiéme lieu, nous discuterons quelques-uns des problémes difficiles qu'une machine bureaucratique trop lourde suscite:

  1. L'opposition d'allégeance;
  2. La bureaucratie versus la démocratisation des décisions;
  3. La sous-rémunération comme obstacle à l'obtention d'un personnel entiérement qualifié;
  4. L'accroissement démographique des Indiens et l'augmentation des frais d'éducation.
  5. La résistance à l'intégration scolaire.

Enfin, nous verrons comment la planification et l'intégration constituent deux instruments qui peuvent aider à solutionner ces problémes.

1. La structure bureaucratique au niveau des régions scolaires

A. Les paliers hiérarchiques de la structure scolaire

Bien qu'il serait plus approprié de parler de structure régionale que de structure nationale cohérente en matiére d'éducation des Indiens, il demeure que dans l'ensemble, une certaine uniformité existe. Ceci nous autorise à discuter les divers "postes" et "fonctions."

Par exemple, il est entendu qu'à la tête de chaque région administrative, un directeur nommé par la D.A.I. (Regional Director) exerce l'autorité de la Division au niveau de la région et coordonne le travail des subalternes qui remplissent en son nom des fonctions spécifiques. Immédiatement sous lui. se situent les postes de surintendant dont celui de surintendant régional des écoles (Regional School Superintendent). Pour ce qui est de l'échelon suivant, selon les régions, différents postes suivent celui de surintendant régional des écoles: là où il existe un bureau de district se trouve un surintendant scolaire de district. Mais là où de tels districts n'existent pas, le poste qui suit celui de surintendant régional est celui de directeur scolaire de l'agence ou directeur des études (Supervising Principal). Son travail se répartit à raison de 40% à l'administration, 40% à la surveillance des classes et 20% à la direction des étudiants indiens fréquentant des écoles non-indiennes. Mais de toute façon, les surintendants scolaires de district ont toujours sous leurs ordres des directeurs scolaires pour assumer certaines de leurs responsabilités au niveau de l'agence. A leur tour, les directeurs d'école (School Principal) relévent du directeur scolaire de l'agence. Et comme il existe partout, les enseignants relévent du directeur d'école.

En bref, nous avons couvert les principaux postes qui se situent dans la ligne directe d'autorité prévue par la structure de l'organisation scolaire. Il existe cependant nombre de postes réservés à des spécialistes en orientation, en formation technique, en linguistique, ou autre spécialité. Ces postes ont été prévus tout d'abord pour améliorer la qualité de l'enseignement et l'efficacité du systéme scolaire.

Cependant, en raison des ententes conjointes, cette seule description n'épuise pas en fait la structure de l'organisation scolaire. Du fait, qu'environ 40% de la population scolaire indienne était inscrite aux écoles provinciales en 1963 et environ 50% en 1965, il en résulte que les divers ministéres provinciaux de l'éducation assument nécessairement de larges responsabilités en matiére d'éducation des Indiens et que les fonctionnaires provinciaux suivent de prés cette population indienne. Il est ainsi prévu que les inspecteurs provinciaux effectuent eux aussi une tournée des écoles indiennes afin de les évaluer par rapport aux écoles publiques provinciales.

Nous devons, pour compléter l'image de l'organisation scolaire des Indiens, tenir compte aussi du poste de surintendant de l'agence, des commissions scolaires locales, des représentants d'Église, de même que des associations parents-maîtres. Quant au surintendant de l'agence, il n'assume qu'une responsabilité limitée vis-à-vis les écoles indiennes. Dans les diverses régions du pays, c'est le directeur régional des écoles qui définit les grandes politiques scolaires de la région: celles-ci sont par aprés approuvées par le surintendant régional et inscrites dans des prévisions budgétaires. C'est, par aprés, le directeur régional des écoles qui voit à ce que ces politiques soient réalisées concrétement. Ce bicéphalisme dans les lignes d'autorités suscite de nombreux problémes administratifs. Il est de plus en plus question que les directeurs régionaux des écoles assument de plus larges responsabilités et acquiérent une plus grande liberté d'action. Une intégration scolaire plus poussée et un transfert graduel des responsabilités fédérales aux provinces militent en faveur de ces changements. Les comités scolaires des Indiens ne sont guére répandus, mais ils remplissent une fonction importante que nous examinerons plus loin. Les représentants d'Église n'ont de rôle à jouer dans l'éducation que dans la mesure où ils sont propriétaires d'écoles ou assument la fonction d'enseignants. Quant aux associations de parents-maîtres, elles sont encore moins nombreuses que les comités scolaires indiens.

Aprés avoir énuméré une série de postes constituant la structure du systéme scolaire mis sur pied pour l'éducation des Indiens, voyons quelles sont les tâches ou responsabilités qui y sont rattachées.

B. Fonctions des fonctionnaires de l' éducation "sur le terrain"

Bien que la ligne d'autorité entre le directeur national de l'Éducation localisé à Ottawa et les directeurs régionaux des écoles passe par le directeur régional des agences indiennes, il est difficile de reconnaître à ce dernier, une compétence spéciale dans le domaine scolaire. Un organigramme' de la nouvelle réorganisation de la structure régionale des services aux Indiens nous montre que le directeur régional n'agit que comme lien entre Ottawa et les chefs de services placés sous sa surveillance. Aussi, dans le chapitre deux (2) du Field Manual portant sur l'Éducation, nous ne trouvons aucune directive spéciale en la matiére à l'intention du directeur régional (Regional Supervisor of lndian Agencies).

En ce qui à trait aux directeurs scolaires des régions ou surintendants des districts, voici ce que le Guide des surintendants de district stipule en introduction: "The Indian school administrator, whether at the regional or district level, acts for the chief, Education Division, who, with his staff, coordinates the policy for the Department of Indian Education. Effective administration in the field demands adherence by field officials to that policy." Or, en quoi consiste cette politique en matiére d'éducation des Indiens? Cette politique se définit essentiellement en quatre points:

  1. En principe, si les politiques de la D.A.I. en matiére d'éducation et les procédures s'avérent efficaces, il est à espérer que des progrés tangibles se réalisent en faveur de la prochaine génération grâce aux réalisations des Indiens de la présente génération.
  2. La D.A.I. vise à mettre à la disposition des Indiens les meilleurs services scolaires possibles afin qu'ils répondent aux besoins des Indiens, aux impératifs de leur situation concréte.
  3. La D.A.I. vise à faire instruire l'enfant indien aux côtés de l'enfant blanc. Pour ce faire, elle prendra tous les moyens pour que les enfants indiens fréquentent de préférence les écoles publiques. Mais elle conservera différents types d'écoles pour que les enfants indiens reçoivent, en dépit de leur isolement, une éducation adéquate.
  4. Le directeur scolaire régional est le principal officier en matiére d'éducation à travailler sur le terrain. Il n'est responsable vis-à-vis le directeur régional que du bon fonctionnement du systéme d'écoles indiennes et des démarches pour obtenir les classes d'enfants indiens de la région. Il est en outre responsable de l'interprétation de la politique du département de l'Éducation vis-à-vis les autres officiers de l'éducation sur le terrain. Il peut déléguer une partie de ses pouvoirs et responsabilités au surintendant scolaire de district ou au directeur des écoles de l'agence. Enfin, ces officiers sont priés de coopérer avec le surintendant de l'agence qui assume certaines responsabilités administratives spécifiques touchant les écoles.

Alors que le directeur scolaire régional est responsable de l'interprétation de la politique de la D.A.I. en matiére d'éducation des Indiens, de même que des prévisions de l'expansion des services et du bon fonctionnement du systéme scolaire, le surintendant scolaire de district assume en gros trois fonctions:

  1. l'organisation des classes;
  2. l'administration des écoles;
  3. la surveillance des écoles.

Sur 16 tâches énumérées dans le guide préparé par la D.A.I. à l'intention des surintendants scolaires de district en juillet 1959, quatre seulement paraissent avoir un caractère proprement pédagogique; d'où le caractère surtout administratif des fonctions du surintendant de district.

Quant au directeur des écoles de l'agence ("Supervising Principals" nous pouvons résumer son rôle en citant un extrait du guide préparé à son intention en mai 1963:

…il devrait travailler en collaboration avec le surintendant de l'agence, se charger de la plupart des travaux administratifs se rapportant à l'éducation et confiés au bureau de l'agence, et agir en qualité de conseiller en matiére d'éducation. Normalement, il devrait consacrer 40 p. 100 de son temps à des fonctions administratives, 40 p. 100 à la surveillance des classes et autres tâches connexes, et 20 p. 100 aux travaux d'orientation et de rencontres parmi les éléves inscrits aux écoles provinciales. (P. 1.)

Nous remarquons que la D.A.I. prévoit qu'une tranche appréciable du temps professionnel sera consacrée à l'administration scolaire.

Quant au directeur de l'école, les réglements intitulés "Indian School Regulations" décrivent ses tâches en onze points que nous énumérons, in extenso

  1. Conformément aux directives de ses supérieurs, il doit
    1. départager les responsabilités que suppose la bonne marche de l'école;
    2. exercer son autorité sur toute matiére touchant le rendement des enseignants et des étudiants;
  2. Établir les réglements relatifs au fonctionnement harmonieux de l'école;
  3. Surveiller l'accomplissement des tâches qui relévent du personnel enseignant ou des éléves et apporter des conseils au besoin;
  4. S'assurer que les registres des présences et les dossiers sont tenus à jour;
  5. Inscrire les enfants dont le surintendant de l'agence recommande l'inscription;
  6. Sévir au moyen de l'expulsion contre les personnes que désigne le surintendant;
  7. Suspendre tout étudiant coupable d'un délit préjudiciable à la réputation de l'école et en avertir le surintendant;
  8. Prendre les dispositions pour obtenir au besoin des meubles, de l'équipement, des livres ou fournitures;
  9. Surveiller les étudiants et les locaux de l'école;
  10. Inspecter quotidiennement les locaux de l'école et rapporter au surintendant toute condition requérant son attention; et
  11. Rapporter toute absence et tout remplacement au niveau du personnel enseignant ainsi que le besoin d'instituteurs suppléants.

Ces réglements ne sont fondés que sur la nécessité de s'assurer que les subalternes respectent eux-mêmes les réglements qui leur sont imposés d'en haut. En dernier lieu, les enseignants ont comme responsabilité, en plus d'enseigner,

  1. de constituer un tableau de l'emploi du temps représentant les matiéres d'étude, l'ordre des matiéres et le temps fixé pour chacune;
  2. de veiller à la propreté, à la sécurité, au bien-être et au confort des étudiants et de rapporter au surintendant toute manifestation d'une maladie infectueuse;
  3. de tenir les registres de l'école à date et conformes aux procédures décrites, et les mettre à la disposition de toute personne autorisée;
  4. de prendre les dispositions pour faciliter la vérification de toute tâche assignée par les autorités;
  5. de participer aux réunions des enseignants convoquées par le principal de l'école ou l'instituteur en charge de l'école;
  6. de se présenter au travail 15 minutes avant l'heure des classes le matin et cinq minutes, l'aprés-midi;
  7. de recevoir les visiteurs avec courtoisie et entrer leur nom dans le registre; et
  8. de rapporter au surintendant toute absence dans le personnel enseignant et le besoin d'enseignants suppléants.

Nous constatons que, outre l'enseignement, les enseignants sont astreints à une réglementation méticuleuse que leurs supérieurs ont pourtant la responsabilité de faire respecter comme on peut en juger d'aprés la réglementation touchant le principal de l'école.

C. Les canaux officiels de communication

Normalement une structure bureaucratique prévoit que les communications se font entre le supérieur et les subalternes immédiats le long de la ligne verticale d'autorité. Or dans le cas du surintendant scolaire de district, voici quelles sont ces lignes de communication et nous citons le texte même de son guide:

Pour les questions d'ordre professionnel, le surintendant scolaire de district peut communiquer directement avec les parents des éléves admis aux écoles du district, avec les principaux et les instituteurs de ces écoles, ainsi qu'avec les commissions scolaires locales et les représentants ecclésiastiques. Pour les affaires courantes d'entretien, il peut communiquer directement avec le surintendant de l'agence.Note de bas de page 110

Concernant par ailleurs les fournitures d'école et les questions touchant l'emploi et les conditions d'emploi d'un enseignant...

. . . le surintendant scolaire de district peut communiquer directement avec la Division de l'éducation.

D'autre part.

Tous les instituteurs seront assujettis aux "Réglements" (Réglements concernant les écoles indiennes) en vigueur dans leurs écoles. Le surintendant scolaire de district n'a pas le pouvoir de modifier ces réglements ni de permettre qu'on y déroge. Il peut soumettre à l'approbation du surintendant scolaire régional toutes demandes des principaux et des instituteurs ayant trait à des questions de réglement. ..

En ce qui touche le directeur des écoles de l'agence (Supervising Principal)...

. . . la voie normale de communication, pour le directeur des écoles, c'est le bureau du surintendant de l'agence, pour toutes questions se rapportant à l'administration des écoles. Toutefois, il peut demander l'avis du surintendant scolaire de district, par communication directe, sur des problémes purement pédagogiques.Note de bas de page 111

Comme ses fonctions consistent avant tout dans le contrôle du travail des subalternes, il doit cumuler un nombre impressionnant de rapports, dont:

  1. Le rapport mensuel du principal d'école;
  2. Le rapport annuel de chaque école;
  3. Les demandes de matériel scolaire;
  4. Les demandes d'absences;
  5. Les demandes de bourses;
  6. Les demandes d'emploi;
  7. Son propre rapport mensuel… etc.

… Lorsqu'un grand nombre de personnes travaillent ensemble … il faut une administration. Il doit y avoir une filiére, des modalités, et c'est là la seule façon dont un groupe de personnes puisse en arriver à un objectif commun. … Mais il y a aussi un autre aspect. Les rouages administratifs sont encore ce qu'on a inventé de mieux comme moyen de ne pas faire … ou de ne rien faire. C'est une "machine" qui fonctionne dans les deux sens.

… A propos de certaines remarques entendues sur les rouages administratifs, il en est une qui se rapporte au "court-circuitage". Un membre de comité scolaire signale le cas où l'on avait consulté le surintendant sur les mesures à prendre. Comme ce dernier ne le savait pas, il leur dit de se renseigner auprés du bureau régional. Le bureau régional répondit qu'il s'agissait d'une question locale. Voilà le genre de court-circuit où personne ne sait à quoi s'en tenir.

Il peut aussi se produire un surcroît de travail. C'est ce qui explique peut-être certains retards de communication, lorsque la réponse à une demande ou à une lettre de suggestions ne vous parvient pas aussi rapidement que vous pourriez l'espérer.

L'un des membres de notre comité mentionnait, ce matin, qu'il aimerait consacrer plus d'attention à certaines questions, mais que la paperasse s'amoncelait à son bureau, et c'est ce qu'on appelle un surcroît de travail… (p. 24)

Ce témoignage tentait d'expliquer le probléme de l'isolement dans lequel les comités scolaires se trouvaient. Mais il s'inspire nécessairement de faits bien connus qui alimentent à souhait une critique du réseau de communication à l'intérieur d'une structure administrative complexe. Il ne fait donc pas de doute que les communications entre les échelons de la structure posent certains problémes.

2. Objectifs de la structure scolaire

Certes toute structure est conçue en fonction de la réalisation d'objectifs prévus, ,nais il serait à propos de distinguer entre les objectifs anticipés et les objectifs réellement atteints. Pour atteindre l'objectif ultime du département de l'Éducation de la D.A.I., c'est-à-dire l'épanouissement humain des Indiens par l'éducation, la structure scolaire est vue comme un moyen… "for the efficient and successful organization, administration and supervision of the schools Cependant, lorsqu'un tel instrument en arrive à exiger une attention telle de la part des officiers encadrés par la structure qu'il leur reste peu d'énergie, et peu de temps pour se demander si tout l'appareil permet de progresser dans la direction de l'objectif visé, il est à craindre qu'avec le temps les officiers se préoccupent davantage de maintenir l'appareil en marche que de l'animer. De fait, le souci de contrôle trés poussé qui justifie la préparation de nombreux réglements détaillés s'inspire de l'idée de mesurer les progrés réalisés vers l'objectif majeur du département de l'Éducation. Mais nous l'avons souligné précédemment, ce qui s'inspire d'un principe louable, aboutit dans les faits à des résultats trop peu éblouissants. Comme l'énumération des tâches comprises dans les "guides" en fait foi, l'administration accapare une tranche importante du temps dont peuvent disposer les différents officiers et enseignants. A tous les paliers, l'administration est développée. Certains postes comme celui du directeur des écoles de l'agence( "Supervising Principal") se définissent à peu prés uniquement en termes administratifs.

L'une des principales tâches du directeur des écoles est de transmettre sans délai, au bureau de l'agence, toutes les formules dûment et correctement remplies.Note de bas de page 112

Même les enseignants dont la tâche principale est avant tout la pédagogie, sont astreints à des tâches réglementées et à l'accomplissement desquelles on demande à leurs supérieurs d'accorder leur attention. Il nous semble que l'aspect pédagogique pour l'éducation des enfants indiens s'incrit comme le plus important de tous, plus important que tout ce qui n'est pas à proprement parler de l'enseignement.

3. Quelques problémes liés à la structure scolaire

En outre des problémes suscités par la définition des fonctions scolaires des divers agents, par la complexité des canaux de communication et par la trés grande variété des procédures administratives, il nous faut encore mentionner cinq autres types de problémes qui, à notre sens, réduisent l'efficacité de l'organisation scolaire et freinent dans une certaine mesure la promotion scolaire des Indiens. Ces problémes sont les suivants: A. Les conflits d'allégeance aux paliers intermédiaires et inférieurs de la structure; B. Les conflits latents et apparents entre le maintien de la structure bureaucratique formelle et les tentatives de démocratisation des structures traditionnelles; C. La qualification professionnelle de ceux qui occupent des fonctions importantes dans le systéme et les problémes de sous-rémunération; D. L'accroissement rapide de la population indienne et des frais de l'éducation des Indiens; et E. La résistance à l'intégration scolaire venant des officiers en place et des enseignants qui craignent que celle-ci serve à les éliminer progressivement. Nous examinerons chacun de ces problémes dans cet ordre.

A: Les conflits d' allégeance

La D.A.I. exige, par l'observance stricte des réglements élaborés pour chaque fonctionnaire, que les officiers et enseignants payés par le fédéral soient fidéles aux politiques officielles en matiére d'éducation des Indiens, c'est-à-dire loyaux vis-à-vis leurs employeurs. Nous avons énuméré les éléments de cette politique dans la section sur la définition des fonctions. Il demeure que l'organisation scolaire des Indiens est constituée d'au moins quatre types d'écoles. Certaines écoles sont la propriété de la D.A.I. et dans ces cas il ne se pose guére de conflits ouverts d'allégeance. Mais dans le cas des pensionnats fondés et administrés par des communautés religieuses, l'allégeance peut facilement pencher en faveur de l'Église qui ne partage pas nécessairement les vues de la D.A.I. sur l'éducation des Indiens. Dans une rencontre que nous avons eue avec le Dr. Chalmers, surintendant scolaire régional adjoint pour l'Alberta, ce dernier soulignait ce conflit d'allégeance dans les termes suivants:

II y a deux sortes d'objectifs: les objectifs de l'Église et ceux de l'État. L'Église se propose de faire de bons citoyens. … L'objectif de l'État est de donner aux Indiens des connaissances, des aptitudes, une maniére de penser qui leur permettent de se tirer d'affaires efficacement à l'intérieur d'une civilisation occidentale et nord-américaine de classe moyenne. L'autre choix n'est pas fonctionnel, étant donné que les réserves ne sont pas viables.Note de bas de page 113

Nous pouvons ajouter aussi que ce sont des groupes de religieux qui s'opposent le plus fermement à l'intégration scolaire des Indiens… Un surintendant régional nous faisait cet aveu au sujet de ses relations avec les péres oblats par rapport à l'intégration scolaire:

C'est regrettable à dire, mais il faut bien l'avouer, les Oblats, à certains endroits, sont contre le progrés. Ils essaient de contrôler les Indiens… Note de bas de page 114

Nous avons constaté également, au cours d'une visite au Lac Saint-Jean à l'été 1965, que sous le leadership des religieuses, certaines institutrices allaient jusqu'à essayer de convaincre les Indiens que l'intégration était néfaste. Dans un autre domaine, celui de la participation des enseignants aux associations provinciales d'instituteurs, monsieur Art. McBetts, directeur-adjoint de la Fédération des enseignants de la Saskatchewan s'exprimait ainsi:

Un des facteurs qui limitent la valeur pédagogique des enseignants fédéraux, c'est qu'ils ne font pas partie de l'Association provinciale des enseignants de la Saskatchewan. Ils sont des employés du Fédéral, leur allégeance va plutôt à l'association des fonctionnaires fédéraux qui n'est d'aucune utilité dans leur promotion pédagogique.Note de bas de page 115

L'allégeance de l'enseignant sur certaines questions mettant en cause les enfants indiens avec qui il est constamment en contact, peut pencher du côté de principes pédagogiques ignorés dans les réglements qui lui sont imposés d'en haut. Ce phénoméne est plus particuliérement susceptible de se produire si. l'enseignant est lui-même indien et par conséquent se sent solidaire dans tout ce qui est dans l'intérêt des Indiens ou des enfants indiens. A cet égard, un instituteur religieux aura tendance à s'ériger en rempart entre l'enfant indien et les exigences de la D.A.I. qui lui apparaissent contraires à ses intérêts, i.e. le refus d'accorder une bourse sous prétexte que seulement un nombre limité d'enfants indiens peuvent en profiter.

En bref, les conflits d'allégeance du personnel encadré par la structure se posent en termes différents selon les fonctions assumées et selon l'appartenance sociale ou religieuse des fonctionnaires.

B. Bureaucratisation versus démocratisation des structures

Au chapitre II, article 11.02 du Field Manual, 1962, il est dit que:

Dans les affaires scolaires, le leadership doit éventuellement venir de la communauté, à mesure que l'instruction fait des progrés dans la réserve indienne. La formation de comités scolaires, qui permet aux chefs de la communauté de s'intéresser à la conduite des affaires scolaires, est l'une des méthodes les plus profitables pour susciter, de la part des parents indiens, une participation active et intelligente à l'éducation de leurs enfants…

… La formation des Indiens adultes qui assumeront éventuellement la responsabilité des affaires communautaires est, de nos jours, l'une desfonctions les plus importantes des membres du personnel extérieur.

Déjà, en 1962, la Division des affaires indiennes souhaitait - et ceci en termes assez clairs - une certaine démocratisation de l'organisation scolaire par l'élaboration de structures et de mécanismes qui permettraient une plus grande participation indienne et, par voie de conséquence, la prise éventuelle en charge par les Indiens eux-mêmes des responsabilités d'éduquer leurs enfants. Tels qu'ils sont aujourd'hui, ils sont constamment à la remorque d'agents administratifs dont ils connaissent à peine les intentions et sur lesquels ils n'exercent pratiquement aucun contrôle. Lorsqu'ils veulent porter des plaintes, par exemple, les Indiens ne savent pas à qui s'adresser, comment exprimer leurs doléances et à quel moment ils recevront une réponse. D'ailleurs les officiers locaux et régionaux sont eux-mêmes incapables de résoudre immédiatement la plupart des problémes. Ils doivent constamment se référer aux lignes de commande et attendre que la réponse vienne d'en haut. Trés souvent celle-ci arrive trop tard ou n'est pas la solution la mieux appropriée. Combien de fois les fonctionnaires sur le terrain nous ont parlé de la structure pyramidale de l'organisation scolaire et se sont plaints que les décisions se prennent par en haut sans consultation préalable ou sans consultation suffisante de tous ceux qui sont impliqués. On souhaiterait que les décisions viennent d'en bas et soient entérinées par aprés par les "officiels" de l'organisation. Etant plus prés de la réalité et des problémes - les fonctionnaires sur le terrain ont l'impression d'apporter de meilleures solutions aux problémes qui surgissent continuellement.Note de bas de page 116

A la suite des difficultés soulignées jusqu'ici, il apparaît aléatoire que les comités scolaires soient organisés dans le cadre des structures déjà en place. Il ne faut pas oublier que ces comités sont appelés à devenir de véritables commissions scolaires qui prendront éventuellement en charge plusieurs des responsabilité maintenant assumées par les fonctionnaire de la D.A.I. La réglementation contenue dans l'appendice "A" du Field Manuel 1962 à l'intention des comités scolaires est elle-même contestable parce qu'elle respecte peu la volonté de la population concernée. Aussi ne faut-il point se surprendre des paroles d'un participant à la Second School Committee Conference, Prince Albert, en mars 1965:

La Direction des affaires indiennes a pour ligne de conduite de développer parmi les Indiens un sens des responsabilités qui les aménera éventuellement à diriger leurs propres affaires. Dans ce cas, fournissons aux Indiens les moyens de développer ce sens des responsabilités.

Est-ce que nous suivons réellement notre ligne de conduite ou si nous nous contentons d'en parler béatement? Les réglements et les restrictions nous empêchent souvent, nous et les Indiens, de réaliser cet objectif, comme nous le désirons véritablement. Consultons-nous véritablement les Indiens, leurs Conseils de bandes? Les intéressons- nous à l'élaboration des programmes ou ne leur demandons-nous pas tout simplement d'entériner nos décisions parfois hâtives et irréalisables? Sommes-nous au diapason des modes de pensée de la réserve? Savons- nous prendre le pouls de l'opinion? Connaissons-nous les structures de l'autorité, savons-nous quelles sont les factions opposées, les personnages influents? Sommes-nous au courant des raisons qui font de la réserve ce qu'elle est, et le reste? La Direction des affaires indiennes peut-elle compter sur les Indiens, ou bien ces derniers se sont-ils désintéressés, ou même jouent-ils un rôle d'oppositionnistes au sein de la réserve? J'aimerais proposer quatre principes d'action qui doivent nous guider dans nos rapports concrets avec les Indiens:

  1. Il nous incombe d'aider les gens à établir un choix entre ce qui, dans leur situation, est faux et nuisible, et ce qui est bon et bien.
  2. Nous devons accepter le fait que les individus sont libres de choisir le groupe avec lequel ils veulent vivre, et que le groupe est libre de choisir son mode de vie.
  3. Ce sont les intéressés qui doivent répondre aux questions de choix, d'activité et de but ultime.
  4. Le plus important, peut-être, si nous voulons continuer de parler d'acceptation par le peuple indien, c'est d'être docile à leurs demandes. Si nous ne voulons pas satisfaire à leurs demandes, alors, en toute honnêteté, cessons d'en parler.

II paraît assez clair qu'une attitude autoritaire vis-à-vis les Indiens entre en contradiction avec l'objectif de démocratisation formulée.

C. Sous-rémunération versus qualifications professionnelles

Fréquemment, au cours des années passées, les diverses associations indiennes et même les responsables de l'éducation des Indiens se plaignaient de la basse qualité de l'enseignement et du manque de qualification des enseignants. Depuis quelques années, la D.A.I. a fait un effort pour pallier à cette grande faiblesse de l'organisation scolaire des Indiens. Mais en dépit de tout, il est difficile pour la D.A.I. de trouver les enseignants qu'il faudrait.

Voici les raisons pour lesquelles il est difficile de trouver le personnel enseignant nécessaire aux écoles indiennes, en Alberta:

  1. L'échelle des salaires de la Direction des affaires indiennes n'est pas attrayante, comparée aux normes de l'Alberta, mais elle l'est par rapport à celle des provinces Maritimes. Un instituteur venant de la Nouvelle-Écosse peut gagner, dans un école indienne de l'Alberta, $1,000 par année de plus que dans sa province d'origine.
  2. Nous ne jouissons pas encore d'ententes réciproques relatives au régime de pensions. Pour travailler dans une école indienne, une personne qui enseigne dans une école publique de l'Alberta, devrait abandonner son régime de pensions.
  3. La piétre réputation dont jouit l'éducation des Indiens. Il y a cinq ans, personne ne pouvait enseigner dans une école indienne. Quiconque possédait une formation et une réputation professionnelles ne voulait perdre son prestige. Il est trés difficile de changer la mentalité du public, même si la situation a considérablement changé.
  4. L'isolement des instituteurs, du point de vue professionnel, dans les écoles indiennes. Ce n'est plus tellement exact de nos jours, mais ce fut le cas, jadis.Note de bas de page 117

Les raisons invoquées par le Dr Chalmers pour expliquer la difficulté de recruter des enseignants pour les écoles indiennes s'avérent vraies pour d'autres provinces comme de nombreux documents de la D.A.I. pourraient l'illustrer. Et rappelons aussi la remarque du directeur-adjoint de la Fédération des enseignants de la Saskatchewan que l'allégeance des enseignants fédéraux:

… va plutôt à l'association des fonctionnaires fédéraux qui n'est d'aucune utilité dans leur promotion pédagogique. … Pour que l'enseignement fasse du progrés, il doit y avoir renouvellement tant dans les curricula que dans les techniques pédagogiques.Note de bas de page 118

C'est encore le Dr Chalmers qui faisait remarquer:

Environ 8O p. 100 d'entre eux détiennent des brevets d'enseignement obtenus dans d'autres provinces, aux É.-U. ou en Grande Bretagne.

Ce phénoméne n'est pas de nature à faciliter un rapprochement entre les instituteurs provinciaux et ceux à l'emploi de la D.A.I.

D. Accroissement de la population indienne, accroissement des frais d' éducation

Selon les calculs du Bureau Fédéral de la Statistique, la population indienne au Canada augmente au rythme de 4% par année, ce qui est à peu prés 1% de plus que celui de la population canadienne en général. La D.A.I. doit donc prévoir nécessairement une augmentation croissante des frais généraux de l'administration des réserves et automatiquement une augmentation des frais de l'éducation des enfants indiens. C'est pourquoi devant ce spectre financier que représente l'administration des réserves, la D.A.I. met tout son espoir dans l'intégration des Indiens à la population des provinces. De nombreux témoignages officiels en font état et d'ailleurs l'intégration scolaire est devenue un des impératifs primordiaux qui inspirent le travail des fonctionnaires fédéraux à l'emploi de la D.A.I.

E. Résistance à l' intégration scolaire

Comme plusieurs officiers de la D.A.I. nous l'ont fait remarquer au cours de leurs conversations, les groupes religieux sont ceux qui offrent le plus de résistance à l'intégration scolaire. Leurs arguments reposent sur des considérations humanitaires.

La disparition des écoles indiennes sur les réserves, c'est là une politique qui manque d'envergure puisqu'on dissocie la communauté du processus d'éducation. Les communautés n'ont plus d'endroit pour se réunir. On ne peut plus rien organiser. C'est la désolation.Note de bas de page 119

Mais un fait est acquis déjà, l'intégration scolaire s'est avérée bénéfique à l'ensemble des enfants indiens qui ont fréquenté les écoles provinciales. Les communautés religieuses voient ainsi leur suprématie contestée. On comprend alors certaines réactions d'opposition. Car l'intégration signifie à plus ou moins long terme la fermeture des institutions qu'ils ont mis sur pied. Ces institutions financées par le fédéral leur permettaient de desservir sur le plan religieux la population indienne des réserves. En perdant leurs pensionnats, les églises pourraient difficilement supporter économiquement les frais encourus par le séjour permanent d'un missionnaire sur la réserve. D'autre part, l'intégration scolaire constitue la premiére phase vers la dissolution de la plupart des réserves, car c'est grâce à l'instruction que les Indiens pourront s'adapter au régime de vie des canadiens blancs. L'abandon des réserves signifierait l'éparpillement des membres des communautés religieuses. On comprend, dans cette perspective, des résistances de tous les groupes religieux dont l'intérêt est associé à l'existence des réserves.

4. La planification scolaire: instrument utile à l'intégration

Jusqu'ici nous avons évalué avec sévérité la structure mise en place pour administrer et contrôler les institutions scolaires des Indiens. Nous ne voulons aucunement dorer ce qui apparaît comme un bilan plutôt négatif. Mais dans la perspective de l'intégration scolaire, cette structure conçue en fonction du contrôle prend un sens bien précis et peut jouer un rôle fort utile si on s'en sert comme instrument de planification et comme machine susceptible d'accélérer ainsi le processus d'intégration scolaire. En dépit de ses faiblesses, cette machine bureaucratique peut servir à recueillir tous les renseignements nécessaires à l'orientation future des enfants indiens vers des écoles de haut standard académique.

Il est en effet facile de prévoir le déplacement graduel non seulement des enfants indiens, mais de leurs parents vers des centres où les enfants peuvent avoir un avenir et les parents du travail et des quartiers convenables. Et à cet égard, l'organisation scolaire indienne actuelle peut se définir comme une organisation de transition. C'est celle qui permettra une meilleure scolarisation des Indiens et éventuellement leur facilitera l'émancipation de la tutelle fédérale.

III. LE RÉSEAU DES ÉCOLES INDIENNES

En raison des conditions sociologiques trés variées dans lesquelles vivent les différents groupes indiens établis sur le territoire des provinces ou sur d'autres territoires du Canada, la Division des affaires indiennes a dû aménager un réseau complexe d'écoles afin d'atteindre le plus grand nombre possible d'enfants indiens.

A. Les types d'écoles

Dans une brochure publiée en 1962 par la Division des affaires indiennes et intitulée: TheIndian in Transition - The Indian Today, on divise les écoles indiennes en deux grandes catégories: les écoles que nous appellerions "permanentes" et les écoles que nous appellerions "temporaires." Les écoles indiennes de jour et les pensionnats indiens constituent les écoles permanentes tandis que les écoles hospitaliéres constituent les écoles temporaires. Nous appelons ces derniéres "temporaires" car elles ne constituent pas un type idéal d'école. Elles ont pour fonction de maintenir un certain enseignement auprés des enfants indiens hospitalisés dans les sanatoriums. Mais il est évident qu'il ne s'agit que d'une forme palliative d'enseignement destinée à assurer une certaine continuité dans l'enseignement malgré la maladie. Il ne saurait être question d'évaluer le rôle des écoles hospitaliéres dans l'ensemble de l'organisation scolaire mise sur pied pour desservir la population indienne du Canada. Leur rôle demeure marginal et palliatif.

Aussi limiterons-nous notre analyse aux écoles de jour et aux pensionnats. Quant aux écoles intégrées, à quelques exceptions prés, elles ne relévent nullement du présent systéme scolaire, puisqu'il s'agit la plupart du temps d'écoles provinciales relevant des systémes provinciaux.

B. Proportion des étudiants indiens dans chaque type d'école

De tous les types d'école indienne, les écoles de jour (377 en 1962) sont celles qui recevaient en 1962 le plus grand nombre d'enfants indiens soit 20,572'. prés de la moitié des effectifs scolaires indiens.

Quant aux pensionnats scolaires, la situation est complexe du fait que les conditions changeantes modifient le statut de ce type d'école. Sur 66 pensionnats scolaires en 1962, 57 appartenaient à la D.A.I. tout en étant administrés par l'un ou l'autre groupe confessionnel et trois ne servaient désormais que d'auberges aux étudiants indiens fréquentant des écoles provinciales. En tout 8,391 étudiants indiens pensionnaient dans ces écoles, dont 1,490 recevaient leur enseignement d'écoles provinciales avoisinantes.

En 1962, un total de 46,5962 étudiants indiens fréquentaient les divers types d'écoles mentionnées. D'aprés un premier calcul, en 1962, 44% de ces effectifs fréquentaient les écoles de jour indiennes, 15% les pensionnats scolaires, 40% les écoles intégrées et 1% d'autres types d'écoles.

En gros, les effectifs scolaires indiens se répartissent entre les écoles de jour indiennes et les écoles intégrées. Or, les écoles de jour indiennes se situent au niveau de l'enseignement élémentaire et les écoles intégrées assument la responsabilité de l'enseignement secondaire et supérieur. Cependant, il est évident que ces derniéres assumeront une responsabilité grandissante sur le plan même de l'enseignement élémentaire comme le désire la D.A.I.

Au cours des dix derniéres années, nous avons assisté à une intensification spectaculaire du mouvement d'intégration des étudiants indiens aux écoles non-indiennes.Note de bas de page 120

Par conséquent, les pensionnats scolaires sont destinés à assumer certaines fonctions spécifiques qui les éliminent du processus normal d'éducation des jeunes indiens.

C. Politique de la D.A.I. vis-à-vis l'intégration

Dans le "Field Manual" de la D.A.I., version 1962 Note de bas de page 122 , les autorités de la D.A.I. exposent en termes clairs leur politique vis-à-vis l'intégration scolaire:

La Direction des affaires indiennes a la conviction que, partout où la chose est possible, les enfants indiens devraient être éduqués conjointement avec les enfants des autres groupes raciaux. Là où les externats non- indiens sont convenablement situés, la D.A.I. est disposée à conclure, avec la direction de ces écoles, des ententes permettant l'admission des enfants indiens.

Il est donc évident que la D.A.I., mise considérablement sur l'intégration scolaire pour mettre fin à ce qu'elle appelle à juste titre une condition de "ségrégation" à l'égard des Indiens. .Les écoles indiennes permettent sûrement de pourvoir actuellement à l'éducation des enfants indiens dont les parents sont retranchés de la vie sociale pan-canadienne, mais elles maintiennent toutefois les enfants indiens en retrait des autres groupes qui constituent la nation canadienne et incarnent la vie moderne au Canada. C'est pourquoi la D.A.I. n'est pas intéressée à perpétuer l'existence d'un systéme scolaire qui jusqu'ici, avouons-le, a contribué à l'évolution culturelle, sinon économique, des Indiens du Canada, mais qui ne renferme pas les mécanismes d'une adaptation graduelle des Indiens à la vie moderne et industrielle canadienne.

Il demeure que la D.A.I. doit maintenir encore un systéme scolaire autonome pour répondre aux conditions impératives et précaires dans lesquelles le plus grand nombre de familles indiennes se trouvent. Disons toutefois, que l'existence des différentes écoles indiennes demeure conditionnelle comme la D.A.I. l'expose dans sa politique.

L'externat indien s'adresse aux enfants de parents indiens dont l'existence est plus ou moins stable et qui vivent à une distance raisonnable d'un centre. Le pensionnat indien est maintenu en vue de prendre soin des enfants dont les parents sont séparés ou incapables de subvenir aux besoins de leurs enfants ou de les diriger, ainsi que des enfants de chasseurs ou trappeurs nomades, dont le mode de vie ne permet pas aux enfants de fréquenter les externats, et des étudiants du niveau secondaire qui ne peuvent fréquenter les externats.

La Direction exploite des écoles et des centres de réadaptation pour enfants et pour adultes, dans les hôpitaux administrés par les services de santé des Indiens et du Nord canadien.

A l'intention des enfants de nomades qui reviennent chaque année à un campement d'été, les écoles fournissent un programme scolaire abrégé.Note de bas de page 123

Nous constatons donc que selon la politique officielle de la D.A.l. l'existence de chaque type d'école indienne est liée à des conditions sociologiques particuliéres qui sont appelées à se modifier grâce à l'initiative même de la D.A.I. et à remettre en question la raison d'être de ces institutions. Les comptes rendus annuels de la D.A.I. nous apportent d'ailleurs des indications d'un changement rapide vers l'intégration scolaire et vers une diminution relative des écoles indiennes.

D. Fonctions assignées aux diverses écoles

Jusque vers la fin de la seconde guerre mondiale, le pensionnat indien était l'institution d'enseignement par excellence pour les enfants indiens. Il s'agit donc d'une structure vieille d'au moins cinquante ans, où les groupes religieux se sont dépensés sans compter, alors que la population indienne était profondément ignorée par le pays dans son ensemble. Durant les quelque quinze années qui ont suivi la guerre, on a surtout cherché à construire des externats indiens sur les réserves. Mais depuis, et jusqu'à ce jour, on a insisté davantage sur les écoles mixtes. Notre ligne de conduite actuelle est donc établie sur une conviction profonde qu'à titre de représentants du gouvernement, nous avons le grave devoir d'étendre le plus possible aux Indiens les avantages qu'on rattache communément à notre "grande société"Note de bas de page 124 .

Si les écoles de jour indiennes ont permis aux enfants indiens d'accéder en plus grand nombre au cours primaire, ce sont par contre les écoles intégrées qui leur ont permis d'accéder en nombre au cours secondaire. Quant aux pensionnats scolaires, ils ont été désignés pour recevoir les enfants de familles indiennes considérés comme des "cas sociopathologiques" ou pour lesquels il ne reste d'ouverture dans nul autre type d'institution scolaire.

Par conséquent, les écoles de jour continuent de dispenser un enseignement au niveau primaire conjointement avec les pensionnats et les écoles intégrées. Quant aux pensionnats scolaires, l'objectif de la D.A.I. est d'en faire une institution scolaire de dernier recours et non une institution à perpétuer, c'est pourquoi on leur confére une fonction autant de bienfaisance que d'enseignement.

A notre avis, la situation normale et la plus souhaitable, c'est que l'enfant puisse aller à l'école tout en demeurant au milieu des siens. Dans le cas des enfants indiens, l'idéal consiste à vivre au foyer et à fréquenter une école mixte, avec des enfants non-indiens. . . A défaut, l'enfant pourrait vivre au foyer et fréquenter un externat indien. Si, pour quelque raison, ces deux solutions sont irréalisables, nous croyons que le jeune Indien devrait vivre dans un foyer adoptif, indien ou non, et fréquenter une école mixte; à défaut, il pourrait loger dans une pension et s'inscrire à une école mixte pour y recevoir sa formation. Dans le cas des pensionnats, la solution idéale, selon nous, serait de les réserver aux éléves pour lesquels les autres solutions ne sont pas réalisables.Note de bas de page 125

Cette tentative de délimitation des fonctions respectives et prioritaires de chaque type d'école manifeste un voeu de la part de la D.A.I. Mais puisque la D.A.I. convoque une conférence afin de mettre certains points au clair avec les principaux des pensionnats scolaires, nous devons y voir le désir de la D.A.I. de dissiper un état de confusion dans le rôle réel des pensionnats scolaires en matiére d'enseignement. La situation, sur le plan de la définition des fonctions, est encore plus confuse dans le cas des pensionnats du fait qu'il existe un certain nombre de pensionnats privés dirigés par l'un ou l'autre groupe religieux alors que ces mêmes groupes religieux dirigent aussi des pensionnats dont la D.A.I. est propriétaire. Les écoles de jour ne posent guére de probléme quant aux fonctions qui leur sont dévolues. Mais, étant donné d'une part, le principe de financement selon lesquelles pensionnats fonctionnent et d'autre part, les responsabilités administratives du groupe responsable, l'aspect matériel de la vie en pensionnat est nécessairement valorisé au détriment de la formation proprement académique.

Les écoles de jour indiennes relévent directement de la D.A.I. et elles sont administrées matériellement et académiquement par le personnel de la D.A.I. lequel ne doit allégeance qu'au fédéral. Dans le cas des pensionnats scolaires comme nous le faisions remarquer dans un compte rendu de visite dans diverses réserves de la Côte Nord du Québec, "le gouvernement verse, pour chaque éléve, une allocation qui couvre les frais de nourriture et d'habillement plus une allocation spéciale pour les activités spéciales. C'est donc dire que l'institution reçoit un montant fixe proportionné au nombre d'éléves pour administrer, entretenir et réparer l'édifice. Le principal reçoit un salaire fixe et est administrateur. Il accepte les jeunes indiens que le surintendant assigne au pensionnat. Le principal est responsable du bien-être physique et psychologique des enfants.. . de la discipline." Plus loin, nous disions~

On sent que le principal de l'école se préoccupe uniquement de l'aspect physique et matériel de l'école; toutes les remarques qu'il a faites portaient sur des améliorations matérielles telles que l'achat de tuiles pour le plancher des dortoirs, la peinture sur les murs, l'achat de nouvelles tables et de bancs de réfectoire, et ainsi de suite. Il a beaucoup parlé des succés sportifs de ses éléves. Il nous a montré entre autre toutes les coupes que les équipes du pensionnat ont gagnées depuis dix ans.

Ce témoignage souligne les fonctions hébergement et récréation d'un pensionnat. Par ailleurs sur le plan proprement académique, l'image est moins brillante:

En dépit de tout ce confort matériel, il existe des problémes disciplinaires et de motivation chez les jeunes. Il semble que ce soit attribuable à ceux qui ont des responsabilités académiques dans l'institution et qui ne sont pas appréciés des étudiants.

Par conséquent, sur le plan académique, le pensionnat ne remplit pas adéquatement sa fonction principale. Et ceci correspond à un second probléme lié à l'âge des étudiants et à la formule "pensionnat." "Le pensionnat est la formule idéale pour les tout jeunes Mais à mesure qu'ils avancent en âge, ils s'y sentent plus mal à l'aise. Ils aimeraient plus de liberté et d'autonomie."

Le pensionnat scolaire ne semble donc pas une formule qui respecte les aspirations naturelles de l'adolescence et par conséquent il ne peut remplir adéquatement sa fonction pédagogique auprés d'une clientéle étudiante qui aspire à vivre dans un cadre de liberté. Ces quelques faiblesses du pensionnat scolaire ne se retrouvent pas au niveau des écoles de jour puisque les étudiants n'y sont confinés que quelques heures par jour et pour une raison uniquement académique.

Nous avons vu, à partir d'un cas particulier, que le pensionnat scolaire doit assumer à la fois la fonction d'un milieu de vie en remplacement du foyer familial, et celle d'une école dont la principale préoccupation est la formation intellectuelle de la jeunesse étudiante. Comme le pensionnat scolaire doit assumer cette double fonction dans le même cadre, il existe une certaine ambiguïté dans l'esprit même des pensionnaires quant à sa fonction prioritaire. On les a envoyés au pensionnat scolaire; peut-être n'en ont-ils pas tellement eu le choix et aspirent-ils à en sortir pour reprendre une partie de la liberté qu'ils ont perdue en laissant leur foyer véritable. Selon notre hypothése, en raison des responsabilités administratives qui incombent au principal du pensionnat, il semble difficile de faire du pensionnat un milieu à la fois au service de la pédagogie et générateur d'un climat d'affectivité puisque le principal souci de l'administration est d'orienter la vie dans le pensionnat de maniére à protéger d'abord le matériel, d'où l'importance de la discipline et de la propreté des locaux.

Qu'en résulte-t-il chez les jeunes Indiens du point de vue de leur préparation à vivre avec les Blancs?

Un indice nous suggére une réponse: il semble que là où une école intégrée fait opposition au pensionnat scolaire indien, la direction du pensionnat définit son institution par opposition à celle des Blancs. "Il (le principal) nous affirme à ce sujet que les équipes indiennes ont enlevé les coupes dans chacune des quatre ligues organisées en 1964 au grand désespoir des Blancs de. . . . ." Il semblerait exister entre Blancs et Indiens une rivalité assez grande sur ce sujet. Par conséquent, loin de favoriser l'adaptation au monde des Blancs, le pensionnat en liguant les Indiens ensemble contre les Blancs ne fait qu'entretenir chez les Indiens l'image qu'ils sont différents des Blancs et le fossé qui sépare les deux groupes reste large.

Par conséquent sur le plan de l'acculturation, le pensionnat ne semble pas faciliter le processus ou du moins propose une voie apparemment facile et du fait même dangereuse. Dans un compte rendu' fortement documenté par des ouvrages anthropologiques, on découvre un souci chez les Oblats de mettre les données de l'anthropologie de leur côté pour justifier la formule même du pensionnat ou du moins pour réfuter les objections que la D.A.I. entretient à son égard.

L'acculturation procéde par modes extérieurs de comportement, face aux nécessités économiques (production d'aliments, de vêtements, etc.), en passant par l'organisation sociale (formes de gouvernements locaux, divertissements) et jusqu'aux modes de pensée (valeurs, attitudes, sens de l'appartenance). Le premier cycle est relativement rapide; imposé par les circonstances, il est plus facile à concilier avec les anciens modes de pensée. Le deuxiéme cycle, qui demande plus d'étude et une interprétation nouvelle, peut prendre plus de temps. Le troisiéme cycle peut ne jamais aboutir à la formation d'un groupe culturel. Aprés des décennies d'apathie et d'acquiescement aux changements des deux cycles précédents des groupes nativistes ou nationalistes manifestent une résistance insoupçonnée (par exemple, l'attitude actuelle des Indiens des Six-Nations à l'égard de la citoyenneté canadienne). On ne peut accélérer l'acculturation que si l'on tient constamment compte de tous les faits énumérés ci-dessus.Note de bas de page 126

Cette premiére allégation a pour but de démontrer que l'acculturation devient de plus en plus difficile à mesure qu'elle s'effectue en profondeur. On a oublié de dire qu'ordinairement l'acculturation est un phénoméne qui s'étend d'une génération à l'autre et ne se réalise pas dans le cadre de la vie d'un seul individu à moins qu'il ait été coupé tôt de son milieu culturel d'origine. En parlant des conflits d'allégeance des membres d'un groupe religieux, nous avions essayé d'expliquer la résistance de certains Oblats à l'intégration du fait qu'ils voyaient d'un mauvais oeil l'effritement d'une communauté qu'ils avaient érigée selon la ligne de leur pensée religieuse. Nous tenons à citer un extrait du même document qui justifie une telle résistance de leur part.

Dans une société autonome. . . , c'est la communauté qui, d'une façon ou d'une autre et naturellement, oriente l'école comme l'un des facteurs permettant de transmettre sa culture à la génération montante. Toute l'activité scolaire est établie en fonction du patrimoine culturel de la communauté au milieu de laquelle elle se déploie, sinon elle s'en inspire. Elle vise à préparer les éléves à vivre en ce pays. L 'école qui se dissociedu courant culturel de la communauté au milieu de laquelle elle fonctionne, ou qui n'est pas en partie une activité contrôlée par cette communauté, est artificielle …Note de bas de page 127

Plus loin, nous trouvons l'expression d'une divergence flagrante entre l'auteur et la politique d'intégration de la D.A.I.

Pour le Canada, le probléme de l'éducation des Indiens n'est pas d'enseigner aux petits Indiens de la même façon qu'aux autres petits Canadiens, mais plutôt de changer une communauté qui se perpétue en une communauté canadienne. Quand les enfants indiens ne pourront faire autrement que de grandir dans la culture canadienne, alors l'école canadienne moyenne répondra à leurs besoins d'éducation.Note de bas de page 128

Cet énoncé de principe présenté en conclusion d'un exposé intitulé Education ForAcculturation indique à nos yeux que cette congrégation religieuse n'a aucunement l'intention d'accepter le principe de l'intégration par l'intermédiaire de l'école. A leur point de vue, ce n'est pas à l'école qu'il faut accélérer le processus d'acculturation, mais bien au niveau de la réserve. Ainsi, il n'y aurait pas de raison de vider les écoles indiennes de jour et les pensionnats indiens pour forcer l'intégration scolaire. Par conséquent, il est normal qu'à partir d'un tel principe les Oblats se servent du pensionnat scolaire comme d'un dernier fort de résistance. Par contre la D.A.I. s'efforce de réduire son rôle au minimum et, encore là par pur souci d'économie, autrement d'autres institutions mieux adaptées et mieux localisées seraient tôt mises sur pied.

E. Critique des pensionnats indiens

En dépit des avantages culturels qu'y voient les Oblats, les pensionnats scolaires n'ont pas toujours tenu compte du probléme d'adaptation auquel les finissants auraient à faire face advenant leur décision de poursuivre leurs études dans une école provinciale supérieure. Aussi examinons le témoignage d'une journaliste qui suivit de prés les étudiants indiens issus des pensionnats scolaires Au sujet de la discipline des pensionnats, voici ce qu'elle dit:

Pour un bon nombre, le fait de se sentir libres, aprés des années d'enrégimentation, les incite à se révolter immédiatement contre le conformisme et à vouloir soudainement transgresser toutes les régles établies. Éblouis par les feux de la grande ville, pris de vertige à l'apprentissage de la liberté, ils s'arrêtent à la premiére taverne qu'ils rencontrent, avec toutes les complications que l'on connaît.Note de bas de page 129

Par conséquent, la docilité exigée des pensionnaires indiens les avait empêché d'apprendre à faire bon emploi de leur liberté plus tard. Mais cette discipline étant associée à l'exercice des devoirs religieux au pensionnat, il fallait s'attendre à ce que la pratique religieuse subisse le contre-coup d'un relâchement total.

Rares sont ceux qui continuent à assister à la messe et à fréquenter les sacrements. Doit-on attribuer cela à un aspect, passé et actuel, de leur révolte contre l'enrégimentation, à un manque de convictions personnelles, au manque d'habitude de côtoyer les Blancs à l'église, ou à toutes ces raisons à la fois… Il est difficile de le dire.

En dépit du fait que les principaux de pensionnats scolaires prétendent que leur institution prépare adéquatement à la vie intégrée, Mile Cronin démontre le caractére inadéquat de la formation en pensionnat.

Dans la sphére économique, je les ai trouvés également mal préparés à affronter le monde extérieur. Ils n'avaient pas la moindre idée de la façon dont on fait une demande d'emploi ni de ce qui les attendait à l'entrevue. Ils n'avaient absolument aucun sens de la valeur de l'argent, le dépensant comme de l'eau à se ballader en taxis, à faire des appels téléphoniques, à acheter des vêtements, des radios à transistors ou des guitares électriques. Bien sûr, ils n'avaient pas beaucoup d'argent en poche, au départ, mais inévitablement ils dépensaient dés les premiers jours leurs allocations mensuelles en billets d'autobus et menus achats.Note de bas de page 130

Je crois que ce témoignage suffit à démontrer jusqu'à quel point les pensionnats scolaires à caractére confessionnel se sont éloignés du sens des réalités les plus élémentaires de la vie quotidienne des Blancs. Il n'est donc pas surprenant qu'ils se soient attirés la défaveur de la D.A.I. et que celle-ci cherche à en réduire au minimum le rôle dans l'éducation de la jeunesse indienne.

F. Conclusion

A l'examen, nous avons constaté que de tous les types d'écoles indiennes, les pensionnats scolaires étaient la forme d'école la plus ambiguë du point de vue de sa conception (Formation académique, sociale et religieuse) et des fonctions qu'ils assument. Nous n'avons pu trouver aucune comparaison entre l'école de jour et le pensionnat à ce point de vue. Quant aux critiques à l'adresse du pensionnat scolaire, elles valent en partie pour les écoles de jour indiennes en ce sens que ce n'est pas sur la réserve que les jeunes indiens peuvent apprendre à vivre à la façon des Blancs. Et à ce sujet Mlle Cronin ajoutait:

… ils ne savaient à peu prés rien des Blancs, mis à part les religieux et religieuses et le personnel laïc enseignant de l'école, les propriétaires de ranch et les pêcheurs de leur voisinage, ainsi que les fonctionnaires aux Affaires indiennes, tous des gens dont on ne saurait dire qu'ils représentaient la société complexe parmi laquelle ils se trouvaient, à Vancouver.Note de bas de page 131

IV. LE DÉVELOPPEMENT DES COMITÉS SCOLAIRES INDIENS

Au cours de l'analyse de la structure bureaucratique régionale du département de l'éducation de la D.A.I., nous avons vu que les comités scolaires indiens se situaient tout à fait au bas de l'échelle et qu'ils symbolisaient une premiére forme d'administration démocratique des affaires scolaires locales. Par ailleurs, une certaine ambiguïté dans les responsabilités administratives devait nécessairement découler de la coexistence des postes administratifs bureaucratiques et des comités scolaires indiens. Comment la D.A.I. concevait-elle cette coexistence? C'est ce à quoi que nous allons essayer de répondre dans un premier temps. Mais il restera à voir dans quelle mesure la définition des fonctions des comités scolaires est respectée dans les faits et comment les procédures bureaucratiques, d'autre part, restreignent les responsabilités des comités scolaires non seulement au niveau des réalisations, mais aussi à celui des décisions. Il faudra voir aussi dans quelle mesure la D.A.I. profite des comités scolaires pour réaliser sa politique en matiére scolaire. En conclusion, nous préciserons les risques limités liés à la création des comités scolaires, les réalisations restreintes que caractérisent leur action et les potentialités réelles de ces comités.

1. Objectifs de la création des comités scolaires indiens

Comme le souligne la D.A.I. dans le Field Manual(1962), le principal objectif des comités scolaires est d'habituer les Indiens à assumer leurs propres responsabilités en matiére scolaire.

La formation de comités scolaires, qui permet aux chefs de la communauté de s'intéresser à la conduite des affaires scolaire, est l'une des méthodes les plus profitables pour susciter, de la part des parents indiens, une participation active et intelligente à l'éducation de leurs enfants. (Ch. II, art. 11.02)

Mais évidemment ceci dit, la D.A.I. entendait limiter au début les responsabilités de ces comités de même que le budget qu'ils utiliseraient.

Les comités devront assumer une responsabilité active dans les domaines suivants:

  1. Présence à l'école et absence non autorisée.
  2. Soin de l'école et des propriétés connexes.
  3. Présence des éléves indiens aux écoles non-indiennes.
  4. Si possible, utilisation des bâtiments scolaires à des fins communautaires.
  5. Problémes particuliers de discipline.
  6. Affectation de fonds obligataires aux fins d'activités scolaires.
  7. Bourses à même les fonds obligataires.
  8. Achat d'équipement de sport et de jeu.
  9. Activités parascolaires, comme les réunions sportives, les expositions et les festivals d'écoles, les excursions éducatives, etc…Note de bas de page 132

Voilà pour les secteurs où les comités peuvent prendre des décisions. Cependant, la D.A.I. prévoit qu'elle pourra consulter et autoriser ces comités à agir dans d'autres secteurs:

  1. Installations scolaires. (La question ne se pose pas lorsque le concierge est un employé de la Fonction publique.)
  2. Recommandations relatives à l'aide à l'éducation des éléves résidant dans la réserve.
  3. Ententes conjointes avec des écoles non-indiennes.
  4. Provisions alimentaires pour le lunch, au cours des mois d'hivers fournitures scolaires supplémentaires achetées grâce aux fonds obligataires.
  5. tinéraire des autobus scolaires.
  6. Routes de la réserve, par rapport à l'itinéraire des autobus scolaires.
  7. Entretien et réparations annuelles des écoles.
  8. Entretien courant de l'école. Le comité peut nommer un concierge.

Ces responsabilités ainsi définies représentent un champ d'action que nous pourrions quasi qualifier de "résiduaire." Et nécessairement, aucune de ces responsabilités ne requiert un budget élevé.

Le budget est divisé en deux postes: l'équipement de sport et les dépenses diverses.

En guise de référence, les critéres pour définir un budget sur une base annuelle sont pour l'équipement sportif $50 par classe et pour les autres dépenses $50 par classe pour une école de 4 classes, $40 par classe pour une école de 8 classes, $30 par classe pour une école de 12 classes, $20 par classe pour une école de plus de 12 classes.

Supposant que le nombre maximum de classes dans les écoles indiennes est de 12, ce qui correspondrait à une réserve dont la population est nombreuse, le budget maximum serait de $840, tandis que le minimum serait de $100. Le plus gros budget ne permet sûrement pas au comité scolaire d'assumer des responsabilités importantes. Encore ce comité est-il libre de prélever au sein de la réserve les sommes supplémentaires nécessaires. Mais compte tenu du niveau économique des réserves dans l'ensemble, ce moyen ne permet guére de compter sur des revenus même aussi importants que ceux issus de la D.A.I.

2. Fonctions et responsabilités assumées parles comités scolaires

Nous avons examiné, pour une année compléte, (1er septembre 1964 -1er septembre 1965) les comptes rendus des réunions du comité scolaire de la Ligue des Six Nations dans le but d'identifier la nature des responsabilités assumées. Ce comité dispose d'un budget annuel de $6,225.00, soit un des plus élevés qui soient. Nous avons aussi examiné un certain nombre de rapports de réunion des comités de la réserve de Fort Alexander et de celle de Berens River, deux réserves situées dans le nord du Manitoba. Il est à remarquer que c'est au Manitoba qu'existe le plus grand nombre de comités scolaires indiens au Canada. Comme les deux comités relévent de la même agence et se sont occupés d'activités semblables, nous limiterons notre compte rendu au comité scolaire de Fort Alexander, lequel est le plus important des deux. Nous énumérerons, dans le cas du comité scolaire de la Ligue des Six Nations, chaque type différent d'activités exercées tandis que dans le cas du comité scolaire de Fort Alexander, nous donnons un compte rendu succinct de chacune des réunions tenues. On aura ainsi à la fois une idée de l'ampleur des responsabilités assumées de même que l'importance particuliére de certaines fonctions.

A. Relevé des sujets de discussion.

a. Le comité scolaire de la ligue des Six Nations.

Nous avons relevé pour l'année académique 1964-1965 dix-huit décisions différentes.
Nous verrons à les caractériser lorsqu'elles auront été énumérées.

  1. Approbation des dépenses encourues, y compris le salaire des membres du comité lié au nombre de présences. Les dépenses principales sont le salaire des gardiens de l'école, le coût de l'équipement sportif et le transport des écoliers pour assister aux festivals scolaires;
  2. Demande faite au conseil de bande de nommer des nouveaux membres du comité scolaire à l'expiration du terme d'office. Suggestion de candidats;
  3. Permission accordée à des écoliers indiens de fréquenter l'école No 5 jusqu'à ce que le Conseil de bande les accepte sur la réserve.
  4. Pression exercée auprés du comité de la route pour la réparation et l'entretien des routes (en hiver principalement);
  5. Demande faite au Manual training class de fabriquer la plate-forme demandée par le "Track and Field Club" à l'occasion de la tenue de compétitions sportives;
  6. Recommandation qu'une étudiante reçoive une bourse d'étude;
  7. Renvoi d'un gardien pour incompétence et négligence dans ses fonctions. Engagement d'un remplaçant;
  8. Demande exprimée pour un meilleur entretien de l'école;
  9. Approbation de l'utilisation des locaux scolaires en dehors des heures de cours pour la tenue de cours de gymnastique et d'activités sportives sous la responsabilité d'un titulaire spécialement désigné à cette fin;
  10. Refus d'approuver l'utilisation du gymnase pour la tenue d'une danse par le "Field and Track Club" dans le but de recueillir des fonds pour leurs activités. La raison invoquée: "Ce n'est pas un endroit approprié pour une danse";
  11. Nomination de l'exécutif du comité scolaire, y compris le trésorier, et autorisation à ce dernier de signer des chéques;
  12. Pression exercée pour l'entretien de la cour d'école (arrosage pour contrôler les mauvaises herbes).
  13. Trois membres demandent au Conseil de bande de les remplacer. Ils veulent donner à d'autres la chance d'acquérir une expérience au sein du comité scolaire.
  14. Rédaction des lois et réglements régissant l'utilisation des locaux scolaires y compris le gymnase. Le Conseil de bande refuse de les approuver;
  15. Achat de verres de papier pour les enfants;
  16. Distribution aux écoles de brochures d'information sur la protection contre les incendies;
  17. Permission accordée de stationner les autos dans la cour des trois écoles durant la période de l'exposition. Les profits seront utilisés pour l'achat d'arbustes pour l'école; et
  18. Paiement des frais de transport occasionnés par des visites industrielles, des visites culturelles et des visites sportives.

On remarque à travers les activités du comité un trés grand désir de participer à l'oeuvre d'éducation des enfants même si celles-là s'appliquent presqu'exclusivement à leur bien-être matériel. De ce point de vue, les membres du comité scolaire respectent à la lettre les fonctions qu'on a bien voulu leur conférer. Dans la poursuite de ses objectifs, le comité est constamment aux prises avec des problémes d'ordre financier. On est constamment à la recherche de fonds pour administrer des entreprises louables. On remarque, à certaines occasions, des conflits sous-jacents entre le conseil de bande et le comité scolaire même si ses membres sont nommés par le conseil. Il serait à souhaiter que les membres de ces comités soient élus afin de représenter plus fidélement encore les diverses tendances de la réserve. Il est également souhaitable que le mandat de ces comités soit élargi aux questions pédagogiques afin que le comité scolaire à la maniére d'une commission scolaire indépendante participe plus directement encore à la scolarisation des Indiens et puisse conseiller la D.A.I. sur les grandes politiques scolaires. On est frappé, à la lecture des procés-verbaux, par le fait que ce comité scolaire est un véritable instrument d'apprentissage des processus démocratiques de décision. Etant donné que les Indiens devront assumer des responsabilités de plus en plus larges dans la gouverne de leurs propres affaires, il est bien certain que ce genre d'institution est appelé à jouer un rôle fondamental sur les réserves.

b. Le Comité scolaire de Fort Alexander.

Le rapport de la réunion du 20 juin 1962 mentionne la nécessité de faire inspecter le pont qui traverse la riviére Saskatchewan et qui relie les sections sud et nord de Fort Alexander. On parle d'organiser une journée de jeux de piste et pelouse et de construire un arrêt-balle. Le budget disponible est de $86.99.

Le rapport du Il septembre 1962 mentionne comme sujet la consolidation de certaines classes et l'aménagement d'une classe dans l'espace disponible d'une école. On choisit des préposés au ménage pour les écoles et il est question d'aménager une patinoire pour l'hiver.

Un autre rapport (probablement en octobre 1962) rapporte $11 .76 en banque. A cette occasion, un pére Oblat de la réserve s'érige contre l'idée de la consolidation, mais son plaidoyer ne semble guére faire d'adeptes. Au contraire, la consolidation dans le cas d'une école est décidée et on propose le remplacement du nom de l'école par un nom indien.

Nous ne disposons pas de rapport pour 1963 et 1964. Le 18 février 1965, le comité scolaire dispose de $215.64.

On aborde le sujet de la pétition signée à Fort Alexander pour la consolidation de certaines écoles. On suggére d'amasser de l'argent pour l'équipement sportif et pour faire servir du chocolat chaud aux étudiants.

Le 9 mars suivant, on rapporte une caisse de $32.80 seulement et on discute des moyens à prendre pour augmenter les fonds du comité. On mentionne l'organisation d'un voyage éducatif pour les enfants et le moyen de transport utilisé.

On demande l'érection d'un panneau indicateur de la présence d'écoles du côté de la riviére. Enfin l'organisation d'un bingo pour pouvoir envoyer un délégué à Prince Albert. Le 13 avril 1965, par suite de la subvention annuelle de la D.A.I., le budget du comité se chiffre à $532.80.

On présente un rapport de la convention tenue à Prince Albert. La question du panneau indicateur de la rive nord revient sur la table. On songe à organiser la journée annuelle de jeux de piste et pelouse. On choisit l'endroit et on décide des préparatifs. Le principal scolaire de l'agence parle des relations du comité scolaire avec le chef de bande et son conseil. Il expose la situation des écoles confessionnelles et leur fait part de l'impossibilité de construire une nouvelle école sur la rive sud avant 1967. Il apprend aux membres du comité que la Canadian Polish Athletic Association avait donné des uniformes aux équipes de balle dure.

Le 14 avril 1965, le comité scolaire n'a plus un seul sou en caisse. On parle de réunir les éléves de deux écoles pour un voyage éducatif. Le principal scolaire de l'agence suggére Winnipeg comme endroit où faire le voyage à la place de l'endroit précédemment proposé. Les détails du voyage sont mis au point.

La journée de jeux de piste et pelouse revient sur le tapis; le président propose le début de juin comme date. Le principal se fait le porte-parole sur la rive nord quant au choix de la rive sud comme site préférable pour cette journée. On détermine qui y participera à la suggestion du principal. Le principal suggére que les meilleurs athlétes soient envoyés à l'entraînement au Peace Gardens de maniére à ce qu'ils puissent s'occuper de l'organisation des jeux par la suite. On passe à la suggestion de récompenser les étudiants académiquement méritants. Des propositions sont faites.

La question des fonds est discutée. Le chef et son conseil décidérent d'accorder une subvention de $500 au comité, mais le principal rappelle qu'il ne faut pas escompter recevoir à tout instant des fonds du conseil de bande. Ce sont les parents qui doivent songer à trouver les fonds dont ils ont besoin. C'est alors qu'on suggére l'organisation d'une journée spéciale pour recueillir des fonds. Le principal revient à la charge pour adresser des félicitations aux délégués présents à la convention de Prince-Albert. On fait allusion à la courtoisie des délégués masculins à l'égard d'une déléguée féminine d'une réserve voisine.

On aborde ensuite le programme d'éducation des adultes, tout en soulignant l'avantage de suivre un cours à ses frais. La question de la consolidation revient sur le tapis. Une Indienne réclame la consolidation de classes au sein d'une école catholique de la rive sud. Une autre réclame le maintien du statu quo confessionnel.

Le principal rappelle la politique de la D.A.I. au sujet des écoles, mais souligne que si les citoyens de la réserve réclament des écoles consolidées, la D.A.I. est prête à étudier la question. C'est alors qu'un pére oblat revient encore à la charge, s'opposant à la consolidation scolaire en général, mais si les familles de la réserve le désirent, l'Église pourrait étudier la demande. De toute façon, il faudrait lui donner du temps.

Le principal rappelle qu'ils doivent s'entendre entre eux sur cette question. Le 20 avril 1965, on convoque une séance spéciale sur la question des écoles confessionnelles et des griefs des familles. La séance semble fort animée. Le principal invite les membres à s'en tenir aux sujets à l'ordre du jour.

Les modalités de l'enseignement consolidé sont arrêtées de même que les mesures à prendre pour respecter le principe de la confessionnalité. Le principal d'école joue un rôle important dans la réunion. Le 18 mai 1965, le comité de la rive nord accuse la réception d'un budget de $497 .30. De ce montant, on recommande l'utilisation de $290 pour la journée de jeux de piste et pelouse. On décide des modalités de l'organisation et de la participation des étudiants à la préparation d'une émission de Radio-Canada sur les loisirs d'été des enfants indiens. On discute de la surveillance des cours du soir pour les enfants. On s'échange des félicitations réciproques pour terminer en annonçant les gagnants du dernier tirage.

Le comité de la rive sud tient une séance le 14 juin. Il y a $200.23 en caisse. Le principal discute des critéres de sélection du site de la nouvelle école. Il déplore le retard mis par les ingénieurs fédéraux à venir faire les sondages.

L'instituteur senior présente un rapport de la derniére journée athlétique. Le rapport ressemble à celui des années antérieures. On fixe les modalités d'un voyage éducatif à Winnipeg. On fait remarquer que le personnel de la cafétéria du pensionnat est insuffisant.

Le principal prend la parole pour féliciter les étudiants, les enseignants, les membres du comité scolaire et dit se réjouir de la présence des enseignants aux séances du comité. Ensuite, il annonce des changements dans le personnel enseignant, ce qui accapare le reste de la séance.

S'il nous est permis de passer quelques remarques sur ces quelques rapports présentant conjointement les activités de deux comités scolaires interdépendants, nous dirions ceci:

Nous n'avons décelé aucune tentative de la part des membres de ces comités d'outrepasser le champ des responsabilités qui leur étaient confiées. Par ailleurs, les activités de ces comités traduisent déjà certaines capacités pour prendre en main de plus larges responsabilités selon le bon désir de la D.A.I. Ces comités semblent avoir réalisé des choses valables malgré un budget sans cesse à plat. C'est justement l'obligation à laquelle ces comités se trouvaient acculés de trouver des fonds pour continuer d'agir qui nous est apparue anormale. Nous avons constaté qu'à presque chaque séance, il était question de trouver les moyens de recueillir des fonds. Or comme les familles de la réserve sont en général trés peu fortunées, les cueillettes s'avéraient trés réduites. L'organisation de soirées, de bingos mobilise beaucoup d'énergie et ne contribue que faiblement au progrés des étudiants. Outre cette critique, il nous est apparu que de plus en plus le principal scolaire de l'agence (supervising principal) contrôlait le déroulement des réunions et accaparait à lui seul une partie importante du temps ce qui a tendance à fausser le caractére démocratique de ces comités. Nous avons constaté que ces séances avaient tendance à devenir une occasion de s'adresser d'abondantes félicitations pour créer, semble-t-il, l'impression que tous les membres s'acquittent de leurs responsabilités de façon parfaite. Nous avons noté que de plus en plus d'officiels de la D.A.I. utilisent ces séances pour entrer en communication avec les Indiens d'où le risque d'éloignement des sujets qui sont sensés être traités et le risque pour ces comités d'élargir leurs activités au delà des capacités de leur budget et de s'appuyer sur les conseils de bande.

Il est évident qu'en maintenant le budget de ces comités aussi réduits, la D.A.I. ne risque guére de les voir prendre plus d'initiative qu'à l'heure actuelle.

B. Participation aux séances

En ordre, l'assistance des Indiens varie dans l'ordre chronologique comme suit: 17 (nord) - 39 (nord) - 46 (nord) - 16 (sud) - 11 (sud) - 14 (nord) - 19 (sud) - 15 (sud) - 9 (sud). Par contre, la présence de fonctionnaires de la D.A.I. varie de la façon suivante au cours des mêmes séances:

4 enseignants (nord)
- 3 fonctionnaires
- 4 enseignants (nord)
4 enseignants
2 membres du clergé (nord)
- 3 enseignants (sud)
1 enseignant (sud)
- 2 enseignants (nord)
- 2 fonctionnaires
5 enseignants
- 1 fonctionnaire (sud)
- 2 membres du clergé (sud)
1 fonctionnaire (sud)
5 enseignants
I fonctionnaire (sud)
- 1 membre du clergé
- 1 enseignant
- 1 fonctionnaire (sud)
 

TABLEAU COMPARATIF


Séance
Indiens
Employés de la D.A.I.
 

1ére
2
3
4
5
6
7
8
9
10
17 (nord) 1962
39 (nord)1962
46 (nord) 1962
16 (sud) 1965
11 (sud) 1965
14 (nord) 1965
19 (sud) 1965
15 (sud) 1965
9 (sud) 1965
9 (sud) 1965
4
7
6
3 Enseignants
1 Clergé
4 Fonctionnaires
6
3
6
3
 

D'aprés les chiffres de l'assistance aux séances des comités scolaires, il semblerait se passer les phénoménes suivants:

  1. à l'enthousiasme qui gagna le comité de la rive nord en 1962, succéda une période de stagnation en 1965;
  2. le même phénoméne s'observe dans le cas du comité de la rive sud;
  3. la teneur variable des diverses séances explique une fluctuation dans la présence des enseignants, du clergé ou des fonctionnaires;
  4. en général, la participation des Blancs aux séances a tendance à devenir trop forte et à dissuader les Indiens d'y participer. Il faudrait sans doute que les officiers blancs de la D.A.I. mettent une limite à leur intervention sinon les échanges en comité risquent de se réduire à un monologue.

3. Contrôle de la D.A.I. sur les comités scolaires

En utilisant une correspondance échangée entre les fonctionnaires de la D.A.I. au sujet des comités scolaires de Fort Alexander, nous constatons que la D.A.I. surveille étroitement les comités scolaires et s'en tient à la définition des responsabilités qu'elle leur a attribuées dés le départ. Je me reporte à la proposition du 10 avril, contenue dans le procés-verbal du comité sus-mentionné …

Il faudrait informer les membres du comité qu'ils ne sont pas autorisés à modifier l'horaire des cours, mais qu'ils peuvent vous soumettre une recommandation à cette fin … Note de bas de page 133

Si, au lieu de laisser le processus démocratique suivre son cours, la D.A.I. continue de subordonner les vues des comités scolaires aux décisions des fonctionnaires, comment ces comités scolaires peuvent-ils faire l'apprentissage total de la démocratie? Ne serait-ce pas une des raisons qui limitent l'intérêt des Indiens envers les comités scolaires? Nous constatons de fait chez les fonctionnaires de la D.A.I. un désir d'éviter de confier trop de responsabilités aux comités scolaires.

Même lorsque les postes de concierges d'écoles ne sont pas pourvus par la Fonction publique et relévent de l'autorité du comité scolaire, nous croyons qu'ils devraient rester sous le contrôle du bureau de l'Agence, jusqu'à ce que le Comité ait acquis une plus grande expérience dans la direction et l'administration de ses propres affaires.

Par ailleurs, les comités scolaires peuvent à l'occasion devancer la politique même de la D.A.I. et à ce moment, la D.A.I. cherche à se protéger contre les adversaires possibles à certaines prises de position des comités scolaires. Voici un exemple.

La lecture de votre lettre du 13 septembre m'a intéressé. Vous m'informez que le comité scolaire a pris l'initiative d'une proposition visant la consolidation des classes en fonction des allégeances religieuses, dans les quatre écoles situées le long de la route de la rive nord.

Je ne mets pas en doute la valeur de la proposition, mais je désire insister sur le fait que les fonctionnaires de la Direction devraient faire preuve d'une extrême prudence et éviter de donner l'impression que la Direction favorise de quelque façon cette mesure. Evidemment, la Direction ne demande qu'à satisfaire aux désirs du peuple, mais elle doit s'assurer que les droits des minorités sont protégés.Note de bas de page 134

Il faut reconnaître que les fonctionnaires placés entre la haute direction de la D.A.I. et les comités scolaires sont exposés à se trouver par moment entre l'enclume et le marteau. Voici une réponse un peu symptomatique à ce sujet.

Les membres de mon personnel affecté à l'éducation ont fait preuve de tout le tact possible dans cette affaire, et je pense que s'il y a quelque difficulté avec les autorités ecclésiastiques, ce sera une divergence entre les Indiens et leurs églises. En vue de mettre la Direction l'abri de toute critique possible, je joins maintenant une demande pour fins de consolidation. Cette demande vient du comité scolaire qui l'a rédigée.Note de bas de page 135

4. Conclusion

Malgré les responsabilités limitées dévolues aux comités scolaires et des budgets quasi insignifiants par rapport aux besoins qui se font sentir, il reste que le bilan des comités scolaires en général apparaît nettement positif. Le gain le plus important, outre l'encouragement réel que les Indiens reçoivent pour prendre en main un secteur de responsabilités concrétes liées à l'éducation de leurs enfants, se définit en termes de l'apprentissage de la vie en société démocratique. Nous avons constaté que les Indiens déploient relativement beaucoup d'énergie à accomplir les tâches concrétes qui, malgré le but stimulant qui les justifie, requiérent tout de même une somme considérable de dévouement et d'altruisme.

Cette mobilisation d'énergie sur les réserves constitue un phénoméne nouveau chez les Indiens et qui leur est trés bénéfique. Il est à souhaiter que la D.A.I. décharge ses officiers de certaines responsabilités qui reviendraient à bon escient à ces comités et qui contribueraient à leur développement. La D.A.I. craindrait-elle par hasard qu'en faisant jouer au maximum le processus démocratique, elle perde le contrôle de l'orientation future des réserves. Il vaudrait certainement que les directeurs régionaux et nationaux de la D.A.I. oublient un moment les textes juridiques sur lesquels s'appuie leur intervention incessante et se posent sérieusement la question. Ont-ils inconsciemment peur de démembrer même partiellement cette structure bureaucratique que s'est donnée la D.A.I.?

Chapitre IV - L'éducation de l'enfant indien

1. Préambule

Ces derniéres années, les spécialistes en éducation se sont de plus en plus sensibilisés aux problémes propres aux enfants de groupes minoritaires éduqués dans des institutions conçues en fonction des besoins et des normes de la majorité. Le nombre considérable de personnes insuffisamment instruites et inaptes montre que les écoles n'ont pas satisfait aux besoins variés des enfants provenant de différents groupes économico-sociaux et ethniques. Les écoles ont été incapables de réaliser l'acculturation de ces groupes d'enfants et d'en faire des adultes actifs dans le milieu social de la majorité.

Les éducateurs sont à la recherche de moyens pour répondre à certaines demandes de tous les secteurs de la société, en essayant d'enrayer les départs prématurés de l'école et de réduire le chômage, ainsi que les frais accrus de bien-être social qui en découlent. Certains groupements ont mis à l'essai des programmes expérimentaux qui comportent des travaux à l'école, un enseignement préscolaire, des programmes correctifs, une orientation plus sûre, des classes moins nombreuses, des aménagements communautaires, ainsi que l'éducation des adultes. On ignore .encore quels seront, à longue échéance, les résultats de ces essais, mais les premiéres indications, là où ces programmes ont été institués, témoignent de l'engagement et l'intérêt accrus des participants, preuve que les attitudes sont plus positives en ce qui concerne l'éducation.

Les Indiens du Canada constituent un groupe minoritaire sous deux rapports: d'abord, nombre d'Indiens sont de cultures différentes, ensuite, ils constituent souvent une minorité économiquement faible. Jusqu'à récemment, les éléves indiens ne représentaient à peu prés pas de problémes pour le régime scolaire public, car ils recevaient leur instruction dans la réserve, grâce aux services d'éducation du gouvernement fédéral. Cependant, au cours des dix derniéres années, les éléves indiens se sont inscrits de plus en plus nombreux aux écoles publiques, et l'on peut s'attendre que ce rythme s'accélérera d'une façon impressionnante au cours des dix prochaines années. En plusieurs régions, les écoles publiques ont absorbé de petits nombres d'éléves indiens sans qu'il s'éléve de difficulté. Mais à mesure que le nombre de ces éléves augmente, les écoles, comme les Indiens, constatent plus nettement que les écarts de rendement scolaire sont partiellement attribuables aux différences de culture.

En vertu des dispositions de la Loi sur les Indiens, c'est la Direction des affaires indiennes du ministére des Affaires indiennes et du Nord canadien qui a la responsabilité de l'éducation des enfants indiens. Toutefois, en vertu d'ententes conjointes fédérales-provinciales, les installations provinciales destinées à la population non-indienne sont mises de plus en plus à la disposition des Indiens. L'importance de ces ententes conjointes est attribuable au désir des Indiens de jouir d'avantages égaux et à la reconnaissance du fait que la ségrégation des services, loin d'encourager les Indiens à prendre part à la vie nationale, les en dissuade. Le seul argument valable militant contre l'intégration des écoles, c'est l'infériorité des normes provinciales d'enseignement, par rapport à celles du gouvernement fédéral. Pour ce qui est de l'intégration scolaire, on peut se demander aussi si l'expérience de l'enfant indien dans une école publique ne lui nuira pas plus que les répercussions de l'enseignement séparé. Il semble que, dans certains cas, les ententes conjointes ont été conclues sans qu'on ait étudié à fond le genre d'expérience et la qualité de l'enseignement auxquels l'enfant allait être soumis. Dans d'autres cas, si les ententes conjointes avaient été précédées de consultations intensives avec les Indiens intéressés, on aurait peut-être recueilli des renseignements qui auraient entraîner une décision différente.

Étant donné que la Direction des affaires indiennes a l'intention d'accroître le nombre de ses ententes conjointes avec les commissions scolaires locales, et puisque l'éducation intégrée semble la méthode idéale pour l'éducation des Indiens, nous nous sommes penchés, dans la présente section de l'étude, sur l'expérience indienne dans les écoles publiques, sur la maniére dont les éléves indiens voient leur situation, sur les succés qu'ils remportent et sur les difficultés qu'ils éprouvent à s'adapter à l'enseignement public.

Les premiéres recherches sur les problémes étudiés dans la présente section ont été entreprises à l'été de 1964, en Colombie-Britannique, auprés de trois communautés indiennes représentant divers niveaux socio-économiques. On y trouvait un certain degré d'acculturation. Les enfants étant intégrés au systéme d'écoles publiques depuis quatre ans, voire depuis cinquante ans. Ces communautés représentaient divers degrés d'organisation, de dissension, d'emploi, à diverses distances des communautés de non-Indiens.

Les travaux se sont poursuivis durant l'été de 1965, notre personnel s'étant augmenté de deux membres, qui ont interviewé des écoliers indiens provenant des réserves de la Colombie- Britannique et inscrits dans des écoles secondaires ou techniques de Vancouver. On a aussi interviewé des étudiants indiens de l'Université de la Colombie-Britannique. L'un des enquêteurs, parti d'Ottawa, s'est rendu dans l'Ouest, s'arrêtant dans chaque province et visitant trois ou quatre réserves, où il interrogeait étudiants et parents.

En plus des étudiants et des parents, nous avons interrogé les enseignants, les administrateurs, les membres du personnel des services, ainsi que d'autres Indiens et non- Indiens en mesure de fournir des renseignements sur les programmes d'instruction et la formation scolaire des étudiants indiens. Environ une centaine d'adultes non-indiens furent interrogés, de même que 65 adultes indiens et 125 adolescents indiens. On trouvera en annexe les sujets abordés avec chacune de ces catégories de gens. On remarquera qu'il nous est souvent arrivé d'avoir deux adultes ou plus en entrevue, mais que, dans bien des cas, il nous a été impossible d'inscrire les renseignements de plus d'un informateur à la fois. Il s'ensuit que le nombre d'entrevues enregistrées est inférieur au nombre réel de personnes sur lesquelles a porté l'étude. Certaines personnes ont été rencontrées plus d'une fois, mais elles n'ont été comptées que comme informateurs uniques. En certains cas, l'informateur parlait au nom de plusieurs personnes.

Les entrevues ont été menées avec le moins de formalités possible, mais toujours sous le sceau du secret. C'est pour cette derniére raison que les renseignements sont présentés sous une forme générale, sans identification. De façon générale, on a fait bon accueil aux enquêteurs et les informateurs ont manifesté de l'empressement à exprimer leurs opinions sur les sujets à l'étude. Même si une bonne partie du présent rapport est fondée sur l'observation et l'interprétation de certains événements, la plus grande partie constitue un exposé général des renseignements recueillis des personnes interviouées à travers le pays. Nombre de conclusions sont tirées de suggestions faites par des étudiants et des parents indiens, par les administrateurs et les membres du personnel enseignant. Les enquêteurs désirent remercier toutes les personnes qui ont collaboré à leur travail. Ils espérent que les données représentent aussi fidélement que possible la pensée des informateurs, et que le présent rapport servira pour le plus grand bien de tous.

Au cours des hivers, de 1965 et de 1966, les renseignements ont été analysés, classés, assemblés à d'autres renseignements et aux résultats d'autres travaux de recherches pour obtenir une vue d'ensemble. Sans être sensationnelles, les conclusions correspondent à peu prés à nos prévisions, d'aprés les résultats d'autres travaux de recherche effectués par des entreprises indépendantes, tant au Canada qu'aux États-Unis. La concordance de nos conclusions et de celles des autres études ajoute de la valeur à nos efforts. Il semble donc que maints programmes mis en oeuvre dans d'autres pays peuvent facilement être adaptés au contexte canadien, ce qui nous permet d'apprécier leurs faiblesses et leurs succés.

2. Définition des principaux termes

Dans la présente section du rapport, nous donnons à certains termes un sens un peu particulier; c'est pourquoi nous jugeons utile de donner les définitions suivantes. Indien: Nous nous éloignons, ici, de la définition juridique du terme, pour ne considérer que la personne de descendance indienne qui vit en conformité des particularités sociales, culturelles et économiques d'un groupe indien donné. La raison d'une telle acception du terme, c'est qu'un enfant qui a l'apparence indienne, qui vit au sein ou aux environs d'une réserve, est considéré comme un Indien par les non-Indiens qui ont des rapports quotidiens avec lui. Qu il soit Indien au sens de la loi, qu'il soit affranchi ou métis, on le traite comme un Indien. Quand il n'y a pas de différenciation entre ces divers groupes de gens, les questions scolaires ont beaucoup de choses en commun.

Attitude: c'est la manifestation extérieure des dispositions des personnes devant certains événements et à propos de certaines questions spécifiques. Au cours de la présente étude, les attitudes de nos informateurs étaient fondées sur leur perception et leur interprétation de certains événements et sur des généralisations qu'ils faisaient à partir d'expériences déterminées. L'attitude détermine la motivation; elle influe sur la portée des décisions, soit par élimination ou par extension, et elle imprime une tendance aux vues générales des individus. Les attitudes s'acquiérent dés le bas âge par des expériences et des observations recueillies dans les relations quotidiennes avec des adultes importants.

Culture: C'est l'ensemble du comportement, des valeurs, des attitudes et autres particularités d'un groupe donné. Une sous-culture, c'est un ensemble perceptiblement distinct à l'intérieur d'un tout plus considérable. Dans le cas des Indiens, les cultures peuvent être considérées comme a) des entités en elles-mêmes, ou b) des sous-cultures à l'intérieur d'un ensemble canadien plus considérable.

Désaccord culturel: Parfois, lorsqu'il se produit des changements dans quelques parties du systéme, il n'y a pas moyen de rétablir l'équilibre suivant les processus habituels d'ajustement et d'innovation. On cherche alors certains accommodements non fonctionnels, qui entraînent un état de désorganisation sociale. Dans le présent chapitre, le concept de désaccord ou de désorganisation sociale occupe une place importante. On peut se rendre compte d'un désaccord entre les groupes d'Indiens et de non-Indiens (soit à l'intérieur d'une société plus étendue) et entre les sous-cultures parmi les groupes d'Indiens. Il peut arriver qu'une sous- culture se rétablisse et maintienne son organisation, mais c'est souvent au prix d'un désaccord plus grand avec le groupe culturel majoritaire. Par exemple, l'alcoolisme généralisé parmi certains groupes indiens est un mécanisme de régularisation à l'intérieur de l'organisation sociale de ces groupements indiens. Toutefois, ce processus de régularisation n'est pas fonctionnel: il augmente le désaccord entre la sous-culture et le groupe social majoritaire. En fin de compte, ce processus élargit le désaccord au sein même de la sous-culture.

3. Quelques hypothéses fondamentales

Nous avons établi, au départ, certaines hypothéses qui déterminent les points de convergence de la présente partie de l'étude. Les hypothéses énoncées ci-aprés se sont révélées pertinentes. Nous avons supposé ce qui suit:

  1. L'enseignement, sous quelque forme qu'on le donne, représente une discontinuité d'expérience pour l'enfant indien; cette discontinuité retarde les premiers progrés scolaires de l'enfant.
  2. La gravité de cette discontinuité sera influencée par certains facteurs, comme le niveau d'instruction des parents, le milieu économique de l'enfant et le degré d'acculturation de sa communauté. Si ces facteurs ont peu d'influence, on peut s'attendre que le désaccord culturel et l'anomie personnelle soient élevés.
  3. Lorsque ces facteurs sont élevés et que les progrés sont faibles, on a supposé que les modes de vie des Indiens sont dominants, qu'on y est fortement attaché et qu'inversement on accorde peu d'importance au mode d'éducation formelle des non-Indiens.
  4. Si les non-Indiens ont, envers les Indiens, des attitudes négatives et discriminatoires, on a supposé que le niveau des aspirations des Indiens est bas et qu'ils se font d'eux-mêmes une image avant tout négative.
  5. Le degré d'ambivalence ethnique et le manque d'identité ethnique au sein de la jeunesse indienne sont directement rattachés au degré de désorganisation de la communauté indienne.
  6. L'absence de personnes instruites au sein des communautés indiennes a tendance à b empêcher les jeunes Indiens d'aspirer à des occupations qui sont inconnues des membres de la communauté.

Ces hypothéses étaient-elles raisonnables?

Les renseignements recueillis nous indiquent que toutes ces hypothéses ont fourni une explication utile au manque de réalisations, aux aspirations peu élevées des jeunes Indiens et à l'image négative qu'ils se font d'eux-mêmes.

  1. Il ne fait pas de doute que l'enseignement représente une discontinuité dans la vie de l'enfant indien. Cette discontinuité explique le retard de 80 p. 100 des enfants indiens en premiére année, de même que le retard moyen de 2.5 années de scolarité pour tous les individus.
  2. Cette rupture est directement attribuable à la différence qui existe, dans le domaine de l'éducation, entre les antécédents des parents indiens et ceux des parents non-indiens, et à la différence des aspirations et des processus de socialisation au niveau de l'enfant. La faiblesse économique du milieu se manifeste habituellement par l'exiguïté de la maison, le manque d'hygiéne, les déficiences alimentaires et vestimentaires. Elle se manifeste aussi dans le comportement étrange vis-à-vis certaines choses, comme les livres et les disques.
  3. Lorsque les cultures indiennes étaient relativement stables, on attachait beaucoup d'importance aux occupations indiennes, de sorte que l'enseignement était négligé. La personnalité et le succés sont définis alors en termes indiens, et l'on peut atteindre à un niveau économique satisfaisant dans des occupations auxquelles les Indiens s'intéressent déjà et qui ne demandent pas de formation scolaire poussée.
  4. Les degrés d'aspiration et de réalisation, ainsi que la conception qu'ils se font d'eux-mêmes et de leur identité personnelle, varient en fonction directe des attitudes des non-Indiens envers les Indiens, au sein d'une même communauté.
  5. Lorsque la désorganisation sociale d'un groupement indien était avancée, les jeunes Indiens faisaient preuve de beaucoup d'ambivalence quant à leur identité indienne et exprimaient de nombreuses appréhensions quant à l'avenir. L'anomie personnelle semblait élevée.
  6. Sauf dans les communautés indiennes qui comptaient des professionnels ou des quasi- professionnels, le jeune Indien aspirait plutôt à une occupation de bûcheron, de pêcheur, ou d'ouvrier non spécialisé, à l'instar des adultes qui l'entouraient.

4. Travaux de recherche connexes

De nombreux travaux de recherche ont été effectués sur l'éducation des Indiens et autres domaines connexes, comme l'éducation des enfants culturellement dépourvus. Nous ne tenterons pas de résumer ici tous ces ouvrages, mais il convient de relever certains points saillants.

En parcourant les ouvrages de recherche, on se rend compte, à la variété des sujets traités, de l'erreur répandue au pays et qui consiste à parler des Indiens comme d'un groupe homogéne. On parle de "l'Indien" parce que c'est commode, beaucoup plus que par souci de précision. La famille Athapascane peut avoir ses particularités communes, mais chaque petit groupe d'Athabaskas à travers le pays a des caractéristiques propres. Cette situation se reproduit pour chaque groupe et dans chaque localité. Même si les données sont de nature générale, dans le présent rapport, il ne faudrait pas croire que nos conclusions s'appliquent à tous les Indiens du Canada et que nos recommandations sont utiles dans chaque cas. Il existe des différences locales évidentes, qui obligent à redéfinir localement les problémes et les solutions.

Ce serait également une erreur d'établir un paralléle entre les cultures indiennes et les cultures des classes urbaines dépourvues, pour la simple raison que les membres des groupes indiens présenteraient les mêmes caractéristiques que les gens de bas-quartiers et les membres de groupes marginaux. Les symptômes et les syndromes semblent être identiques, mais les Indiens et les non-Indiens suivent des cheminements trés différents, particuliérement dans l'évantail des solutions de rechange et des décisions d'importance. En classe, les enfants indiens et les petits non-Indiens des zones de taudis ont le même comportement: ils ne sont pas à l'aise devant la structure scolaire; ils ne savent ce que les maîtres attendent d'eux et ignorent les formalités de l'école; dans les deux cas, ils s'écartent des valeurs normatives de groupe rattachées à la propreté, à l'assistance aux cours et à la ponctualité. Dans les deux cas, on retrouve souvent mauvaise santé, manque d'énergie et sous-alimentation. Les deux font preuve d'incompatibilité cognitive avec leurs semblables des classes moyennes; ils s'expriment difficilement, leur quotient intellectuel est habituellement peu élevé et ils réussissent mal en classe. Les similitudes sont frappantes, mais les causes différent énormément dans bien des cas. Ainsi, plusieurs cultures indiennes ne sont pas dépourvues au sens des zones urbaines de taudis. Il peut arriver, dans des réserves, que les enfants aient eu des expériences enrichissantes par la culture et la langue de leur groupe. Cependant, toutes enrichissantes qu'elles puissent être, ces expériences de bas âge n'ont pas préparé l'enfant aux travaux courants et au travail scolaire.

1.SOCIALISATION: PROCESSUS ET PROBLÈMES

1. Socialisation en bas âge de l'enfant indien

Pour comprendre la situation désavantageuse de l'enfant indien qui entre à l'école, il est nécessaire de voir à quel point les premiers rudiments de socialisation qu'il a reçus différent de ceux qu'ont reçus les jeunes non-Indiens. Pour que la comparaison soit aussi significative que possible, nous avons pris comme le cas d'un petit Indien parlant l'anglais qui vient d'une réserve dotée des services d'eau et d'électricité, mais caractérisée par un revenu peu élevé, des maisons surpeuplées et des familles nombreuses ayant conservé une certaine culture indienne. On suppose que les hommes ont un emploi saisonnier quelconque, mais qu'ils n'ont pas de métiers spécialisés. Les adultes y étant peu instruits, rares sont ceux qui ont atteint la quatriéme année d'études. La vie est confinée à la réserve, mais les emplettes se font au village voisin, chez les non-Indiens; les enfants ont fait quelques voyages en ville et dans d'autres réserves.

L'enfant non indien qui sert de point de comparaison, vient d'un foyer de classe moyenne, étant donné que l'école est orientée vers ses besoins, ses valeurs et son développement, et que les rudiments de socialisation reçus lui permettent de s'adapter normalement à la vie scolaire. Cet enfant est issu d'un foyer où il n'y a pas de probléme de surpopulation, un foyer qui compte de deux à quatre enfants, dont le pére travaille réguliérement, dont les parents ont une instruction de niveau secondaire ou supérieur et où les valeurs sont orientées vers l'accession au statut professionnel par le moyen de l'instruction.

La socialisation est en premier lieu l'affaire du milieu familial, mais, dans un sens plus large, elle fait aussi appel à la société. Les valeurs transmises aux enfants par les parents sont des valeurs acceptées par le groupe social dont la famille est une unité. Les enfants apprennent à répondre aux attentes de la collectivité et à agir en fonction des valeurs auxquelles ils participent.

Chaque groupe social important a des modes de vie fondamentaux et compatibles qui sont rattachés à différentes valeurs culturelles. Ce sont ces différences dans les modes de vie qui soulévent des conflits lorsque des membres de sous-cultures différentes se rencontrent pour la premiére fois. L'enfant qui vient d'un milieu social où le temps et la propreté n'ont aucune importance, éprouve de grandes difficultés lorsqu'il est mis en rapport avec des gens pour qui le temps et la propreté sont des valeurs hautement estimables. A moins de pouvoir résoudre ces difficultés, ou qu'un groupe adopte les valeurs de l'autre, il -y a peu de communication, peu de compréhension, et il se crée des antagonismes. Étant donné que les valeurs fondamentales s'effritent rarement par simple contact, qu'on s'y cramponne même davantage devant une menace, il y a toujours risque de conflit.

La socialisation est en premier lieu le mécanisme par lequel l'individu apprend un rôle qui lui permettra de vivre confortablement dans sa propre société et de transmettre aux autres les principales valeurs de cette société. C'est de cette façon qu'est maintenu l'ordre social. Par nécessité, les rôles essentiels sont attribués aux adultes: les enfants doivent les acquérir. L'individu peut aspirer à une foule d'autres rôles, il peut même en inventer pour sa propre satisfaction. Pour tous les enfants, les rôles essentiels s'acquiérent à l'intérieur du cercle familial, puis à l'intérieur du cercle plus étendu du groupement social. A mesure que l'enfant grandit et se développe, il assume d'autres rôles, face à des situations nouvelles. Pour la plupart des enfants, il n'y a pas rupture entre ces situations nouvelles et les anciennes: ils ne font qu'étendre la portée de leur rôle, plutôt que d'en assumer un nouveau. Par exemple, l'enfant qui arrive à l'école sait déjà, jusqu'à un certain point, ce que c'est que d'être étudiant, mais s'il se trouve en face d'une structuration nouvelle sous bien des aspects, à laquelle il doit adapter son comportement. Il y a continuité avec les anciens modes de vie. Pour l'enfant indien, l'école est un phénoméne entiérement nouveau: les éléments de culture sont nouveaux; il ne trouve pas, à l'école, certaines façons d'apprendre auxquelles il était habitué. L'enfant indien doit donc surmonter les problémes découlant des nouvelles façons d'apprendre et acquérir un nouveau rôle dans un milieu qui ne lui est pas familier.

2. Facteurs déterminés par le milieu, en socialisation

Il n'est pas facile de déterminer l'action réciproque des facteurs sociaux et évolutifs, ainsi que leurs répercussions sur le rendement intellectuel et les progrés scolaires. Le taux élevé des échecs, des abandons et du chômage, ainsi que les difficultés apparentes d'adaptation personnelle, montrent que l'école ne réussit pas tellement bien à préparer les étudiants à vivre dans une grande société. Il est bien manifeste que les enfants des réserves différent considérablement, dans leurs façons de parler et de penser, des enfants provenant de foyers de classe moyenne. Si l'on n'admet pas ces différences et si l'on n'en tient pas compte, il ne fait pas de doute qu'on met l'enfant de la réserve à dure épreuve en l'obligeant à se modeler sur la majorité et à se mesurer en fonction de ses normes. Il importe donc de déterminer les facteurs qui concourent à ces différences et d'en déterminer la valeur fondamentale, tout en reconnaissant que ces considérations, dans l'état actuel de nos connaissances n'ont forcément qu'une valeur spéculative.

Même si le milieu de la classe moyenne ne remplit pas toujours et entiérement les conditions favorables à un développement maximum, il nous paraît, de façon générale, plus avantageux que le milieu autonome de la réserve. Ce sont les différences essentielles entre les stimulants valables du milieu de la réserve et ceux du milieu de classe moyenne, de concert avec les buts et les moyens spécifiques de la socialisation, qui expliquent les différences dans les attentes, dans les attitudes, dans les façons d'apprendre et dans les réalisations à l'école. Voici quelques-unes de ces différences essentielles:

Le milieu physique
Indien
Non-Indien
Logement
Habituellement surpeuplé. Les enfants partagent le même lit, Manque d'intimité. Rareté de l'ameublement. Maison souvent mal tenue, peu attrayante, sans peinture et délabrée.
Rarement surpeuplée. Chambre commune parfois, mais non le lit. Possibilité d'intimité. Meubles suffisants, habituellement propres. Maison attrayante et habituellement peinte.
Aliments
Généralement mal choisis et souvent insuffisants. Manque de diversité et d'apprêt. Repas suivant la faim, plutôt que suivant un horaire. Manque fréquent de lunch pour l'école,
Parfois mal choisis, mais rarement insuffisants. Repas variés, habituel-lement préparés par un adulte et servis en commun. Les lunches d'écoliers sont suffisants et bien préparés.
Vêtements
Habituellement insuffisants et en mauvais état; souvent mal-propres ou non repassés. Sou-vent obtenus par marchandage, dans des ventes d'aubaines de mauvaise qualité.
Habituellement suffisants et en bon état; toujours lavés et repassés. Ce sont parfois des aubaines, mais de bonne qualité et en bon état.
Petites choses
Peu de jouets. Quelquefois la télévision mais peu de livres et, de revues pour les enfants. Quelques disques parfois, mais peu d'habitude aux ciseaux, aux crayons et pâtes pour se fabriquer des jeux. Pauvreté de l'ameuble-ment et des objets utiles à une foule d'expériences.
Souvent surabondance de jouets. L'enfant a d'habitude ses propres livres et disques; il a accés à ceux des adultes. Usage considérable de pâte, crayons, ciseaux pour fabriquer des jeux. L'enfant a ses propres jeux d'ustensiles ménagers ou se sert de ceux de la maison.
 

Conséquences

Logement-Il n'est pas facile de déterminer à quel point des normes minimales de logement peuvent influer sur la croissance et le développement. Le manque d'intimité, par exemple, est compensé par la chaleur du rapprochement avec les parents et par l'absence de ce sentiment d'isolement qui s'empare souvent d'un enfant confiné à sa chambre, privé de la chaleur et de l'intérêt des adultes qui constituent son monde immédiat. Ce manque d'intimité permet aussi de participer à l'expérience humaine à toutes ses étapes et dans toutes ses nuances, y compris les querelles d'ivrognes et autres incidents du même genre, mais elle signifie aussi manque d'espace pour étudier et pour garder ses effets personnels, comme les livres et les vêtements, et manque de sommeil pour les enfants qui vont à l'école.

Aliments-Quel que soit l'enfant, une alimentation insuffisante est éventuellement cause de léthargie et de ralentissement des facultés qui déterminent le rendement et les résultats scolaires. Dans les foyers indiens, le manque d'horaire fixe pour les repas signifie souvent que l'enfant arrive à l'école sans déjeuner; si, par surcroît, l'enfant n'apporte pas son lunch, la journée peut lui paraître interminable et exténuante: sa capacité d'apprendre est grandement réduite.

Vêtements-La question du vêtement n'a pas de rapport direct avec le progrés scolaire, mais elle a des répercussions considérables sur l'assiduité, sur la personnalité sociale et la conception psychologique, au point de finir par gêner le progrés scolaire. Les enfants indiens attribuent souvent leurs absences au fait qu'ils manquaient de vêtements ou qu'ils n'avaient pas de vêtements propres, ou encore que personne ne s'était levé pour donner des vêtements au plus jeune. Aucune de ces excuses ne peut être invoquée par l'enfant non-indien de classe moyenne, qui n'a pas à s'inquiéter de la suffisance ou de l'état de ses vêtements, chose dont ses parents s'occupent. Les enfants indiens sont souvent l'objet de moqueries en raison de leur accoutrement. Dans les classes plus avancées, les filles en particulier trouvent que leur tenue vestimentaire tranche tellement sur celle de leurs compagnes non-indiennes qu'elles s'en trouvent gênées et préférent rester à la maison, plutôt que de fréquenter l'école. Ces facteurs deviennent encore plus aigus vers la fin du cours élémentaire et au début du secondaire, alors qu'il est si important d'avoir bonne apparence pour être accepté en société.

Petites choses-Pouvoir disposer de menus objets, procéder à des expériences de manipulation, d'exploration et de création tout en s'amusant, tout cela est de nature à stimuler le développement. Les concepts se raffinent et se précisent en face d'un étalage d'objets et par des expériences auxquelles les adultes peuvent apporter les correctifs nécessaires. Si le monde de l'enfant est vide de petites choses, l'enfant manque souvent de stimulant, car il n'a pas l'occasion d'apprendre les éléments constitutifs des choses, leur destination et la maniére de les différencier les unes des autres. Par exemple, le petit Indien qui arrive à l'école en ignorant tout des ciseaux et des crayons, doit d'abord se familiariser avec ces objets, acquérir l'adresse musculaire voulue pour s'en servir de différentes façons et apprendre le nom des couleurs. Le jeune non-Indien qui posséde déjà ces connaissances, est prêt à apprendre à écrire et même à lire. Le petit Indien, lui, doit faire du rattrappage. Quelle importance peut avoir le potentiel de chacun, si l'enfant n'a pas les moyens de développer ses talents et ses aptitudes?

Le milieu psychologique

Tout enfant qui est privé de stimulants ne réussira probablement pas à développer ses diverses aptitudes. Les enfants indiens reçoivent une stimulation, mais la variété des stimulants se limite à un horizon étroit, en comparaison de celui de la plupart des enfants non-indiens. Cette privation a des répercussions sur la faculté perceptive, le degré d'attention, les façons d'apprendre et les relations avec les adultes, qui apportent normalement les correctifs nécessaires, déterminent les objectifs à atteindre dans l'accomplissement des tâches, les récompenses et les punitions, et qui, à beaucoup d'égards, sont une source de réconfort. La méthode de symbolisation par le language est aussi subordonnée aux relations avec les adultes. Les attitudes et l'orientation d'esprit, pour ce qui est des connaissances, s'établissent dés le bas âge par une action réciproque avec les adultes. Le milieu psychologique des enfants indiens et celui des enfants non-indiens différent de bien des façons. Voici quelques exemples:

Facteurs psychologiques
Indien
Non-Indien
Attitudes enversl'enfant
Dés que l'enfant marche, il est considéré comme une personne. Il a relativement toute liberté de créer et d'explorer son milieu. II acquiert le sens de l'indépen-dance et de l'autonomie. Il reçoit des adultes peu de stimulants et de corrections.
Les parents surveillent et dirigent l'enfant et le gardent sous leur tutelle pendant toute l'enfance. Pas d'autonomie et peu d'occa-sions d'indépendance. Les adultes interviennent constamment dans ses agissements.
Intérêt des parents pour l'instruction
Les parents ont peu de formation académique, manquent d'orienta-tion et ne peuvent enseigner à leurs enfants des métiers précis. Ils consacrent peu de temps à leur apprendre à marcher et à parler. On encourage quelque peu l'enfant à suivre l'exemple du pére ou de la mére dans des travaux se rapportant à la vie de la réserve,
Habituellement, les parents ont une formation secondaire et pensent à préparer l'enfant pour l'école. On prend le temps de montrer à l'enfant certains trucs qui l'aideront à l'école. On apprend vite à l'enfant à marcher, à parler tôt et correctement. On encourage l'enfant de bien des façons: expéditions, courses d'emplettes, visites, etc.
Pratique et amélioration de l'élocution
Les conversations entre enfants et adultes sont limitées. On répond aux questions par mono-syllabes. Parfois, la coutume veut que les enfants se taisent en présence des adultes. Les parents parlent souvent une langue incorrecte et pauvre en vocabu-laire. Certains enfants ont l'occa-sion d'entendre des récits riches en images et couleurs, mais personne ne fait la lecture à l'enfant.
Les conversations sont souvent prolongées. Les réponses détaillées sont aussi fréquentes que les mono syllabes. La façon dont l'enfant s'exprime et désigne les choses peut être corrigée d'une maniére logique. La langue parlée par les parents est généralement correcte et variée. Souvent on fait la lecture à l'enfant, qui posséde ses propres livres.
Les punitions et l'instruction
On laisse l'entant faire ce qui lui plaît, quand il le veut. II est rare-ment récompensé ou puni pour l'étude d'une matiére déterminée, bien qu'on l'approuve s'il remplit une tâche correctement à la suite d'un essai et de la constation de ses erreurs. Le temps n'est pas un facteur: s'il le veut, il peut prendre la matinée pour se vêtir. Si l'enfant entreprend quelque chose qu'il ne peut achever, on ne le presse pas de le terminer.
On presse l'enfant d'essayer des choses qu'il a intérêt à connaître, qu'il s'y intéresse ou non. Qu'il apprenne ses leçons ou non, on le récompense s'il fait des efforts. Le temps est un facteur: "Vois comme tu peux t'habiller vite". On insiste pour que l'enfant entreprenne des travaux et qu'il les termine.
Vie journaliére et instruction
Les choses routiniéres sont facul-tatives et souvent inexistantes, Les repas sont servis sur demande. L'heure du coucher varie selon qu'on a sommeil et qu'on est occupé ou non. La vie est centrée sur l'adulte et l'enfant doit s'y adapter.
Les programmes sont rigides. Les repas et le coucher suivent un horaire strict. La vie est plutôt centrée sur l'enfant que sur l'adulte, en ce sens que l'activité des adultes ne modifie pas l'heure du coucher de l'enfant.
Discipline
La discipline est relâchée; elle est avant tout protectrice. On punit rarement l'enfant. Durant l'en-fance, on exige rarement que l'enfant se conduise selon son âge. A mesure que l'enfant grandit, on le tourne en ridicule s'il ne répond pas aux attentes, mais on lui laisse beaucoup de latitude. L'idée d'autonomie lui permet de prendre ses propres décisions.
La discipline est rigide et vise un peu trop à la protection. On exige quel'enfant se conduise selon son âge et on lui permet peu de décisions. Les travaux journaliers sont surveillés par les adultes. L'enfant est puni s'il ne se conforme pas aux exigences des adultes.
 

Facteurs divers

Intérêt écono-mique des enfants
Les enfants sont souvent intéressés aux besognes courantes et aux objectifs économiques des parents, ce qui signifie souvent: déplace-ments saisonniers, garde des bébés pendant que la mére tra-vaille, aide à la pêche et à la cueillette des fruits. Si la mére est malade, les aînés prennent souvent charge de la famille. Selon le niveau économique de la réserve, l'enfant peut avoir à transporter l'eau, le bois, etc.
Les enfants s'intéressent rarement aux objectifs économiques des parents. Le mode de vie est stable, régulier et sédentaire. Les enfants n'ont pas à se préoccuper de la stabilité économique de la famille. Les besognes du ménage reviennent rarement à l'enfant. Quand la mére est malade, on mande habituellement un adulte de l'extérieur.
Vie familiale en général
Souvent instable; le pére peut s'absenter pendant de longues périodes. En certains cas, con-ifits et désaccords se multiplient, Advenant des périodes d'ébriété, l'enfant est laissé à lui-même pendant plusieurs jours. Plus ces périodes sont longues, moins on se soucie des enfants.
Généralement stable. Le pére est au foyer la plupart du temps. Il y a désaccord dans plusieurs foyers, mais dans la plupart des cas, on évite les scénes de colére, surtout en présence des enfants. Les enfants ne sont pra-tiquement jamais laissés à eux-mêmes.
 

Conséquences

Les privations du milieu peuvent avoir pour effet de réprimer l'épanouissement de l'individu, dans le cas de certains métiers et de certaines aptitudes. Ceci s'applique aussi bien à l'enfant de classe moyenne, qui est contraint à des besognes et à un réglement rigoureux, qu'à l'enfant indien, dont les privations empiriques relévent de diverses causes. Ces privations ne veulent pas nécessairement dire que les enfants déficients ne seront pas capables d'apprendre un métier, mais plutôt que s'ils doivent l'apprendre pendant la période idéale de développement, ils y mettront plus de temps, pour autant qu'ils en aient la chance.

Intérêt des parents à l'égard de l'instruction - L'état d'esprit des parents non-indiens par rapport aux modalités de l'enseignement et leurs connaissances des exigences du régime d'enseignement scolaire laissent supposer que leurs enfants adopteront des méthodes d'apprentissage qui pourront être adaptées à leur régime d'écoliers. Chez les parents indiens, cet état d'esprit n'existe pas, et comme le temps manque pour s'occuper de chaque enfant en particulier, il est moins probable que le petit Indien puisse adopter des méthodes d'apprentissage qui soient compatibles avec l'école. En raison du manque de correction et de la rareté des objets, l'enfant indien a peu d'occasions d'établir des distinctions perceptives et conceptuelles; son expérience est limitée aux objets qui sont familiers à la plupart des enfants. Prenons, par exemple, l'enfant non-indien qui joue avec un jeu de blocs: il apprend à distinguer la notion d'espace, à discerner les couleurs et les dimensions. Ses parents l'aident et le corrigent s'il prend une couleur pour une autre et s'il cherche à élever une structure pour laquelle les blocs ne conviennent pas. II apprend aussi à distinguer des jouets qui lui sont familiers, soit par le toucher ou par l'enseignement direct des parents, qui lui disent: "Oui, ça c'est du caoutchouc. Non, ça c'est du bois". Ces aptitudes aident énormément l'enfant qui apprend à lire et à écrire, et l'école prend pour acquis que tous les enfants les possédent à leur entrée à l'école.

Pratique et amélioration de l'élocution - Pour apprendre, à l'école, il est indispensable de savoir s'exprimer. L'enfant habitué aux livres, qui a conversé avec les adultes, qui a un vocabulaire étendu et qui connaît le sens des mots, est nettement plus avantagé que celui qui n'a pas l'expérience de la conversation, qui ne connaît pas les livres et qui a appris l'anglais (ou le français) auprés d'adultes dont c'était la langue seconde.

Dans ce dernier cas, l'enfant n'a pas acquis la formation auditive voulue pour apprendre à lire, parce qu'il n'a pas eu les corrections nécessaires. Comme on s'est rarement adressé à lui directement, son niveau de sensibilité et de réaction aux stimulants extérieurs peut être inférieur à celui de l'enfant de classe moyenne. Ceci représente pour lui une difficulté de plus lorsqu'il s'agit d'apprendre à lire. Etant moins sensible aux influences extérieures, il est moins réceptif aux observations, aux corrections et aux objets d'attention, toutes choses qui ont un rapport évident avec les méthodes d'enseignement scolaire.

Les punitions dans l'enseignement ont pour but d'amener l'éléve à adopter une certaine attitude vis-à-vis l'apprentissage, y compris la réponse aux attentes de l'instituteur et la capacité de comprendre et de déchiffrer les indications fournies. Le petit non-Indien d'âge préscolaire que l'on récompense parce qu'il "essaie", qu'on encourage à terminer une besogne, à qui on fixe un délai d'exécution, n'a pas de difficulté, en général, à saisir ce que demande l'instituteur et à y répondre. Par contraste, le petit Indien n'a pas eu cette préparation préscolaire; il ne partage pas les mêmes dispositions que ces camarades à l'égard des demandes et des attentes de l'instituteur. Il doit donc apprendre à faire un travail, qu'il y soit ou non intéressé, à le terminer dans un délai prescrit et à accepter les punitions, s'il ne se conforme pas aux directives données. Tous ces facteurs entravent l'exécution réelle du travail assigné. ils diminuent aussi la motivation. Quand l'enfant est puni parce qu'il ne répond pas aux attentes, quand ses espoirs de devenir compétent sont constamment déçus, il cesse simplement de s'appliquer.

Discipline - Par la surveillance qu'il reçoit à la maison, par les horaires quotidiens qu'on lui impose, l'enfant de classe moyenne est bien préparé à se conformer aux exigences de l'école. L'enfant indien est habitué à plus de liberté, plus d'indépendance. Presque dés le début, il éprouve des difficultés à l'école: il doit apprendre à respecter l'horaire, à rester inactif, à répondre aux demandes de l'instituteur et à terminer son travail. Il peut aussi lui arriver d'être puni pour la premiére fois de sa vie, sans trop comprendre pourquoi. Ici encore, avant d'apprendre quoi que ce soit d'autre, il doit apprendre les comportements qu'on attend de lui.

Vie familiale en général- L'activité courante de l'enfant de classe moyenne est orientée vers son bien-être. Elle doit lui assurer, de façon réglée, la nourriture, le sommeil et l'exercice suffisants. Ces dispositions contribuent toutes à ses succés scolaires. Par comparaison, l'enfant indien souffre souvent de la faim et manque de sommeil. Comme il doit partager les inquiétudes économiques de la famille, il est souvent absent ou en retard. De plus, l'exemple du pére qui s'absente fréquemment, vient renforcer l'image que l'enfant se fait d'une occupation, la notion qu'il a du succés; le rendement et la motivation de l'enfant à l'école peuvent s'en trouver diminués.

De ces constatations il ressort que l'enfant indien peut difficilement comprendre le milieu scolaire et s'y adapter, et que le personnel de l'école comprend mal cet enfant et ses difficultés. Dés le premier jour d'école, l'enfant indien n'obtient que peu de succés; il est frustré de bien des façons. Comme il ne sait exprimer sa confusion ou son défaut d'entendre, il a peu de chance de trouver la solution de ses problémes. Les instituteurs et les compagnons aidant, il commence à se faire de lui-même une image négative. Le processus de désaffection commence à s'implanter fermement, pour atteindre au négativisme et au désespoir vers la cinquiéme ou la sixiéme année. Les parents désirent sûrement que leurs enfants réussissent, mais ils ne savent pas comment concrétiser leurs aspirations. Les carences en éducation augmentent avec l'âge.

Même si la comparaison descriptive entre la situation de l'indien et celle de l'enfant de classe moyenne nous paraît odieuse, on peut trouver dans le milieu indien de nombreux facteurs positifs. Malheureusement, ces valeurs positives ne semblent pas correspondre aux exigences de l'école et ne comptent guére comme facteurs préparatoires à la formation scolaire. Ainsi, le sens aigu de l'autonomie et de l'indépendance et la force de caractére acquis par les jeunes enfants indiens dans leur propre milieu, ne semblent leur apporter aucune confiance en eux-mêmes dés qu'ils se sentent accablés par les exigences d'un régime scolaire rigide. Le peu qui en reste s'évanouit rapidement lorsqu'on insiste sur la conformité du comportement. C'est là une situation regrettable car, à son entrée à l'école, l'enfant a envers l'école des attitudes positives, ou tout au moins neutres, qui sont bientôt remplacées par des attitudes négatives. L'école est le seul organisme à pouvoir changer la situation, mais on ne peut la blâmer entiérement de n'y avoir pas réussi. Les grandes sociétés permettent difficilement à l'école de procéder à des expériences, elles encouragent peu la spécialisation des instituteurs et font peu de recherche pour dépister les problémes particuliers aux enfants de milieux trés variés qui se présentent en toute confiance pour se faire éduquer, et qui, quelques années plus tard, quittent l'école sans instruction et sans espoir.

3. Le processus de désaffection

L'une des remarques les plus fréquemment entendues à propos de la jeunesse indienne, c'est le sentiment de désaffection qu'ils éprouvent tant à l'égard de leur propre culture qu'à l'égard de la culture non-indienne. Si l'on considére souvent ces remarques comme des observations gratuites, on est forcé de conclure que la majorité de cette jeunesse vit dans une zone grise dont elle ne peut s'échapper.

La plupart des adultes et nombre de jeunes expriment un sentiment d'impuissance. Les adultes disent: "Nous avons ait à ces gens ce que nous voulions, mais ça n'a rien changé", et encore "Les fonctionnaires du gouvernement font ce qu'ils veulent", et "On ne peut rien y faire". Ces remarques entendues dans leur contexte indiquaient que, dans une foule de cas, les Indiens avaient une idée trés nette de la maniére de régler des questions précises, mais que le fait d'exprimer leur opinion ne modifierait en rien la décision définitive. Les opinions émises par les jeunes écoliers revenaient à dire: "Les Indiens ne font jamais rien de bien, alors à quoi bon? "et ils avaient depuis longtemps renoncé à agir. Ce sentiment d'impuissance résulte d'un manque de succés, d'un manque de motivation, d'aspirations peu élevées et de l'incapacité d'évaluer ses propres possibilités. Le manque d'effort laisse présager l'insuccés et confirme le sentiment d'impuissance. Il en résulte finalement une sorte de blocage, ainsi qu'un fort sentiment de désaffection à l'égard des gens et des événements.

On voit difficilement comment sortir de ce cercle vicieux. Les Indiens se sont habitués à laisser aux autres le soin de prendre les décisions, de sorte qu'il leur répugne de réclamer le respect de leurs prérogatives. De façon plus courante, les parents acceptent en silence l'intégration de l'enseignement, puis font avorter le projet en gardant les enfants à la maison sous une foule de prétextes. De fait, la non-fréquentation scolaire s'expliquerait, en somme, par le fait qu'ils ne veulent pas intégrer leurs enfants à tel moment précis, de telle façon ou à tel âge.

Se fondant sur des expériences probantes, l'Indien ne s'attend guére à pouvoir régler sa vie comme il l'entend. Pour que cela change, il faut que les enfants commencent dés le bas âge à accepter la responsabilité de leur propre vie et de leurs propres affaires. Tout changement dans les contrôles administratifs, même ceux qui concernent les enfants du cours élémentaire, est de nature à les aider dans ce sens.

Au niveau secondaire, l'étudiant indien a peu confiance en son aptitude à décider de son avenir. il n'est pas habitué à prendre des décisions. il connaît mal la gamme des solutions qui s'offrent à lui; il a donc tendance à se contenter d'accepter ou de rejeter les suggestions faites par les instituteurs ou les surintendants. La plupart des éléves des classes avancées et des cours de formation professionnelle ont déclaré que s'ils sont venus suivre le programme à Vancouver, c'est que "l'agent a dit que je devrais" ou que "l'agent a laissé entendre que ce serait une bonne idée". La plupart du temps, les étudiants n'avaient pas pensé à cela eux- mêmes; ils n'avaient aucune idée de ce qui les attendait, d'où le grand nombre d'échecs ou d'abandons dus à un manque d'intérêt et d'engagement. Une autre personne avait pris pour eux une décision qui ne leur disait rien.

Pour les Indiens qui voient leur propre société en pleine évolution et qui n'entrevoient aucune solution de rechange propre à remplacer les anciennes valeurs, ils éprouvent un fort sentiment de dérive et d'isolement. La jeunesse aspire à certains objectifs de la société non indienne, mais elle n'a pas les moyens de les réaliser. Elle attache beaucoup d'importance aux objectifs impossibles, mais n'en accorde guére à ceux qui peuvent être atteints à l'intérieur de la culture indienne. Quand les jeunes prennent conscience de cette attitude contradictoire (souvent vers la 5e année d'études), la motivation tend à s'amenuiser, l'ambivalence augmente et le processus de désaffection pour la société non-indienne s'amorce pour de bon. Dés lors, les réussites se font plus rares, le taux d'abandon s'accroît, de même que l'anomie personnelle.

Dans les circonstances décrites ci-dessus, le processus d'autoaliénation semble commencer assez tôt chez le jeune Indien, pour atteindre son apogée vers la ~e année d'études. Aprés une enfance généralement protégée, choyée et émotionnellement chaude, le jeune Indien arrive à l'école. il y apprend qu'il est un être "différent" et que cette différence explique les réactions négatives des autres à son endroit. Son comportement particulier ne concorde pas avec ce que l'école demande. On le punit ou on le ridiculise s'il néglige de se comporter selon le désir des autres. Se sentant dépendant des autres pour ses récompenses, il commence à se forger une idée de l'éléve idéal, qu'il ne peut probablement pas devenir mais qu'il retrouve chez certains autres enfants. Il apprend alors qu'il ne peut atteindre cet objectif idéal pour des raisons qui lui échappent. Mettant en doute la valeur de sa qualité d'Indien, il s'accroche à l'image idéale de l'étudiant non indien. L'écart entre l'idéal et la réalité lui laisse un sentiment d'autoalinénation, de même qu'un sentiment trés vif de désaffection à l'égard de la grande société. En classe, on attache si peu d'importance à ce qu'il est ou à sa culture; les récompenses qu'il attend sincérement viennent si rarement. Les échecs se suivent jusqu'à ce que la motivation, l'auto-image, les aspirations et les réalisations se transforment à l'avenant.

Aspirations et désaffection

De façon générale, les jeunes Indiens ont formulé leurs aspirations en termes simples. Ils désirent s'instruire pour obtenir un emploi. Rares sont ceux qui connaissent le genre d'emploi qu'ils recherchent, et plus rares encore ceux qui connaissent les autres solutions qui s'offrent à eux ou les normes d'instruction exigées pour accéder à des emplois déterminés. Cette dichotomie entre l'idéal et le réel a été mise en lumiére par les réponses apportées à des questions comme celles-ci, "Qu'aimeriez-vous faire à la fin de vos études? "Certains répondaient: "Un médecin, un avocat, ou un ingénieur". "Qu'allez-vous faire en sortant de l'école? "D'aucuns répondaient: "Je serai pécheur, bûcheron, mécanicien, coiffeur, aide- infirmiére", ou mentionnaient d'autres occupations typiquement indiennes ou du moins conformes à leurs habitudes.

Avant d'énoncer leurs aspirations, nos informateurs déclaraient: dans presque chaque cas, "Si c'était possible" ou "si je finis mes études." La plupart des jeunes ont exprimé le désir de terminer leurs études secondaires, quelques-uns projetaient de poursuivre au-delà de la 10e année, mais trés peu ont parlé de l'université.

De façon générale, ces informateurs ne connaissaient pas d'Indiens qui remplissaient les rôles auxquels ils aspiraient; en réalité, ils s'attendaient de faire ce que font les Indiens: la pêche, la coupe du bois, ou rien du tout. On avait peu d'espoir d'obtenir effectivement un emploi chez les non-Indiens. Faute de perspectives optimistes, leur instruction n'avait aucun but et enlevait à la vie son sens positif. Pour les jeunes Indiens, le milieu non indien était incertain et leurs chances d'y trouver un emploi étaient minces. Leurs aspirations tendaient à refléter les réalités de leur milieu, où l'on n'exerce presque jamais une occupation idéale et où l'on peut pratiquer le métier de son choix sans instruction.

Le sentiment de désaffection parmi la jeunesse indienne semble remonter à des générations. Les personnes trés âgées ont perçu les changements survenus dans la vie de la réserve, mais elles n'en ont pas été personnellement atteintes. Elles finissent leurs jours à l'abri de leur régime traditionnel et à l'écart des changements. La génération des parents ne se sent pas en aussi grande sécurité. Dépourvus de personnalité au sein même de la société indienne, ils n'ont pas réussi davantage dans la société des non-Indiens. Ils déplorent avec amertume le manque de facilités d'instruction, décriant en même temps le manque d'emplois, s'accrochant farouchement à la conviction que l'instruction donne à leurs enfants des emplois et une vie meilleure. Par contre, aux yeux de certains d'entre eux qui ont suivi toute une génération d'écoliers, l'instruction ne garantit ni l'emploi ni une vie meilleure. La jeunesse d'aujourd'hui est le produit des espérances et des conceptions propres des parents. Elle grandit dans un milieu psychologique qui refléte un sens aigu de défaite et d'hostilité pour les non-Indiens. Tout à la fois, elle se dit confiante et espére que l'instruction apportera de l'emploi et une vie meilleure. Combinés à leur propre sentiment de désaffection à l'égard de l'école, ces deux points de vue leur laissent peu d'espérance d'atteindre pareils objectifs. L'identification aux parents, la désaffection et l'absence de normes, le manque de confiance en leur capacité de franchir les obstacles, tout cela réuni a pour conséquence de confirmer l'échec prévu. Parfois, les aptitudes et la motivation ne font pas défaut, au début, mais elles sont vite étouffées et la défaite devient inévitable. Le syndrome s'installe tôt dans la vie, prend toute son importance dés la premiére année d'école, fait son oeuvre et s'estompe entre la 5e et la 8e année. Les obstacles à la réussite doivent disparaître avant que l'enfant ne se rende compte de l'écart qui existe entre les objectifs et les moyens de les réaliser. Pour qu'il y ait quelque espoir de succés, il faut donc que l'enfant indien acquiére une expérience différente de celle qu'il a en arrivant à l'école.

4. Valeurs et éducation: effets de l'ignorance

Dans certaines communautés indiennes, on place la formation scolaire bien bas dans l'échelle des valeurs. Il est donc important de comprendre les origines et le cheminement de cette dévalorisation, afin de découvrir si elle découle d'un phénoméne social d'ignorance, ou de trouver les institutions que le milieu a mis en oeuvre pour remplacer la formation scolaire.

Pour quelques communautés de pêcheurs et de trappeurs, le temps passé à l'école nuit à l'avenir d'un bon pêcheur et d'un bon trappeur. On peut appliquer la même conception de l'école aux communautés où la pêche commerciale peut constituer un moyen de gagner sa vie. Le temps passé à l'école peut être considéré comme du temps perdu pour les choses importantes et essentielles à la vie. Les adultes ne se sont d'ailleurs pas gênés, dans ces communautés, pour faire remarquer que l'enfant n'apprenait à l'école rien d'utile. Rien de surprenant que les enfants de ces communautés soient impatients de quitter l'école. Il faut cependant faire une exception de la communauté indienne où la pêche commerciale assurait un niveau de vie élevé, une bonne maison, de bons vêtements, des voitures, des réfrigérateurs, des congélateurs et des téléviseurs. Les familles appartenant à ce groupe souhaitaient que les jeunes terminent au moins leur cours secondaire, mais elles n'y exerçaient aucune sanction contre celui qui abandonnait l'école. On retire souvent les adolescents de l'école pour les associer à la préparation de la saison de pêche. Dans cette communauté, on fait aussi métier de bûcheron comme travail d'appoint. Les jeunes s'accordaient à dire qu'on devrait terminer ses études secondaires, mais chacun d'eux se proposait de laisser l'école aussitôt que possible afin d'obtenir un emploi comme bûcheron ou pêcheur.

Dans les milieux où l'économie est centrée sur la chasse et le piégeage, les adultes ont exprimé des inquiétudes quant aux chances de succés de leurs enfants dans des occupations indigénes. Du reste, il leur semblait peu probable que leurs enfants puissent se trouver un emploi en milieu indien, étant donné l'absence de possibilités à cet égard.

Les gens admettent volontiers que l'instruction est importante et utile, et qu'elle est indispensable à quiconque veut obtenir un emploi. En réalité, le comportement et les conversations de tous les jours indiquent clairement que les Indiens, comme groupe, n'attachent guére d'importance à l'éducation. Rares sont ceux qui connaissent de leurs congénéres ayant obtenu un emploi parce qu 'ils sont instruits. Rares sont ceux qui entrevoient la possibilité de travailler dans un milieu non-indien, et les jeunes de ces communautés partagent les mêmes idées que leurs parents. ils sont prêts, en parole, à terminer leurs études secondaires, mais ils admettent aussi qu'ils vont quitter l'école à la premiére occasion, et sûrement avant la 10e année.

Il existe aussi un effet social de l'ignorance. Dans certaines communautés, on insiste énormement pour que les gens se conforment à des normes, plutôt que de se distinguer les uns des autres. Dés que les individus arrivent à un niveau jugé acceptable, il peut se produire deux choses: ou bien l'individu est persuadé de revenir à un niveau normatif, ou bien il quitte le groupe. Cette uniformisation influe sur l'éducation. Dans un cas, les jeunes ont affirmé ne pas vouloir poursuivre au-delà de la 8e année. Dans cette région, la seule personne qui avait fait des études plus avancées était dénigrée de façon systématique, "parce qu'elle se pense trop intelligente et commence à se comporter comme les Blancs". Dans d'autres cas, les étudiants d'un pensionnat ont indiqué qu'ils étaient l'objet de sarcasmes de la part "des enfants qui avaient quitté l'école et qu'ils avaient le sentiment d'être affreux". D'autres étudiants qui avaient quitté la réserve ont affirmé qu'ils n'étaient plus les bienvenus à la maison, parce que leur instruction les avait rendus "différents". C'est payer bien cher une année d'école. Quand les jeunes doivent subir ces pressions, en plus de devoir aller à l'école, ils préférent abandonner leurs études à peu prés au même moment que leurs confréres et les autres membres de la réserve.

Ajoutons que les aînés admettent difficilement que la jeunesse puisse devenir instruite. Le "leadership" de la réserve a tendance à glisser aux mains d'hommes plus jeunes et partiellement instruits. Dans le cas de plusieurs conseils, le secrétaire a fait sa 8e année et posséde même une certaine formation pour les travaux de secrétariat et de commerce. Pour la génération adulte partiellement instruite, qui n'a d'autre chance de s'exprimer que dans sa propre communauté, l'instruction avancée de la jeunesse constitue une menace. On incite les adolescents à s'instruire, mais non au-delà d'un certain point. Le processus laisse entrevoir un effet social de l'ignorance, en vertu duquel la génération actuelle maintient son autorité en laissant les jeunes s'instruire jusqu'à leur propre niveau, mais pas beaucoup plus. Ce processus n'est pas efficace dans toutes les régions, car il existe plusieurs réserves où le contrôle social est faible, où les jeunes n'ont pas ou guére de respect pour les autorités indiennes, et où régne le chaos. Dans ces régions, les adultes ont tendance à imputer ce manque de respect au niveau élevé d'instruction.

Il ne fait pas de doute que l'éducation de la jeunesse engendre des tensions dans la plupart des communautés indiennes. L'écart de compréhension s'élargit d'une génération à l'autre, parce que chacune se développe à un rythme différent et souvent dans des direction différentes. Les écoliers demandent de plus en plus de meilleures vêtements, des lunches, des objets personnels à la maison, à mesure qu'ils prennent conscience des différentes façons de vivre et qu'ils poursuivent leur expérience scolaire. Par exemple, les étudiants des pensionnats disent ne pas aimer partager les lits et les vêtements, ne pas aimer la nourriture lorsqu'ils retournent dans la réserve pour l'été. Les parents se sentent blessés et pensent que leurs enfants ne les aiment plus ou ne les respectent plus. Et c'est à l'instruction que les parents attribuent ce désaccord. L'éducation a engendré de nouveaux besoins que les parents, dans la réserve, ne peuvent satisfaire, d'où des conflits nouveaux. Ces conflits ne semblent pas se produire lorsque les installations scolaires sont rudimentaires et le niveau d'instruction peu élevé. En pareils cas, du point de vue de l'Indien dans sa communauté, l'effet social de l'ignorance est positif.

5. Les écoles et les minorités

Historiquement, les écoles publiques ont eu tendance à mettre en relief et à propager les valeurs culturelles propres à la majorité de classe moyenne. La classe supérieure n'a pas été menacée par cette accentuation, étant donné qu'elle partage, de fait, les valeurs dominantes de la classe moyenne. Les classes inférieures et les minorités non-indiennes se sont adaptées difficilement aux écoles publiques avant de s'y tailler une place. Si les enfants des groupes minoritaires ont réussi à s'infiltrer dans le courant culturel de l'école, c'est en partie, à cause du degré de déviation de leur propre culture par rapport à la culture de la majorité. Le processus d'acculturation s'est nettement déroulé à sens unique, les accommodements étant faits par les étudiants du groupe minoritaire, mais rarement par les écoles ou par la majorité.

Étant une sous-structure, l'école en elle-même a des engagements rigides pour ce qui est des modalités administratives, des horaires, des programmes et des méthodes d'enseignement. Les enseignants qui seraient assez souples et assez informés pour intégrer dans leur enseignement quotidien les matiéres des différentes cultures, ont rarement l'occasion de le faire, vu la nécessité de remplir le programme suivant les méthodes prévues. De même, les administrateurs qui seraient portés à excuser les lenteurs de certains enfants de la minorité, sont incapables de le faire lorsqu'on les force à appliquer à tous le même réglement. Il peut arriver que les relations entre individus de milieux différents soient une source d'enrichisserient pour chacun. Mais il peut aussi arriver qu'elles accentuent les différences et intensifient les conflits en raison d'appartenance raciale évidente. Le résultat dépend, en partie, de l'école. L'état des relations peut engendrer un sentiment continuel de frustration, en raison de la situation marginale de la culture, sentiment dont le membre de la minorité semble incapable de se dégager.

Les données de la présente étude indiquent que la vie scolaire est le plus souvent une source de frustration et de conflit pour l'enfant indien, plutôt qu'un enrichissement mutuel par l'acceptation et l'utilisation des différences ethniques. L'enfant indien prend conscience, pour la premiére fois, de sa particularité ethnique. Le fait de se trouver dans un milieu tout à fait inconnu lui cause beaucoup d'appréhension. il n'y a rien, à l'école ou dans sa classe, qui lui soit familier; aucune des valeurs ou des modalités qui y ont cours ne se rapporte à son monde à lui. Dans ce milieu étranger, le jeune enfant perd son identité, non seulement parce que rien ne lui est familier, mais parce que rien, dans sa personne ou ses actes, ne correspond aux vues de l'instituteur et des compagnons non-indiens. Même s'il ressent son impuissance à satisfaire aux exigences des personnes importantes du milieu scolaire, le petit Indien ne voit pas en quoi il a mal fait; son manque d'expérience et de connaissances ne lui permet pas d'évaluer la situation. Pour lui, la situation devient intolérable à mesure que passent les années, parce qu'il devient plus vivement conscient d'être brimé. Le foyer et l'école ont des vues différentes sur le monde, dans le détail et dans l'orientation.

C'est à l'école qu'apparaît l'impuissant du foyer indien à assurer aux individus une sécurité suffisante pour surmonter les attaques et les menaces. Au moment où ils atteignent les classes supérieures, les enfants sont tout à fait écrasés: la piétre image qu'ils se font d'eux- mêmes et leur manque avoué de confiance et d'aptitude à réussir en sont la preuve. Ceci semblerait indiquer que, même si un grand nombre d'Indiens se disent fiers d'être Indiens, ils en sont arrivés à ne plus y croire: leurs enfants ont ressenti ces doutes et manifestent la même ambivalence, il leur reste peu de ressources pour résister aux attaques constantes que leur attire leur caractére particulier.

Les écoles cherchent à rejoindre et à changer les parents, en passant par les enfants, créant ainsi un antagonisme intolérable. Des semonces comme celle-ci: "Dis à ta mére de te garder à la maison, si elle ne lave pas tes vêtements", ont toutes sortes de. conséquences; loin d'inciter à la propreté, elles entraînent trés souvent l'absence de l'école.

Coincé entre le monde indien et celui des non-Indiens, de même qu'entre les générations, l'enfant a une tâche impossible à remplir: trouver son identité propre dans des situations on ne peut plus confuses. il doit aussi acquérir un sens suffisant de sa valeur personnelle pour passer de l'enfance à la maturité avec une idée assez précise de son rôle, de ses aptitudes, de ses limitations, et avec un certain espoir de succés. Les conditions préalables à une telle tâche comprennent l'acquisition d'une certaine habileté à composer avec le milieu, ainsi que l'appui des adultes qui croient en lui et le guident dans son cheminement. L'enfant ne peut résoudre ce dilemme s'il est à la fois rattaché à sa famille pour les besoins essentiels et soumis à l'autorité de l'école qui n'a aucun point de rencontre avec le foyer.

Le dilemme de l'instituteur

L'instituteur se trouve dans un dilemme comparable à celui du petit Indien, du fait qu'il doit fournir non seulement la matiére à apprendre, mais aussi l'habileté nécessaire aux études subséquentes. A cette fin, il doit donner un sens à la matiére enseignée, trouver moyen de la rattacher aux choses que l'enfant connaît déjà et à sa vie en général.

D'ordinaire, les écoliers viennent d'un milieu semblable à celui de l'instituteur. Ce dernier est donc en mesure de faire les rapprochements et les interprétations qui s'imposent. De plus, il peut interpréter le comportement des enfants, pour son propre bénéfice et celui des autres enfants, étant donné qu'il y a orientation sociale commune. Les problèmes surgissent lorsque l'instituteur se trouve dans l'obligation d'aider un enfant qui ne partage pas cette orientation commune, de manière à en faire un élément productif et accepté de la classe.

Au début, l'instituteur a tendance à apprécier les enfants des groupes minoritaires d'une façon ethnocentrique. S'il agit ainsi, ce n'est pas dans le but exprès de corriger le comportement de ces enfants, mais faute d'une solution de rechange. En d'autres mots, les enseignants ne se rendent pas assez compte du fait que leurs élèves viennent de milieux culturels différents, de sorte qu'ils comprennent mal leur comportement. Face à des normes différentes, les instituteurs se rabattent sur leurs propres modes de penser et d'agir, et tendent à imposer à l'élève minoritaire les normes les plus courantes et les plus aisées. C'est là une méthode désastreuse. L'instituteur se heurte en effet à deux difficultés: d'une part, le comportement incompris et insolite des élèves minoritaires, et d'autres part un sentiment croissant de sa propre impuissance à apprendre à l'enfant.

Les modalités et les règlements scolaires placent aussi l'instituteur dans une situation difficile. Certains enseignants connaissent bien leurs élèves minoritaires, ainsi que le milieu d'où ils viennent. Ils seraient disposés à trouver des accommodements, mais les exigences du fonctionnement régulier de l'école les empêchent de tenter toute forme d'expérimentation. Certains programmes doivent être accomplis dans les délais prévus et souvent d'une façon déterminée. L'instituteur dispose de peu de temps pour ajouter des matières ou les remplacer par d'autres qui soient plus pertinentes à la vie des élèves. Les études sociales nous fournissent un excellent exemple de ce problème. Imaginez des enfants indiens de la lignée glorieuse des Six-Nations assistant à un cours d'histoire; on leur raconte que les missionnaires sont martyrisés par les méchants Iroquois et l'on donne aux grands explorateurs le mérite d'avoir ouvert des cours d'eau à la navigation. Aucun texte ne fait mention des contributions positives des Indiens relativement à la colonisation des provinces de l'Est, ni de l'aide apportée aux premiers explorateurs auxquels ils ont servi de guides sur un grand nombre de lacs et de rivières. Pour corriger cette fausse représentation, il faudrait que l'instituteur entreprenne des travaux de recherche, en vue d'accumuler des données plus conformes aux faits et de faire disparaître du programme officiel d'études certaines notions erronées ou discutables.

Les incidents qui surviennent tous les jours en classe ne facilitent pas la besogne de l'instituteur. L'enfant du groupe minoritaire arrive en retard plus souvent qu'autrement. Même si l'instituteur en comprend la raison, il doit faire respecter un principe. Il doit exiger la promptitude de toute la classe et ne saurait excuser un retard continuel. Par ailleurs, on comprend que le retardataire se sente frustré et éventuellement quitte l'école, si l'on pense qu'il a raté l'autobus parce que personne ne l'a éveillé, qu'il a dû marcher trois milles pour se rendre à l'école et qu'il y est accueilli par une réprimande.

Des situations semblables se répètent à longueur de jour, brimant l'ingéniosité de l'instituteur et la sensibilité de l'enfant. Dans ces conditions, l'instituteur peut se borner à satisfaire aux besoins de la majorité, quitte à aider de son mieux la minorité. Ce faisant, il a l'appui de l'organisation administrative de l'école, et il remplit son mandat, qui consiste à socialiser l'enfant d'une façon qui soit acceptable à la grande société, tout en permettant à l'enfant de prendre sa place dans cette société. La société et l'école ne se portent guère garants des non-conformistes, et l'enseignant n'est pas en mesure d'entrer en lutte ni contre un système d'éducation ni contre une société, au nom de quelques cas d'exception.

Certes, les instituteurs sont en mesure de faire davantage, en classe, en étant plus compréhensifs et plus sympathiques à l'égard des enfants du groupe minoritaire; néanmoins, il incombe aux administrateurs scolaires de prescrire les accommodements nécessaires. Cet objectif est réalisable sans perturber le processus général de l'enseignement. C'est évidemment à quoi il faut viser, s'il se révèle inutile d'exercer des pressions sur les enfants indiens, qui ne deviennent ni conformistes ni instruits. En attendant, les instituteurs continuent à se retrancher derrière la légitimité de leurs façons de procéder; ils s'emploient à "aider les enfants à surmonter les difficultés que représente leur qualité d'Indien".

L'acculturation et le problème d'identité Il n'y a pas à en douter, l'instituteur et l'étudiant indien sont les participants involontaires d'un conflit culturel qui transcende l'addition de leurs antagonismes. Une étude plus attentive des méthodes d'acculturation dans leur cheminement permettra éventuellement de faire la lumière sur ce dilemme.

Quand l'école cherche à rendre l'enfant moins "indien" et à l'assimiler aux "Blancs de classe moyenne", elle lui demande de renoncer à son identité. Cette acculturation peut-elle se produire sans changer la personnalité fondamentale de l'enfant, personnalité qu'il a développée grâce à son appartenance à un groupe spécifique durant les premières années de sa vie? Si la réponse est négative, on peut se demander si l'acculturation est nécessaire, étant donné la peine et l'effort qu'elle exige.

L'industrialisation de toutes les régions du Canada rend impensable tout programme visant à l'isolement d'un petit groupe. Les Indiens demandent à se joindre aux grands courants de la vie nationale et à en partager les avantages d'emploi, d'instruction, de santé, de bien-être et de niveaux de vie plus élevés. Le processus n'est pas facile, car il se présente à plusieurs échelons des relations, sans compter que, très souvent, il n'est ni planifié ni séquentiel. Comme pour l'éducation, des noyaux de résistance se manifestent. L'un des principaux obstacles au processus d'adaptation, c'est celui de l'identité ethnique, avec tout ce qu'elle comporte dans les domaines de la perception, du comportement et des réalisations à l'école et au travail.

Le problème de l'identité

Le processus de socialisation pèse lourdement et constamment sur l'être humain en croissance. Durant le premier âge, l'apprentissage est intensif et fondamental. C'est pourquoi l'apprentissage en bas âge est considéré comme essentiel: il se répercute sur les modes de penser et d'agir de l'individu devenu adulte. De même, il est difficile de changer les choses apprises en bas âge, en raison de l'intensité et du caractère fondamental de cet apprentissage. C'est pourquoi il est si difficile de tenter de changer les façons de penser, d'agir et d'apprendre de l'enfant indien, à son arrivée à l'école. On ne peut guère réussir à lui apprendre de nouvelles façons de penser et d'agir que s'il n'est pas obligé de désapprendre des choses.

L'hypothèse de l'apprentissage hâtif suppose le concours d'autres facteurs, comme ceux qui influent sur les genres de pression exercées et sur les circonstances générales dans lesquelles ces pressions s'exercent, sur la possibilité de solutions de rechange, ainsi que de nombreux facteurs connexes inhérents à une situation de rapprochement. Il est généralement admis que la culture de base, les valeurs, les orientations culturelles et la personnalité fondamentale sont très réfractaires au changement. D'autre part, à moins de raison importante, il ne se produit guère de changement dans un secteur de la culture.

L'acquisition de nouvelles attitudes ou de nouveaux traits de caractère ne sous-entend pas nécessairement un changement interne. Toutefois, les efforts visant à changer les modes de vie déjà acquis exigent qu'il y ait changement interne, d'où la résistance qui se manifeste, suivant les facteurs énumérés précédemment et l'importance des particularités caractérielles en jeu.

A son arrivée à l'école, l'enfant indien possède une orientation culturelle, un ensemble de valeurs et une personnalité structurée. Il a son identité propre et fait partie d'un groupement culturel déterminé. Son orientation et ses valeurs culturelles l'ont préparé à attacher plus d'importance à certaines choses qu'à d'autres, à percevoir les choses d'une certaine façon et à intérioriser les objectifs pour des raisons spécifiques qu'il partage avec sa communauté. Pour autant que la population scolaire a des orientations et des valeurs culturelles différentes, les attentes et les perceptions de l'enfant indien seront différentes de celles des autres et engendreront un état de conflit. Si l'enfant apprend que sa façon à lui est non seulement différente mais mauvaise, il s'en trouve atteint dans son identité et dans sa sécurité et doit faire face à un problème critique.

Pour atteindre à la maturité tout enfant doit traverser chaque période de son développement en apprenant et en complétant une certaine somme travail. Ceci représente déjà une tâche énorme pour l'enfant dont les tendances sociales dominantes correspondent à l'orientation normative. Cette tâche devient écrasante si l'enfant doit non seulement s'acquitter des devoirs propres à son âge, mais aussi acquérir une identité dans une société qui est en contradiction avec la sienne. Pour l'enfant non-indien, l'école représente une évolution du mécanisme de socialisation. Pour le petit Indien, le mécanisme de socialisation à l'école représente une discontinuité évidente. Les stimulants les plus efficaces sont les récompenses sociales et émotives. Or, celles-ci sont systématiquement refusées à l'écolier du groupe minoritaire, auquel on impose des sanctions négatives parce qu'il a des particularités que ses parents approuvent. Sa seule source de récompense, l'enfant minoritaire la trouve à l'intérieur du groupe originel qui raffermit les particularités mêmes que l'école cherche à modifier. Si l'on offrait aux jeunes des solutions viables, si l'école récompensait certains agissements de l'enfant dont la culture est différente, il pourrait peut-être y avoir changement. Aussi longtemps que les stimulants devront venir du groupe originel de l'enfant, il y a peu d'espoir que l'école réussisse à resocialiser les enfants des différents groupes minoritaires.

Pour que le sens des valeurs et de l'identité personnelles soit maintenu, il faut que l'enfant ait certaines expériences fructueuses dans ses tentatives pour s'instruire, ainsi qu'une certaine espérance de réussir dans ses tentatives futures. Sans un certain sens des valeurs et de l'identité, l'enfant ne peut atteindre à la maturité, ni devenir ou demeurer un être humain utile.

Identification aux modèles

La présence de modèles auxquels les jeunes peuvent s'identifier dans leur recherche d'eux-mêmes, constitue un important facteur de socialisation. L'écolier indien peut choisir parmi des modèles indiens comme parmi des non-indiens. Le processus d'identification peut être unique et ne comporter qu'un modèle, dont on cherche à être l'émule; il peut aussi s'étendre à plusieurs modèles ayant chacun des particularités propres. De façon générale, les individus choisissent leur modèle parmi le groupe d'adultes qui les entourent. Ils arrivent à s'identifier à plusieurs modèles, à mesure que se fait plus impérieux le besoin de diversifier les rôles. L'individu acquiert en fin de compte son identité propre, semblable et distincte à la fois de celle de ses modèles.

Au cours de la phase initiale du processus d'identification, les enfants indiens s'inspirent d'autres Indiens. Les particularités qu'ils découvrent chez les modèles indiens ne leur permettent pas d'acquérir les modes de comportement dont ils ont besoin pour remplir leurs rôles à l'école et dans la grande société. Il est rare de trouver, dans les communautés indiennes, des modèles adultes qui aient acquis leur réputation grâce à l'instruction. L'école fournit à l'enfant indien des modèles de non-Indiens dont il pourrait s'inspirer pour ressembler à ses camarades non-indiens. Toutefois, en choisissant un modèle non-indien, l'enfant n'a pas les moyens d'intérioriser les particularités des non-Indiens; il ne les connaît pas suffisamment pour être en mesure de se comporter comme un non-Indien en l'absence du modèle. Le conflit persistant des cultures s'accentue de nouveau, du fait que les objectifs de l'éducation deviennent étrangers dès que les objectifs intériorisés par les jeunes s'écartent de la culture propre de ces derniers. Lorsque les objectifs et les comportements s'écartent de l'école, l'enfant ne les retrouve plus chez les modèles adultes qu'il s'est choisi dans la communauté indienne.

Identité et aspirations

Le processus d'identification et le choix des aspirations professionnelles sont étroitement liés l'un à l'autre. Au moment de discuter de la question avec les jeunes Indiens, il devient nécessaire de faire une nette distinction entre les aspirations idéales et les aspirations réelles. Les jeunes indiquent souvent qu'ils aspirent à une vie professionnelle comme médecins, avocats, infirmières ou dans quelque autre discipline connexe. On ne peut tenir ces aspirations pour réelles que si l'individu peut s'y représenter lui-même, à l'aide des expériences vécues par son modèle et s'il est conscient des conditions requises pour y arriver.

La plupart des jeunes Indiens aspirant à devenir médecins ne pouvaient nommer un seul médecin (indien ou non) qu'ils connaissaient personnellement; de plus, ils n'avaient à peu près aucune idée des moyens à prendre pour devenir médecins. Nous avons modifié la question et leur avons demandé: "Qu*allez-vous faire", au lieu de "Qu*aimeriez-vous faire"; leurs réponses devenaient alors réalistes et se rapportaient à une variété de métiers pour lesquels les jeunes Indiens pouvaient trouver des modèles à l'intérieur de leur communauté. Quand nous avons fait remarquer à nos interlocuteurs que leurs réponses étaient différentes, ils expliquaient qu'il était de mise de songer à différentes occupations, mais qu'il était peu probable qu'ils atteignent au rang de professionnels, parce que "les Indiens ne se font pas médecins".

Nous posions ensuite la question: "Que sont alors les Indiens, s'ils ne sont ni médecins ni avocats? " Apparemment, les modèles indiens sont avant tout des manoeuvres, des pêcheurs, des bûcherons, des mécaniciens, des chauffeurs de camions ayant divers degrés de compétence, ou encore ils ne font rien. Pour l'élément féminin, les modèles sont épouses, mères, infirmières, employées de conserverie, cuisinières, femmes de ménage, coiffeuses ou s*occupent à d'autres métiers semblables. L'idée que ces métiers sont des métiers "pour Indiens" est fortement enracinée, parce que les Indiens y ont trouvé un emploi et y ont réussi.

En analysant les options prises par les jeunes Indiens, il faut tenir compte de plusieurs facteurs. Il s'agit, en premier lieu, d'indiens qui s'identifient avec des modèles indiens et, par définition, avec des occupations indiennes. En deuxième lieu, les jeunes savent que les occupations indiennes demandent moins d'instruction que les autres métiers ou professions. Troisièmement, étant donné que la plupart des écoliers indiens suivent le cours général ou les cours de formation professionnelle, le personnel de l'école et celui de la Direction des affaires indiennes ont tendance à les encourager à suivre des cours de formation qui mènent à un métier, "parce que ce sont de bons métiers pour les Indiens". C'est insister davantage sur l'idée que ces métiers sont destinés aux Indiens, et que les autres ne le sont pas. Enfin, l'école et la Direction des affaires indiennes ont tendance à ne pas vulgariser les renseignements généraux ayant trait aux professions et à ne pas orienter les enfants indiens vers une carrière professionnelle ou semi-professionnelle, parce que "ce n'est pas pratique pour les Indiens, à l'heure actuelle". On fournit aux étudiants indiens peu de renseignements sur les carrières professionnelles, de sorte qu'un grand nombre d'entre eux ignorent les options possibles et doivent s'en tenir aux exemples que leur offre leur propre communauté.

Pour la génération actuelle d*âge scolaire, les options sont maintenant plus nombreuses. L'école et le foyer encouragent les garçons à suivre des cours de formation en vue d'obtenir un diplôme d*électricien, de menuisier, d'opérateur et de mécanicien de matériel lourd. On encourage les filles à se diriger vers le travail de bureau, ou à se faire réceptionnistes dans des bureaux de médecins et de dentistes, ou encore commisvendeuses. Ces emplois ne s'éloignent pas trop de ce que l'on considérait autrefois comme des "occupations indiennes" et ils ne demandent qu'un peu plus d'instruction.

Reste la question de savoir pourquoi les Indiens ne s'identifient pas aux modèles nonindiens qu'ils rencontrent tous les jours à l'école et dont ils ont intériorisé au moins partiellement les objectifs. Certains étudiants ont indiqué qu'ils aimeraient peut-être devenir instituteurs, mais ils se sont empressés d'ajouter qu'ils ne pourraient jamais y arriver parce qu'ils ne termineraient probablement pas leurs études secondaires et n*iraient jamais à l'université. De mêmes certaines jeunes filles auraient aimé devenir de "vraies infirmières", mais elles se contentaient de songer à devenir simples gardes-malades, étant donné qu'elles ne suivaient pas les cours de formation requis. Quand on a demandé aux garçons ce qu'ils pensaient des métiers de policier ou de garde-chasse, dont certaines catégories ne demandent pas plus qu'un cours secondaire, ils ont répondu qu'ils ne pouvaient pas faire partie des forces publiques dans leurs propres communautés et qu'ils n'aimeraient pas "passer leur temps à dire aux gens quoi faire". Une réponse analogue nous a été faite à propos de la carrière d'enseignant. Apparemment, les jeunes ont tendance à se tenir à l'écart d'occupations qui leur conféreraient une certaine autorité dans leurs propres communautés.

Quels sont les facteurs qui permettraient aux jeunes Indiens de s'identifier à des modèles étrangers à leurs communautés et d*étendre leurs horizons? L'un des principaux facteurs consiste dans le degré de compréhension et d'acceptation qui existe entre les groupements indiens et non-indiens. Lorsque les non-Indiens ont des attitudes favorables, les jeunes Indiens ont plus de chances de s'identifier aux non-Indiens et à leurs occupations. Deux facteurs semblent entrer en ligne de compte dans les communautés où les Indiens sont acceptés pour ce qu'ils sont, avec leurs qualités propres d*Indiens. Les Indiens n*ont pas de sentiments ambivalents quant à leur qualité d*Indiens; de plus, ils ont un sens relativement profond de leur mérite. Toutefois, ils se rendent compte, qu'ils se rapprochent davantage des non-Indiens par leurs désirs de biens matériels et d'emplois. Étant acceptés des non-Indiens, ils voient peu d'obstacles à leurs aspirations à des emplois qui surpassent les occupations typiquement indiennes. Ils sont aussi mieux renseignés sur ces professions et aspirent à un niveau d'instruction plus élevé. Les non-Indiens les encouragent à quitter la réserve et à vivre dans une communauté intégrée où ils trouveraient leurs moyens de subsistance. Les emplois offerts à la remise des diplômes incitent les jeunes à terminer leurs études et leur apportent une assurance nouvelle d'acceptation dans le milieu non-indien. Si ces encouragements reçoivent aussi l'appui de la communauté indienne, l'espoir de succès se concrétise. En termes concrets, les Indiens pourraient s'identifier à des modèles non-indiens dans les conditions favorables suivantes: a) acceptation de l'Indien comme tel par les non-Indiens, b) encouragement des non-Indiens par un appui général et des offres d'emploi, c) soutien des mêmes aspirations par la communauté indienne, d) succès scolaires dans une école intégrée. Si l'un de ces facteurs fait défaut, la possibilité de voir les Indiens s'identifier à des modèles non-indiens diminues, si elle ne disparaît pas.

Autres genres d'identification

Nombre de jeunes réussissent assez bien à s'identifier à des modèles au sein de leur propre communauté. Ceci s'applique particulièrement aux cas où le niveau de vie est assez élevé, suivant la définition des Indiens, c'est-à-dire où les membres de la communauté ont une maison convenable, des appareils ménagers, des voitures, achètent des vêtements neufs et peuvent se payer des distractions. De façon générale, il s'agit de communautés de bûcherons et de pêcheurs, dont les revenus proviennent d'emplois saisonniers, des prestations d'assurance-chômage, d'assistance sociale et de pensions. Dans ces communautés, l'importance sociale découle du fait d'être un bon pêcheur, d'avoir plus d'argent et de biens. Les meilleurs pêcheurs sont habituellement membres du conseil et se considèrent comme les chefs de file, aussi bien par héritage que par compétence. Dans ces communautés, les jeunes ne cherchent pas à l'extérieur de la réserve les choses qu'ils désirent, comme cela se produit dans les communautés plutôt dépourvues. Ils jouissent d'un certain confort matériel et ne voient pas le besoin de s'aventurer parmi les non-Indiens, en quête d'autres choses. Ils s'identifient aux membres les plus en vue de la communauté, ils ont peu le sentiment d'ambivalence quant à leur qualité d'Indiens et font peu de cas de la formation scolaire. Ils ont hâte de quitter l'école pour travailler sur les bateaux ou dans les camps de bûcherons. Les jeunes disent que "l'instruction, c'est une perte de temps", tandis que les adultes disent: "La pêche est finie; les enfants devraient laisser l'école et se trouver un emploi". Effectivement, les aînés sont retirés de l'école en bas âge et aident aux préparatifs de la saison de pêche. Quiconque serait témoin de l'intérêt et de l'excitation qui règnent dans la communauté au moment de la préparation des bateaux pour une saison nouvelle, ou écouterait raconter les succès et les prédictions sur la saison à venir, ne pourrait croire à une déclaration comme celle-ci: "La pêche est révolue; il faut finir ses études et trouver un autre emploi".

II s'est trouvé de nombreux cas où les jeunes Indiens observaient et étudiaient le processus d'identification avec réalisme et pessimisme, tout à la fois. Étaient alors en cause des non-Indiens dont les attitudes étaient indifférentes ou hostiles, ainsi que des modèles indiens de peu d'envergure ou inexistants. La situation sociale y était caractérisée par la désorganisation, l'esprit de clan, l'alcoolisme et le chômage massif. Dans ces réserves, les jeunes avaient tendance au découragement, au pessimisme; leurs aspirations étaient peu élevées et ils se faisaient une piètre image d'eux-mêmes. Ils ne s'attendaient pas à ce que leur avoir augmente. Souvent, ils s'étonnaient qu'on leur demandât ce qu'ils allaient faire ou allaient être plus tard, car bien peu d'entre eux entrevoyaient la possibilité d'être différents de ce qu'ils étaient à ce moment-là. Les jeunes aspiraient à se trouver un emploi, mais ils voyaient bien que la chose était peu probable, vu leur retard scolaire et l'impossibilité de trouver du travail. Dans ces communautés, on ne comptaient plus les gens qui avaient essayé sans résultat d'obtenir un emploi ou qui, en ayant eu un pendant quelque temps, avaient été congédiés ou renvoyés pour toutes sortes de raisons. Les jeunes appréhendaient le sort de l'Indien qui quitte la réserve en quête de travail et les difficultés qu'il éprouve à satisfaire aux exigences de la vie et du travail urbains. Au rappel de ces faits, les jeunes déclaraient sans équivoque qu'ils avaient peur de se lancer dans des aventures semblables. Ils exprimaient aussi, par la même occasion, le vif désir d'avoir plus d'argent, de nourriture et de vêtements, de plus belles maisons, toutes choses qu'on peut obtenir dès qu'on a un emploi. Mais, à leur avis, les emplois n'étaient pas faits pour les Indiens.

L'absence, dans la réserve ou à l'extérieur, de modèles indiens acceptables et l'intériorisation partielle de buts apparemment irréalisables pour de jeunes Indiens peu instruits, donnent lieu, chez les individus et les groupe d'individus, à un conflit irréductible. l'absence de modèles indiens acceptables provient d'un manque de direction et de diffusion de l'identité, de l'ambivalence ethnique et d'une bonne dose de peur, toutes choses qui ont tendance à se perpétuer parce qu'elles étouffent les tentatives d'intégration économique et sociale. De même, l'intériorisation des objectifs de la société non-indienne, tout au moins sur le plan économique, engendre un sentiment de frustration qui rend la vie de la réserve pratiquement intolérable. Mécontents de leur situation présente et n'entrevoyant pas d'autres possibilités, les jeunes Indiens éprouvent beaucoup de désenchantement et d'amertume pour tous les aspects de la vie; ils cherchent dont à atténuer ce dilemme constant par tous les moyens possibles, dans les limites ou même hors des limites de la légalité. Dans chacun des cas rapportés précédemment, le caractère fermé de la société qui entoure la réserve, empêche nettement tout rapprochement de l'Indien avec le système social du groupe majoritaire. Lorsque la société non-indienne est fermée aux Indiens, il n'y a ni frustration ni découragement, pour autant que la société indienne ait elle-même les moyens de maintenir un niveau de vie satisfaisant par son activité propre. Il existe, au sein du groupement indien, des modèles indiens auxquels les jeunes peuvent s'identifier. Si la société non-indienne est fermée et qu'en plus la société indienne est désorganisée et déprimée, il y a peu de façons de maintenir un niveau de vie suffisant et satisfaisant. Dans ces cas, les jeunes font preuve d'une identité diffuse et semblent paralysés par les objectifs contradictoires du mode de vie des Indiens et de celui des non-Indiens. Ils se sentent constamment perdus, à moins que la société non-indienne ne s'ouvre en offrant des possibilités qui permettront aux jeunes de réaliser les objectifs que les non-Indiens leur ont inspirés.

6. Résumé

Le jeune Indien est soumis, dans sa propre société, à un régime non conventionnel d'éducation, qui lui permet de devenir un Indien. Le régime conventionnel d'éducation des écoles publiques chevauche rarement le processus indien d'éducation, mais il y fait certains empiétements. A l'âge de l'adolescence, soit de la 5e à la 8e année, l'opposition des deux cultures prend une importance capitale, car elle place le jeune Indien dans un dilemme insoluble. Essentiellement, elle le force à choisir entre l'identité indienne et celle d'Indien "Blanc". c'est un choix impossible, parce que, quoi qu'il fasse, il est Indien et sera toujours considéré comme tel. Même si, par une première socialisation, l'enfant indien a été orienté vers un statut d'indien, son expérience scolaire a réussi, du moins en parti, à lui faire intérioriser des objectifs qu'il ne saurait réaliser dans sa propre société. A ce moment, la société non-indienne est plus fermée qu'ouverte, l'empêchant encore plus d'y réaliser ses objectifs, si jamais il était en mesure de le faire. Cette situation engendre chez la majorité des jeunes Indiens un sentiment d'ambivalence, qui leur rend la vie misérable et détruit pratiquement tout espoir d'atteindre à un certain degré de satisfaction et de succès.

Aux prises avec des critiques continuelles relativement à sa qualité d'Indien, l'enfant traverse toute une série d'échecs, tout en espérant que le succès finira par venir. Vers la 5e année, il entrevoit l'abîme qui le sépare des autres et la futilité de ses efforts en vue de réussir dans la société et en classe. Il commence alors à se désintéresser des études, jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge où il peut légalement quitter l'école. Ses progrès diminuent, et il y a fléchissement d'assiduité, de conscience de sa personnalité et du niveau de ses aspirations.

2. L'INDIEN ET L'ÉDUCATION CONVENTIONNELLE

Les faits et opinions rapportés dans le présent chapitre ont été recueillis auprès de personnes auxquelles nous avons promis l'anonymat. Nous ne ferons donc aucune mention de leur provenance. l'échantillonnage n'est pas considérable, mais son uniformité nous fournit l'assurance de pouvoir en tirer des conclusions applicables à l'ensemble. Nous avons fait l'impossible pour obtenir la corroboration de sources différentes: dossiers et rapports de la Direction des affaires indiennes, dossiers des écoles et projets de travaux de recherche effectués à titre privé. Néanmoins, les données ne représentent pas toutes les réserves ni toutes les écoles, chaque situation étant un cas unique en raison des variantes locales.

1. Vues générales

Il serait peut-être opportun de rappeler quelques-unes des conclusions principales. On ne peut établir de parallèle entre la première formation reçue par les enfants indiens et celle que reçoivent au même moment les enfants non-indiens. Les orientations générales, les valeurs, les travaux quotidiens et les relations varient au sein des divers systèmes sociaux, de sorte que l'enfant apprend à voir le monde d'une façon tout à fait différente, selon qu'il appartient à l'un ou à l'autre des systèmes. II est donc normal qu'à leur arrivée à l'école, les jeunes Indiens et non- Indiens aient des espérances différentes, qu'ils perçoivent les choses différemment, qu'ils connaissent parfois assez mal le phénomène matériel de l'école et que leur comportement soit dicté par des règles différentes. Dans ces différences culturelles, il n'y a aucun élément théorique ou réel qui nous permette de supposer que tel enfant possède moins d'aptitudes ou de motivations que tel autre enfant.

En fin de compte, ces différences d'orientation générale se révèlent décisives pour l'enfant indien. Les exigences de l'école, les récompenses et les punitions, les formalités de la classe et autres facteurs connexes tendent à mettre en valeur et à compléter le premier apprentissage de l'enfant non-indien. Toutefois, le processus scolaire vient en contradiction avec la façon d'apprendre de l'enfant indien, le force à désapprendre et à réapprendre, et à faire un nouvel apprentissage dans des domaines qu'il devrait connaître dès son entrée à l'école, pour pouvoir progresser au même rythme et de la même façon que ses compagnons non-indiens.

l'enfant indien se fait devancer immédiatement parce qu'il lui faut apprendre un tas de choses que les jeunes non-indiens connaissent déjà à leur entrée à l'école. Il lui faut aussi acquérir une orientation nouvelle, pour pouvoir communiquer avec l'instituteur et satisfaire aux exigences de l'école. Certains facteurs, comme la ponctualité, sont indépendants de sa volonté. Plus on lui impose des punitions, durant ses premières années d'école, à cause d'un comportement qu'il ne peut contrôler ou adapter, plus il marque du retard par rapport à ses compagnons non-indiens, et plus la poursuite du succès lui apparaît futile et sape sa motivation. Les échecs s'accumulent. A l'école, l'idée que le jeune Indien est un élève peu brillant, non évolué et sans ambition devient un cliché, et l'enfant est forcé de jouer le rôle. Les principaux secteurs de conflit entre l'élève indien et l'instituteur blanc sont ceux de l'autonomie, de la discipline, de la concurrence, du temps et du langage. Ces conflits proviennent des cultures respectives. Plusieurs groupes indiens considèrent que l'enfant devient autonome à l'âge de deux ou trois ans. A compter de ce moment, on ne le juge plus comme étant un enfant, mais une personne. Il est libre de décider de ses occupations, de prendre plusieurs décisions, d'apprendre les jeux et les choses qui l'intéressent et, de façon générale, de s'émanciper de l'autorité rigoureuse des parents. l'enfant devient autonome sous plusieurs aspects. Il y a relativement peu d'agencement entre ses jours et ses heures. A son arrivée à l'école, il doit apprendre à se conformer, à s'adapter à un horaire, à participer à des choses auxquelles il s'intéresse plus ou moins et à se soumettre aux demandes constantes d'un autre individu.

La pratique de la discipline est intimement reliée à la notion d'autonomie. Dans une communauté indienne, la discipline est peu souvent sévère et rarement corporelle. (Il ne faudrait pas considérer comme discipline l'abus physique dont les enfants sont l'objet de la part des adultes, lors de querelles ou de beuveries.) Les adultes n'établissent pas de règles rigides pour diriger l'enfant. Ce dernier est rarement puni, même s'il manque à une règle reconnue; les adultes estiment qu'à force de lui faire honte ou de se moquer de lui, on l'amènera à se corriger. Ce sont là des forces irrésistibles de contrôle social, mais elles n'ont rien de la discipline étroite des règles systématiques et rigoureuses qui prévoient des punitions en cas d'infractions. La communauté indienne laisse beaucoup de latitude pour ce qui est de déterminer l'acceptabilité du comportement en fonction de l'âge. l'enfant, à la maison, en vient à apprendre par lui-même les normes d'un comportement acceptable. A l'école, l'enfant n'est plus libre de faire des essais et de commettre des erreurs: les règles sont bien définies, de même que les punitions en cas d'infractions. l'enfant indien doit s'astreindre à l'apprentissage de règlements que les membres du groupe majoritaire connaissent et comprennent déjà, et qu'ils ne mettent en question que lorsqu'il y a eu infraction. l'enfant indien a peu d'occasions d'apprendre directement les règlements, qu'on suppose connus de tous. Il commence à se sentir brimé et injustement traité lorsqu'il se rend compte qu'on le punit pour des choses qu'il ignore, qu'il ne comprend pas et sur lesquelles il n'a souvent aucun empire.

La concurrence ou l'émulation est un phénomène culturel dont l'enfant indien n'a peut-être pas eu à faire l'expérience. Plusieurs cultures indiennes considèrent l'émulation comme un facteur puissant: les étudiants indiens issus de ces groupes ne devraient pas avoir de véritables difficultés à s'engager dans les processus d'émulation de la classe, à la condition d'avoir obtenu les éléments essentiels d'information à cette fin. Pour d'autres groupes d'Indiens, cependant, la coopération a plus de valeur que l'émulation. Les enfants de ces groupes n'arrivent pas à comprendre pourquoi on les réprimande s'ils soufflent la réponse à un autre ou s'ils l'aident à faire son devoir. Étant donné qu'à l'école les récompenses sont données en fonction de méthodes émulatives d'enseignement ("voyons qui pourra finir le premier les problèmes de la page dix"), l'enfant indien qui n'est pas habitué à ce genre d'émulation, reçoit moins d'attention et de récompense que ses compagnons plus compétitifs. Si l'on donne douze problèmes à faire, "à qui finira le premier", l'enfant non-indien peut se hâter de terminer le travail, même s'il fait cinq erreurs; l'enfant indien, lui, fera sept problèmes correctement, mais ne terminera pas les autres. On félicite le petit non-Indien d'avoir terminé son travail et on lui demande de corriger ses erreurs. Mais le petit Indien, lui, se voit réprimander pour sa lenteur et pour ne pas avoir terminé son devoir. l'atmosphère psychologique est très différente pour chacun d'eux.

Le temps et les horaires sont des sources de désaccord entre l'école et les élèves indiens. Les besognes journalières d'un foyer indien et l'orientation générale de la communauté, pour ce qui est des questions de temps et d'horaires, sont très souples. l'école doit fonctionner d'après des horaires rigoureux; elle s'attend que les élèves s'y conforment avec le moins d'écart possible. Le jeune Indien, qui doit se rendre à l'école à pied, arrive en retard la plupart du temps. Les élèves qui voyagent par autobus sont à l'heure, ou bien ils sont absents. l'enfant indien doit aussi apprendre à respecter l'horaire de l'école. Le cas peut également se produire pour un grand nombre d'enfants non-indiens, mais ayant l'habitude d'un horaire de repas, de coucher et de lever relativement fixe, ils peuvent mieux régler leur vie et apprendre la notion du temps. Souvent, le petit Indien ne mange que lorsqu'il a faim et ne se couche que s'il a sommeil. Dans les maisons surpeuplées, l'enfant indien imite souvent les adultes qui se couchent tard; il manque de sommeil s'il doit se lever pour l'école, le lendemain matin. Il se lève souvent en retard parce que les adultes ne l'éveillent pas. La question de temps est une source de réprimandes pour le jeune Indien: elle l'oblige à apprendre la valeur de quelque chose qui rompt avec son expérience passée. c'est un problème que le jeune enfant réussit rarement à résoudre. La question de la langue est complexe et comporte de nombreuses variantes d'une localité à une autre. Pour l'enfant qui vient d'un foyer où l'on ne parle pas l'anglais, comme c'est le cas dans plusieurs régions septentrionales, le problème consiste à apprendre une langue nouvelle. De tous les facteurs, c'est peut-être le moins complexe, car, en pareils cas, l'enfant peut apprendre l'anglais d'un instituteur et de compagnons qui parlent anglais. Au début, cette nécessité retarde les progrès scolaires de l'enfant, mais elle assure un fondement solide pour les années ultérieures.

S'il vient d'un foyer où l'anglais est la langue seconde, l'enfant parle d'ordinaire une langue mi-indienne mi-anglaise, une langue dont la structure et les mots sont anglais, mais où la forme et le sens diffèrent souvent de ceux de la langue normative de l'école. Même si l'école le considère comme parlant anglais, il a, dans la plupart des cas, autant besoin de leçons de langue qu'un autre enfant ignorant l'anglais. Les enfants indiens se disent aussi ahuris par le flot constant de paroles qui se débitent dans la classe. Certains enfants indiens sont habitués à un silence relatif à la maison, les conversations y étant peu fréquentes et peu abondantes. Ces enfants se plaignent du bruit en classe et de la difficulté qu'ils ont à concentrer leur attention sur ce que dit l'instituteur. A cette difficulté s'ajoute celle de la différence de langue dont nous avons parlé plus haut. Le manque de communication entre l'instituteur et l'élève, et vice-versa, porte les enfants à se décourager et à se réfugier dans le silence, en "tournant le bouton". Le problème n'est pas exclusif à l'enfant indien, mais le petit non-Indien a au moins l'avantage de comprendre ce qui se dit, s'il décide de "se brancher" de nouveau. Les enfants indiens se sont dits mortifiés de ce que l'instituteur leur "criait à tue-tête". Or, nous avons observé que, le plus souvent, les instituteurs ne criaient effectivement pas, qu'ils n'étaient ni fâchés ni déplaisants et que leur débit était normal. Dans nombre de foyers indiens, il est d'usage de parler à voix basse, mais on y entend souvent des cris rauques et stridents. Comment, alors, expliquer que l'enfant indien se plaigne d'instituteurs trop "bruyants", si ce n'est par l'accablement ressenti devant la diversité des éléments d'une langue qu'il ne maîtrise pas et qui produisent une combinaison incompréhensible.

La question de la motivation de l'écolier indien est compliquée et il n'est pas facile de l'éclaircir. Aucune étude n'a prouvé que l'enfant indien avait moins de motivation pour le succès que l'enfant non-indien. Des études pilotes entreprises pendant que s'exécutait le présent projet semblent indiquer que la motivation des écoliers indiens est aussi élevée, et parfois même plus élevée, que celle des non-Indiens. Néanmoins, l'étude indique aussi que la motivation pour le succès baisse considérablement après quelques années d'études. Par contraste, le petit Canadien de race blanche a tendance à désirer davantage le succès, à mesure qu'il avance dans ses études. Cette diversité s'explique peut-être par les différences dans les succès remportés et par l'appui apporté par des adultes importants. l'enfant non-indien est encouragé à réussir, tout d'abord parce qu'il obtient des succès à l'école, et aussi parce que ses parents le poussent et l'aident à réussir. A mesure que l'enfant grandit, ses succès prennent de l'importance, ses parents lui répétant qu'il faut réussir à l'école si l'on veut réussir dans la vie.

Pour l'enfant indien, l'expérience est bien différente. Il est de moins en moins encouragé à l'école parce que, dès les premières années, il connaît plus d'échecs que de succès. A mesure qu'il grandit, les buts qu'il cherche à atteindre deviennent moins réalistes. La mobilité économique et sociale ne correspond pas aussi étroitement au progrès scolaire de l'enfant indien qu'à celui de l'enfant non-indien. Ce dernier, en effet, connaît des gens qui travaillent et détiennent certains emplois parce qu'ils ont acquis une formation ou une éducation particulières. La communauté indienne, les parents de l'enfant en particulier, ne conçoivent pas les succès scolaires comme indispensables au succès futur. En conséquence, à la maison, il n'y a pratiquement pas de récompense pour les succès en classe et à peu près pas de punitions en cas d'échecs. Les Indiens marquent surtout les succès dans les domaines qui ont une importance plus grande pour la communauté. De même, tant que l'enfant connaîtra ce genre d'expériences à l'école, qu'il sera privé d'un système de récompenses appropriées et qu'il n'aura pas quelque occasion de réussir, il est à prévoir que sa motivation continuera de décroître d'une année scolaire à l'autre.

Bref, l'atmosphère de l'école, les travaux quotidiens, les récompenses et les chances de réussite apportent une expérience tout à fait différente pour l'enfant indien et pour le non-Indien. Rupture du processus de socialisation, échecs répétés, discrimination et le peu de valeur de l'éducation aux yeux du jeune Indien, tout cela diminue la motivation, augmente le négativisme, retarde la prise de conscience de soi et rabaisse le niveau des aspirations. Tant qu'on n'en sera pas venu à des compromis entre l'école, la communauté indienne et les communautés non indiennes, l'impasse demeurera, de sorte que l'écolier indien n'aura toujours qu'une piètre idée de sa valeur et ne réussira pas dans ses études. Les écoles destinées à la majorité ne peuvent pas facilement accommoder les enfants des groupes minoritaires, mais elles peuvent prendre certaines dispositions en organisant des cours spéciaux ou un enseignement spécialisé et en recrutant des professeurs sensibilisés aux problèmes, de manière que chaque enfant puisse obtenir un certain succès et conserver le sens de sa propre valeur.

2. Abandon et poursuite des études

Nous nous sommes servis des statistiques de 1963-1964, car les chiffres pour l'année 1964-1965 n'étaient pas encore complets au moment où ces données ont été recueillies. Toutefois, une révision des chiffres de 1964-1965 nous indique que les mêmes tendances se maintiennent. En 1963, on comptait 45,309 enfants dans les différents externats, pensionnats, écoles provinciales, écoles de métiers et écoles spéciales. De ce nombre, 57 étudiants étaient inscrits dans des universités; la plupart des autres enfants se trouvaient au niveau élémentaire, un nombre restreint poursuivaient des études secondaires et des cours de métiers. l'analyse du tableau 1 nous indique que les taux de reprise et d'abandon sont extrêmement élevés. Les reprises en ire année et les départs tout au long des douze années d'études sont alarmants.

TABLEAU 1 PROGRÈS DES ÉCOLIERS INDIENS AU COURS D'UN CYCLE SCOLAIRE DE 12 ANS
Echelon Année Inscriptions Départs Pourcentage
des départs
1 1951 8782 - -
2 1952 4544 4238 48,2
3 1953 3430 614 13,5
4 1954 3652 278 7,1
5 1955 3088 564 15,5
6 1956 2641 447 14,5
7 1957 2090 551 21,7
8 1958 1536 554 26,5
9 1959 1149 387 25,5
10 1960 730 419 36,5
11 1961 482 248 34
12 1962 341 141 29,3

Au cours d'une période de douze ans, 8,441 écoliers indiens sur 8,782 n'ont pas terminé leurs études secondaires. Les chiffres disponibles ne nous permettent pas d'établir des taux distincts pour les reprises et les départs, mais d'après ces chiffres bruts, il y aune perte de 94 p. 100 de la population scolaire, entre la 1re et la 12e année. Chez les non-Indiens, le taux d'abandons pour tout le pays est d'environ 12 p. 100. Ces deux chiffres ne sont pas tout à fait compatibles, étant donné que pareille comparaison ne serait pas logique en raison des inscriptions tardives, des difficultés de langue et des autres facteurs dont nous avons déjà parlé à propos des écoliers indiens. Néanmoins, la différence est une indication sommaire de la situation des jeunes Indiens par rapport aux non-Indiens. Elle nous rappelle que, même si les Indiens se présentent chaque année plus nombreux à l'école, y persévèrent plus longtemps, il faut redoubler d'effort pour que les Indiens aient chance égale de s'instruire. Les écoliers non indiens, eux aussi, poursuivent leurs études plus longtemps et atteignent à des niveaux d'instruction plus élevés, II ne nous est pas possible de calculer le taux d'augmentation pour chaque groupe, mais il est certain que si la courbe des Indiens ne progresse pas à un rythme beaucoup plus rapide qu'à l'heure actuelle, les écarts continueront d'être importants. Les échantillonnages pris dans les différentes provinces indiquent qu'environ 80 p. 100 des enfants indiens reprennent leur ire année. Nombre d'entre eux la reprennent jusqu'à trois fois. d'autres sont promus malgré un échec en 1re année: habituellement, ces derniers réussissent en 2e et 3e années, mais ratent leur 4e. . . . .et les échecs se succèdent de la même façon jusqu'à la 8e année, moment où bon nombre de jeunes Indiens quittent l'école. Les autres se rendent jusqu'en 10e année, ayant habituellement à reprendre une ou deux années. La plupart abandonnent alors définitivement les études et environ 20 p. 100 s'inscrivent dans des écoles de métiers. Les rares élèves qui poursuivent leurs études au-delà de la 10e année, se tirent généralement bien d'affaires en lie et en 12e année, de sorte qu'ils obtiennent leur diplôme d'études secondaires.

La Loi sur les Indiens stipule que tout enfant indien est autorisé à fréquenter l'école dès l'âge de six ans, mais il doit fréquenter l'école à l'âge de sept ans; il peut laisser l'école à l'âge de 15 ans ou dès qu'il a terminé sa 8e année. La Loi sur les écoles publiques exige que les enfants fréquentent l'école dès l'âge de six ans et les autorise à quitter l'école à l'âge de 16 ans ou après la 8e année. Un enfant indien qui entre à l'école à l'âge de sept ans, qui doit reprendre sa ire et sa 4e années, est en âge légal de quitter l'école après la 6e année. La plupart poursuivent leurs cours jusqu'en 8e année, mais à ce moment ils ne veulent plus continuer parce qu'ils sont découragés, se sentent à la gêne parmi des plus jeunes et ne prévoient pas se sentir à l'aise, socialement parlant, à l'école secondaire.

Les morcellements administratifs des écoles facilitent l'abandon au moment où elles obligent les élèves à changer d'école. Dans les écoles où l'on donne jusqu'à la 8e année, les écoliers ont tendance à quitter les études après la 8e. Là où il y a des écoles intermédiaires qui commencent à la 6e année, ceux qui ont atteint l'âge légal décident souvent d'abandonner l'école élémentaire, plutôt que de passer dans une autre école. Un certain nombre quittent après la 8e, la 9e ou la 10e, selon que l'occasion leur en est fournie. Cette question se complique davantage lorsque les jeunes Indiens sont intégrés aux écoles publiques à la 8e année et à la 10e année. Un autre facteur susceptible d'encourager l'abandon dans certaines régions, c'est l'intégration à des institutions religieuses après le régime scolaire de la réserve. Prenons un seul exemple. Dans la réserve X, des enfants fréquentent un externat (catholique romain) jusqu'à la 6e année. Pour la 7e année, on les transporte à 20 milles d'une ville où se trouve une académie: chemin faisant, on passe devant plusieurs écoles publiques. Pour la 8e année, les élèves sont répartis dans d'autres écoles catholiques à travers la ville. Il leur faut ensuite changer encore une fois d'école, s'ils veulent poursuivre leurs études secondaires. Le transport des écoliers à ces différentes écoles est organisé suivant la ligne de conduite de la Direction des affaires indiennes en matière d'instruction religieuse, suivant les décisions administratives des écoles relativement à l'admission d'un nombre restreint d'Indiens, et d'après l'insistance de certains parents et de certains représentants ecclésiastiques, pour que les enfants fréquentent des écoles catholiques romaines plutôt que les écoles publiques. Rien de surprenant, alors, que les écoliers de cette réserve abandonne l'école en 6e, 7e et en 8e année, et que seuls de rares enfants poursuivent leurs études secondaires. Lorsque le facteurs religieux n'entre pas en ligne de compte, les écoliers peuvent, après la 6e, passer à une école intermédiaire publique de la localité, qui leur offre jusqu'à la 10e année. Ce serait une façon de contourner l'obstacle d'avoir à s'intégrer à un groupe de finissants qui fréquentent ensemble la même école depuis sept ans. Ce serait aussi une façon de supprimer la nécessité de fréquenter trois écoles en trois ans, régime que peu de parents non-indiens accepteraient et qui ne peut qu'être néfaste du point de vue de l'éducation.

Le cas rapporté plus haut montre combien il est difficile d'assurer l'instruction suivant la foi des parents; toutefois, la situation n'est pas unique, car elle se présente dans d'autres domaines où la question religieuse ne se pose pas. Dans plusieurs régions, les enfants des externats de la réserve doivent passer à une autre école après la 4e, 6e ou la 8e année. Le plus souvent, ce transfert soulève des difficultés pour ce qui est d'intégrer des enfants plus âgés mais moins avancés dans un système qui ne facilite peut-être pas leur adaptation personnelle et scolaire. De nombreux enfants qui ont eu à subir ces transitions, se sont plaints des difficultés éprouvées dans un milieu gênant, soulignant certains problèmes particuliers au sujet des repas froids, des vêtements et des points en classe. A l'école de la réserve, le lunch et le vêtement ne posent pas de problème, car les enfants sont tous vêtus de la même façon et vont prendre leur dîner à la maison. Dans une école intégrée, plusieurs enfants indiens sont vexés parce que leur tenue vestimentaire est inférieure à celle de leurs compagnons. Les enfants qui obtenaient de bonnes notes à l'école de la réserve, s'aperçoivent qu'ils ne réussissent pas dans les écoles publiques. Le découragement et le négativisme s'emparent d'eux, et les élèves qui avaient été intégrés dans les dernières années du cours élémentaire disent qu'ils auraient préféré rester à l'école de la réserve. Il existe une autre possibilité: l'intégration plus hâtive.

Des parents indiens et certains membres du personnel scolaire voient l'éducation des enfants indiens d'un oeil peu réaliste. Parce que leurs enfants ont fait de quatre à six années d'études de plus qu'eux-mêmes, les parents croient qu'ils sont "instruits" et devraient mieux réussir, obtenir de l'emploi et mener une vie plus utile. De même, les fonctionnaires des écoles et du gouvernement soulignent avec satisfaction qu'il y a un plus grand nombre d'indiens aux études. Bien sûr, parents et fonctionnaires ont raison de croire que leurs efforts méritent considération. Toutefois, les résultats ne sont pas proportionnels au nombre accru des inscriptions et au niveau des réalisations. Les parents en particulier comprennent difficilement que le "pouvoir d'achat" d'une 8e année d'études est pratiquement nul et que, dans la plupart des régions, même des études secondaires ne sont pas suffisantes pour assurer un emploi, fut-ce dans un métier spécialisé. Il importe de se demander ce qui se produit au cours des années de formation. l'enfant qui reprend une année pour la troisième fois, n'accomplit à peu près rien qui ait une valeur positive ou éducative. c'est une simple question de temps. A moins que des mesures correctives ne soient prises en pareils cas et à moins de procéder à une évaluation constante du processus éducatif, les enfants peuvent passer dix années à l'école et ne pas être plus avancés qu'un élève de 4e année. Comme le font remarquer les préposés aux programmes de formation professionnelle et de rattrapage, les jeunes Indiens "se présentent ici avec un diplôme officiel de 8e année, mais la plupart d'entre eux ne sont guère plus avancés en lecture et en mathématique que des élèves de 4e ou de 5e année". Ces instituteurs se voient obligés de leur faire rattraper jusqu'à la 10e année en l'espace de six mois.




3. L'âge et le niveau scolaire

On retrouve les mêmes tendances pour n'importe quelle période de douze années de scolarisation. La majorité des enfants indiens commencent l'école à sept ans, plutôt qu'à six ans. Environ 80 p. 100 des élèves doivent reprendre leur ire année; certains y passent même trois ans. A compter de la 6e année, les enfants qui ont repris chacune des années l'emportent numériquement sur ceux qui ont monté de classe chaque année. Seulement 12 p. 100 des écoliers indiens sont dans la classe qui correspond à leur âge. (Aux fins du calcul, on suppose que l'enfant de six ans est en ire année, l'enfant de sept ans en 2e année, et ainsi de suite.) Le jeune Indien retarde, en moyenne, de 2.5 ans par rapport à l'écolier non-indien, à la fin de la 8e année. Seuls des travaux de recherches en certains domaines spécifiques pourraient expliquer ce phénomène de façon définitive. L'étude générale et les conclusions de travaux d'études indépendants fournissent cependant certains aperçus. Nous avons déjà expliqué les raisons de l'échec en ire année. On peut apporter deux explications au fait que l'enfant a généralement du succès en 2e et en 3e année. Plusieurs écoles ont des programmes d'avancement qui leur interdisent de retenir un enfant plus d'un an sur trois. l'enfant qui échoue en ire ne peut être retenu ni en 2e ni en 3e. A la fin de la 3e année, on peut soit le placer dans une classe pour élèves faibles jusqu'à ce qu'il soit jugé apte à reprendre le programme régulier, soit l'admettre en 4e année, où il échouera très probablement en raison du déficit scolaire accumulé au cours des deux années précédentes.

L'échec survenu en 4e année pourrait aussi s'expliquer par le fait qu'en 2e et 3e années, les travaux sont généralement répétitifs et que l'enfant a le temps d'assimiler la matière, surtout s'il a doublé sa ire année et s'il a réussi à assimiler le processus des besognes quotidiennes. En 4e année, le programme comporte plusieurs idées nouvelles, ainsi que quelques matières nouvelles. La lecture et la langue deviennent une question d'habileté, plutôt qu'un sujet d'étude. En 4e année, l'enfant qui ne sait encore lire convenablement, éprouve beaucoup de difficultés, car pour réussir dans toutes ses autres matières, il doit savoir lire couramment. La 5e année ne diffère pas tellement de la 4e, de sorte que ceux qui ont doublé leur 4e y réussissent relativement bien. A compter de la 6e année, non seulement la matière se complique, mais la situation sociale commence à entrer en ligne de compte. Le fait de changer d'école vers cette période constitue aussi pour l'enfant, un facteur de retard.

Si l'instruction préscolaire était à la disposition des jeunes Indiens, si les classes primaires avancées étaient la règle plutôt que l'exception, l'enfant indien serait en mesure de rattraper le retard qu'il avait à son entrée à l'école et d'éviter un déficit accumulé. Si les écoles pouvaient offrir des cours correctifs à tous les enfants, à compter de la 1 re année, les enfants indiens pourraient en bénéficier grandement et il serait possible de réduire l'écart entre l'âge de l'enfant et la classe dans laquelle il devrait être.

Pour les enfants indiens, l'un des principaux problèmes provient du transfert d'une école indienne à une école publique. d'après les écoliers eux-mêmes, le transfert d'un pensionnat ou d'un externat de la réserve à une école publique constitue un problème, tant du point de vue émotif que scolaire. Aucune étude méthodique n'a été faite sur ce sujet; toutefois, selon plusieurs informateurs, les enfants réussissent dans une école indienne, puis échouent une fois mutés à l'école publique. Bon nombre d'entre eux ont déclaré qu'ils auraient terminé leurs études de façon satisfaisante dans une école indienne; ils donnaient comme raison de leur départ de l'école publique: "je ne pouvais rien faire de bon et j*échouais sur toute la ligne". Bien sûr, l'adaptation personnelle se fait plus difficilement à l'âge des études secondaires qu'en ire année: l'impact d'un changement complet d'orientation et de méthodes de travail, du système de la réserve à celui de l'école intégrée, demande beaucoup de souplesse et de courage personnels. Selon les enfants qui doivent changer d'école et selon les membres du personnel scolaire qui les reçoivent, le bagage d'instruction des élèves venus des écoles séparées n'est pas comparable à celui des élèves des écoles intégrées ni à celui des autres écoliers indiens. Si la différence de rang entre le régime indien et le régime public était de l'ordre de D à F, le problème serait compréhensible. Cependant, nombre d'informateurs ont signalé des différences de rang dont l'ampleur variait de A et B, dans le régime indien, jusqu'à l'échec total après le transfert. Ces expériences troublent et choquent les écoliers, dont plusieurs se demandent quel genre d'instruction les élèves reçoivent dans les écoles de la réserve. Le problème est encore compréhensible quand le transfert se produit d'une petite école de village à une école secondaire imposante. Mais lorsque l'écolier de la réserve venant d'une école élémentaire relativement considérable arrive dans une école publique locale, il n~ devrait y avoir aucun décalage sensible du niveau d'instruction. Si l'enfant se sentait capable de rivaliser avec ses camarades sur le plan scolaire, les adaptations requises en raison du transfert seraient moins accablantes. Quand l'enfant se sent dépassé sous tous les rapports, il n'est pas étonnant qu'il décide de tout lâcher.

Parents, instituteurs, résultats négatifs constants, autant de raison de viser à l'intégration en bas âge, ou tout au moins, s'il faut retarder l'intégration, à une rendement scolaire suffisant.

4. Assiduité

Dans les écoles publiques, l'assiduité des enfants indiens est faible et intermittente. Le problème de la fréquentation scolaire a été défini par tous les adultes qui nous ont transmis des informations. Les éducateurs blâment les parents, la Direction des affaires indiennes et la GRC pour leur manque de fermeté à faire respecter les règlements relatifs à la fréquentation obligatoire. Les parents rejettent la responsabilité sur la DAI. Quant aux fonctionnaires de la Direction, ils estiment que, la responsabilité retombe, en dernier ressort, sur les parents. Aucun organisme officiel (école, Direction des affaires indiennes, GRC, conseils de bande) n'a voulu se tenir responsable de la fréquentation scolaire ni se charger d'évaluer un problème considéré comme très complexe et apparemment insoluble.

De six à seize ans, les enfants sont tenus de fréquenter l'école. Certains régimes scolaires ont des agents de probation dont la fonction est de faire respecter la loi. Les principaux sont autorisés à aviser la Direction des allocations familiales de discontinuer le paiement des allocations si l'enfant ne fréquente pas l'école ou ne le fait pas assidûment.

Les parents sont passibles de poursuites s'ils n'envoient pas leurs enfants à l'école. Les enfants qui ne fréquentent pas l'école, peuvent être placés dans des foyers adoptifs. Toutes ces mesures n'ont pas permis de régler efficacement le problème de l'abstention généralisée des enfants indiens, même si elles ont suffi pour résoudre certains cas particuliers. La suppression des allocations familiales ne fait qu'aggraver les difficultés familiales et n'entraîne pas nécessairement une fréquentation plus assidue. Quand les enfants s'absentent de l'école parce qu'ils manquent de vêtements et de nourriture, le fait de retirer des fonds à la famille augmente et complique le problème. Pour ce qui est des poursuites judiciaires contres les parents qui négligent d'envoyer leurs enfants à l'école, il faut tout de même que quelqu'un dépose une plainte. Les membres du personnel de l'école hésitent à poser le geste par crainte de s'aliéner encore davantage les parents et d'aggraver encore la situation. Quant à la GRC, elle n'agit que sur demande de l'école ou de la Direction des affaires indiennes. Pour une foule de raisons, la Direction hésite à invoquer la loi. La séparation des enfants et des parents est une mesure rigoureuse de dernier recours. Les travailleurs sociaux ne sont pas assez nombreux pour s'occuper de chaque cas en particulier et il n'y a pas assez de foyer adoptifs pour tous ces enfants.

Dans quelques cas, les surintendants essaient d'amener les conseils de bandes à prendre des mesures judiciaires ou à adopter des mesures correctives. Le principe qui consiste à mettre en cause les personnes les plus intéressées est valable, mais même les éducateurs et les administrateurs les plus expérimentés ont été incapables de résoudre ce problème. Quel conseil de bande serait prêt à s'attirer les sentiments d'hostilité et de désaffection en prenant des mesures draconiennes que d'autres ne peuvent pas prendre?

Toutefois, si les organismes officiels hésitent à recourir à la loi, ce n'est pas seulement parce qu'ils refusent d'assumer leurs responsabilités. On a nettement le sentiment que la réponse peut être fournie par des mesures correctives, et non par des sanctions. La non- fréquentation peut être attribuée à des raisons diverses, mais où l'on retrouve presque toujours le désenchantement de l'élève à l'école, ainsi que les problèmes économiques de la réserve. Il est significatif que les taux d'absence des élèves indiens augmentent avec les années de scolarisation. Au cours d'une année scolaire de 180 jours, les absences varient de 10 à 100 jours. l'enfant indien manque, en moyenne, 40 jours de classe par année. Pour l'enfant de race blanche, la moyenne est de 5 à 10 jours. (Les taux d'absence sont plus élevés durant les premières années d'école, en raison des maladies infectieuses qui forcent l'enfant à s'absenter au moins 10 jours; à compter de la 3e année, les taux d'absence décroissent régulièrement chez l'enfant non-indien.)

Motifs des absences

II faut établir une distinction entre les absences qui sont indépendantes de la volonté de l'enfant et celles qui sont délibérées. Dans le premier groupe, il faut tenir compte des valeurs qui se rattachent aux responsabilités familiales. Les autres absences tiennent à des facteurs engendrés par la fréquentation de l'école. Dans le premier cas, la recherche de solutions doit se fonder sur une compréhension de la culture de chaque communauté indienne; dans le deuxième cas, il faut procéder à une appréciation, voire à une modification des pratiques scolaires.

Plusieurs groupes indiens ont conservé un certain système d'obligations et de réciprocité familiales, qui touche à la vie de tous les membres du groupe. Si les parents doivent s'absenter de la maison pour une ou plusieurs journées, ils trouvent normal de demander à l'un des aînés de prendre soin des plus jeunes. On attache plus d'importance aux besoins des parents et moins de considération au besoin d'instruction de l'enfant. La plupart des parents s'entendent sur l'importance de la fréquentation scolaire, mais ils estiment aussi que les aînés ont des devoirs primordiaux envers la famille. Pour exprimer ces valeurs, on s'est servi de phrases de ce genre: "Dommage que X ait été absente si souvent, car cela la retarde; mais il fallait bien qu'elle garde les jeunes". Aucun parent indien n'a mis en doute la primauté du travail exigé de l'enfant. De toute évidence, rien d'autre n'était important, dès l'instant qu'on avait besoin de l'enfant à la maison.

Les absences étaient plus fréquentes chez les filles, du fait que ces dernières devaient s'occuper des jeunes à la maison, les garder en l'absence des parents, aider au blanchissage et prêter main-forte en cas de maladie. Dans plusieurs familles, les filles plus âgées se remplaçaient à tour de rôle, de sorte qu'elles manquaient toutes un certain nombre de jours de classe par mois. Dans quelques cas, si les aînées n'aimaient pas l'école, elles remplaçaient volontiers les plus jeunes à la maison et ne fréquentaient pratiquement plus l'école. Quant aux garçons, ils restaient à la maison pour quérir l'eau du lavage, fendre le bois et, en l'absence de soeur aînée pour prendre soin des jeunes frérots. Ils restaient aussi à la maison s'il fallait réparer les bateaux ou les voitures, aider à la pêche, à la chasse ou au piégeage.

Certaines des absences rapportées plus haut peuvent être attribuées aux formalités administratives en matière de bien-être. Par exemple, dans une communauté, les Indiens qui ont besoin d'assistance supplémentaire ou de vêtements pour les enfants, doivent se rendre au bureau de l'agence, à une quarantaine de milles de distance, pour y demander des fonds. On leur remet un bon d'achat, qu'ils peuvent échanger dans un magasin de leur propre communauté. Il arrive souvent que les parents laissent le soin des plus jeunes à un aîné, pendant qu'ils se rendent au bureau de l'agence. Il peut arriver, en pareils cas, que les plus jeunes ne veulent pas aller à l'école et que l'aîné leur permette de rester à la maison, afin de ne pas rester seul. Comme on laisse parfois peu de vivres aux enfants, ceux-ci préfèrent ne pas s'éloigner de la maison, dans l'espoir de voir leurs parents revenir avec des provisions et d'autres choses.

Les absences peuvent aussi être attribuables aux déplacements de la famille, en raison d'un travail saisonnier. Dans les régions où les Indiens peuvent travailler aux récoltes, on garde couramment les enfants comme aides à la cueillette, puisqu'il s'agit ordinairement d'un paiement global et que même les plus jeunes peuvent aider. De la même façon, on retire tôt garçons et fillettes pour s'en servir comme aides à bord des bateaux de pêche, où ils travailleront jusque tard dans la saison. Dans les régions où se pratique le piégeage, on peut aussi demander aux aînés d'aider à la capture des bêtes et à l'apprêtage des peaux. Nous avons déjà cité d'autres causes d'absence attribuable à la famille, c'est-à-dire un mode de vie où les gens se couchent et se lèvent tard. Nombre d'enfants ne vont pas à l'école pour la simple raison que personne ne s'occupe de les éveiller et de les conduire à l'autobus.

En vertu des budgets et des programmes existants, il serait facile d'éliminer les absences attribuables à la pénurie de vêtements et à l'insuffisance du lunch. Dans les écoles où le lunch peut être servi, la Direction des affaires indiennes finance le dîner des enfants. Pourquoi ne pas accorder une indemnité de repas aux élèves des écoles où ces programmes ne sont pas en vigueur? A l'heure actuelle, on pénalise les enfants dans les régions où le lunch n'est pas payé. De même, il existe une ligne de conduite d'après laquelle aucun enfant ne doit manquer la classe pour des raisons vestimentaires. d'après la manière dont certains milieux interprètent cette ligne de conduite, la question vestimentaire dépend de l'attitude et de l'intérêt de l'administrateur local, ainsi que des rouages prévus pour la présentation des demandes. Certains obstacles, comme la nécessité de parcourir 80 milles pour aller chercher un bon de chaussures, ne peuvent qu'atteindre le moral et gêner la fréquentation scolaire.

Motifs des absences attribuables à l'école

Plusieurs enfants ont des raisons personnelles pour ne pas désirer fréquenter l'école régulièrement. d'aucuns nous ont confié qu'ils restaient à la maison parce qu'ils craignaient l'instituteur, parce qu'ils ne voulaient pas être tournés en ridicule, qu'ils échouaient tout le temps et parce qu'ils n'aimaient tout simplement pas l'école. Chez les plus jeunes, la crainte de l'institeur était plus répandue que chez les plus âgés. Ils expliquaient cette crainte par la peur d'être punis, de se faire remarquer des autres ou d'être l'objet de risées. d'autres enfants craignaient d'être tournés en ridicule par l'instituteur ou par les compagnons et redoutaient les échecs. Les parents cherchaient à encourager les enfants à rester à la maison, particulièrement s'il y avait eu punition ou risée dont ni les parents ni l'enfant ne comprenaient le pourquoi. Les parents disaient: "c'est dur pour un enfant d'aller à l'école; les autres sont si mesquins" Parfois, cette crainte de l'école avait un caractère plus général que spécifique. Tel semblait le cas dans les régions où les jeunes Indiens étaient ouvertement l'objet de discrimination, de vexations et de risées.

Si l'on s'inquiète des absences, c'est qu'on estime que l'enfant doit normalement être à l'école. On peut se demander ici ce qui arrive à l'enfant, à l'école. Si l'enfant y éprouve des difficultés indues, comme c'est le cas pour les jeunes Indiens, l'école n'est pas ce qu'elle devrait être. Un enfant qui a peur, qui a faim ou qui se sent ridiculisé, n'a pas la liberté d'apprendre: il est trop préoccupé par sa propre défense. Involontairement, mais non moins certainement, l'école contribue à la crainte et au malaise qu'éprouvent les enfants indiens. Rares sont les écoliers qui disent avoir obtenu l'aide de l'instituteur pour s'intégrer à la classe. Quand les élèves indiens sont tournés en ridicule par leurs compagnons, rares sont les instituteurs qui pensent à inciter les élèves à apprécier leur comportement. Les enfants non-indiens accentuent chez les jeunes Indiens le dégoût de l'école, en les couvrant de ridicule et en les tenant dans l'isolement social. l'enfant indien compare son comportement et sa tenue vestimentaire à ceux de ses compagnons; il se sent embarrassé et mal à l'aise. c'est tellement plus simple de rester à la maison que de fréquenter l'école! La dépréciation de l'enfant indien, ses échecs persistants ne l'aident pas. Les instituteurs qui tiennent rigueur à l'enfant de choses dont ce dernier n'est pas responsable ("Tu reviendras à l'école quand ta mère aura lavé tes habits". "c'est la cinquième fois que tu es en retard; pourquoi ta mère ne t*éveille-t-elle pas? "), ne diminuent pas l'abstention, loin de là. La communauté scolaire exige beaucoup de ses membres, sous les aspects pécuniaire et social. Les enfants indiens hésitent à se joindre aux organisations scolaires ou à fraterniser avec leurs compagnons non-indiens, faute de vêtements appropriés et d'argent de poche. Il est rare que les écoliers indiens aient de l'argent de poche et puissent assister aux différentes manifestations de l'école ou fraterniser avec des amis non indiens. De façon générale, l'enfant indien est isolé davantage du fait qu'il retarde dans ses classes et qu'il est plus âgé que ses compagnons.

Chaque classe pourrait fournir l'occasion de quelques succès, d'une révision des attitudes des jeunes Blancs, d'une cessation des moqueries et d'une atténuation de toutes ces petites choses qui contribuent à faire perdre confiance au jeune Indien. Si l'école se faisait plus accueillante, si l'enfant indien pouvait s'intégrer plus à fond à la communauté scolaire, plusieurs des craintes qui le retiennent à l'écart de l'école disparaîtraient. Si l'horaire des autobus était modifié de façon à permettre la participation à des activités post-scolaires ou à permettre l'étude à l'école, l'enfant indien découvrirait éventuellement qu'il lui est possible de réussir, aussi bien sur le plan social que scolaire. l'utilisation des douches de l'école pourrait éliminer certaines plaintes relatives à l'hygiène personnelle. Les salles d'économie ménagère pourraient être mises à la disposition des écoliers indiens (et autres) qui désirent laver et repasser leurs vêtements plus facilement qu'à la maison. Les instituteurs pourraient visiter les réserves, se rendre compte des conditions qui y prévalent et faire connaissance avec les parents. Ces pratiques auraient au moins l'avantage de faire cesser les remarques inutiles comme la suivante: "Ne te représente pas en classe tant que ta mère n'aura pas lavé tes vêtements".

5. Attitudes des Indiens envers l'instruction

De façon générale, les Indiens adultes admettent la valeur de l'instruction. Quand nous leur avons demandé pourquoi, les réponses les plus fréquentes ont été: "l'instruction aide à mieux vivre". "l'instruction aide à mieux côtoyer les Blancs". "l'instruction aide à trouver du travail". Ils étaient toutefois incapables de fournir, à l'appui de ces raisons, des exemples tirés de leur propre expérience.

Par contre, nos informateurs adultes pouvaient rapporter des exemples à l'effet que l'instruction n'avait rien apporté de ces choses, qu'elle avait même été une expérience humiliante et inutile, qui n'avait pas amélioré les rapports avec les Blancs, pas plus qu'elle n'avait apporté d'emplois. Les objectifs qu'ils voyaient d'abord à l'instruction n'étaient manifestement pas atteints et, de ce fait, l'abandon et l'abstention de leurs enfants paraissaient raisonnables.

Comme corollaire à cet état de choses, les Indiens apportent peu d'appui à l'enfant aux études. Tous prétendaient que les services de l'enfant au foyer étaient plus importants que l'étude. Ils insistaient sur leur inaptitude à régler le mode de vie familial en fonction du travail scolaire et du besoin de sommeil. Les Indiens adultes avouaient aussi qu'ils n'avaient ni les connaissances ni les aptitudes voulues pour aider leurs enfants dans leur travail scolaire. Il existe, d'autre part, des manières subtiles d'encourager certains modes de comportement, l'enfant indien devant y ajouter par lui-même des valeurs intermédiaires. Bien sûr, les parents appuient verbalement l'instruction, mais ils racontent aussi, en présence des enfants, des faits négatifs qui les touchent personnellement. De plus, il y a une marge entre ce qui se dit et ce qui se fait. Les parents indiens disent que leurs enfants devraient aller à l'école, mais ils leur permettent de rester à la maison sous de faux prétextes; ils leur demandent même de s'absenter de l'école s'ils ont besoin d'eux. Ce manque d'appui réel, ajouté à l'absence de modèles instruits dans la communauté et à la nature persuasive de l'expérience personnelle de l'enfant, qui est négative, détruit à la base tout attrait positif de l'instruction. Dans la plupart des communautés indiennes, la valeur de l'instruction est une chose qui reste à démontrer. l'analyse des réponses révèle trois tendances. Tout au plus considère-t-on l'instruction avec indifférence. Nos informateurs étaient d'avis que "l'instruction, c'est pas mal", mais ils n'étaient nullement déçus si l'instruction n'a pas répondu à leurs espoirs. Les parents de cette catégorie reconduisaient volontiers leurs enfants à l'école et leur fournissaient la nourriture et les vêtements appropriés. Cependant, si les enfants n'aimaient pas l'école ou manifestaient le désir d'abandonner les études, les parents, nullement contrariés, ne s'y opposaient pas. Par contre, il y a la catégorie de parents qui s'opposaient ouvertement à ce que leurs enfants soient instruits dans les écoles publiques et. dénonçaient avec véhémence les expériences vécues par leurs enfants. Pour ces parents, la valeur de l'instruction était tout à fait discutable. Ces attitudes ne représentent qu'une petite partie de l'échantillonnage, mais on les retrouve dans toutes les régions. Viennent enfin, catégorie la plus considérable, les parents qui admettent verbalement la nécessité de l'instruction, mais se contredisent dans les actes.

Les raisons de cette dépréciation et de cette neutralité nous paraissent évidentes. Rares sont les parents qui s'intéressent au système d'éducation en vigueur. Ils n'ont à peu près pas de rapports avec l'école. La majorité des parents indiens n'ont jamais mis les pieds à l'école, encore moins rencontré le personnel enseignant. Pour se faire une idée de l'instruction, ils ne peuvent se rapporter qu'à leurs souvenirs personnels et aux quelques rapports que leur font les enfants. l'instruction, c'est la grande inconnue, de sorte que les parents sont bien embarrassés quand on leur demande ce qu'ils en pensent. Comment peuvent-ils évaluer une inconnue, mesurer le vide entre leurs propres expériences et l'instruction publique en vigueur. Leur opposition est une affaire de sentiments, une façon de reconnaître que leur instruction ne leur a pas servi. c'est aussi une façon de percevoir le malaise ressenti par leurs enfants, ainsi que le besoin de maintenir une quantité connue: leur propre façon de vivre. Étant donné que le processus de l'instruction empiète peu sur leur vie de tous les jours, ils ont tendance à rester indifférents, à diriger leurs énergies et leurs engagements vers des choses qui ont de l'importance à leurs yeux. De façon générale, les parents étaient d'avis que l'instruction publique était préférable à l'instruction dans des écoles séparées. Cette conclusion découlait de leurs propres sentiments négatifs à propos de l'instruction qu'ils avaient reçue dans leurs pensionnats et leurs écoles de réserve. Elle découlait aussi de l'idée que l'école séparée ne les avait pas aidés à atteindre leurs buts "d'emplois et de vie meilleure", alors que les Blancs semblent y parvenir. Selon eux, cette différence pourrait disparaître si leurs enfants avaient le même genre d'instruction que ceux des Blancs. l'idée que l'instruction publique aidait les Indiens "à mieux connaître les Blancs" était assez répandue. Les parents estimaient que ce genre d'instruction permettrait à leurs enfants de traiter avec les non-indiens sur un pied d'égalité. Certains parents étaient plus favorables aux écoles séparées qu'aux écoles publiques. Cette opinion a été entendue très fréquemment dans les réserves où la désorganisation sociale était avancée, où l'alcoolisme était répandu et où les revenus étaient très faibles. Dans de telles conditions, les parents voyaient plutôt leurs enfants dans des pensionnats, où ils seraient plus en sécurité. Les parents estimaient aussi que les élèves des pensionnats fréquentaient l'école plus longtemps que dans les écoles locales. d'autres parents souhaitaient qu'on maintienne et qu'on rouvre les écoles de la réserve, lorsque les écoles publiques posaient des difficultés aux enfants.

Dans l'ensemble, les Indiens adultes favorisaient l'instruction publique, plutôt que l'instruction dans les écoles de la réserve ou dans les pensionnats. Pour eux, le régime idéal d'instruction devrait comprendre un jardin d'enfants et une école primaire établis dans la réserve, alors que le reste de l'enseignement serait assuré par les écoles publiques. Par contre, les parents admettaient qu'un enfant plus âgé passe plus difficilement dans une école publique, alors qu'un débutant s'y adapte plus facilement. On craignait notamment d'envoyer de jeunes enfants aux écoles publiques, parce que l'enfant doit souvent parcourir de grandes distances, de la réserve au village, qu'il ne peut pas venir dîner à la maison et que les parents ne peuvent pas assurer son bien-être. On comprend l'inquiétude de la mère pour son jeune enfant, si l'on se rappelle qu'elle ignore ce qui attend ce dernier; elle ne sait comment il sera traité ni comment il se comportera parmi les non-Indiens. d'autres enfants ont eu des expériences négatives qui sont de nature à accentuer cette inquiétude. En résumé, bon nombre de parents ont une attitude d'indifférence. Ils souhaiteraient recevoir quelque encouragement ainsi qu'une certaine preuve de la valeur de l'instruction.

Comme les systèmes scolaires n'ont pas réussi à resocialiser les enfants de façon qu'ils puissent se comporter convenablement à l'extérieur de la réserve, alors qu'ils les ont assez socialisés pour qu'ils aspirent à des objectifs qu'ils ne peuvent atteindre, les parents se trouvent dans la difficile situation de traiter avec une jeunesse malheureuse et inquiète. Aussi longtemps que les écoles n'auront pas résolu le dilemme que leur posent les groupes minoritaires, aussi longtemps que les parents indiens n'auront pas une expérience plus directe du régime scolaire actuel et qu'ils ne pourront repenser leurs idées sur l'instruction, les attitudes et les motivations à cet égard demeureront vraisemblablement neutres ou négatives.

6. Attitudes des étudiants indiens par rapport à l'instruction

Les enfants indiens se sont montrés indifférents à l'instruction en général ou à certains genres particuliers d'instruction. l'indifférence était généralisée chez les enfants plus âgés, mais on y a trouvé aussi plusieurs attitudes positives. Plus que leurs parents, les écoliers étaient en mesure d'apprécier différemment leurs expériences scolaires et ils avaient des idées bien définies sur divers sujets se rapportant à l'instruction.

Les enfants qui avaient fréquenté les écoles de réserve ou les pensionnats avant d'être transférés dans une école publique, disaient préférer les écoles publiques, à cause de la diversité des expériences rencontrées. Ceux qui faisaient exception à cette préférence, se rencontraient le plus souvent dans les régions où la vie de la réserve était désagréable et difficile, de sorte que les enfants préféraient vivre au pensionnat. Cette dernière préférence se retrouvait aussi dans les régions où il y avait forte discrimination dans les écoles publiques et parmi les Blancs. De façon générale, les écoliers indiens disaient ne pas aimer le pensionnat parce que le règlement y était trop restrictif. Les élèves des écoles secondaires locales mis en pension dans des foyers étaient unanimes à dire qu'ils s'y plaisaient. Quant aux plus jeunes qui n'avaient fréquenté que l'école publique, ils auraient préféré cette dernière à l'école de la réserve, s'ils avaient eu à choisir. Pour les plus âgés, qui avaient été intégrés à la fin du primaire, les difficultés d'adaptation avaient été telles qu'ils auraient préféré continuer leurs études dans les écoles de leur réserve. Les enfants venus des pensionnats affirmaient qu'ils préféraient vivre à la maison et fréquenter l'école publique, mais que le transfert avait été difficile. Dans bien des cas, ils avaient quitté l'école l'année même du transfert. Comme leurs parents, les écoliers admettent que l'instruction est le moyen d'obtenir un emploi. En fait, ils n'en quittent pas moins l'école avant d'avoir terminé leur cours secondaire, et nombre d'entre eux, admettaient volontiers qu'ils s'attendaient et projetaient même d'abandonner l'école tôt, au lieu de terminer leurs études.

A en juger par l'incertitude de leur position sur la valeur de l'instruction et sur les problèmes que peut représenter l'abandon hâtif des études, on peut conclure qu'ils ne sont pas foncièrement et personnellement intéressés au processus de l'instruction. Il ne semble pas exister entre l'école et les enfants indiens plus de compréhension qu'entre l'école et les parents indiens. l'écolier ne voit guère ce que l'école peut lui apporter; il se rend compte de ses échecs scolaires et de son isolement social. Il ne peut établir de rapport entre son travail scolaire et son activité future, parce qu'il n'a pas l'expérience des exigences de la vie urbaine. Il porte ses jugements en fonction de son entourage immédiat, pour lequel l'instruction semble n'avoir aucune importance. Il ne peut établir de rapport entre l'instruction qu'il reçoit, sa propre vie et celle de ses parents et amis. Il ne trouve pas de modèle dont il pourrait s'inspirer pour donner un sens plus réel aux avantages de l'instruction.

De façon générale, les jeunes Indiens voient l'école comme un lieu où ils passent un certain nombre d'heures par jour à apprendre peu de choses pertinentes, et où ils rencontrent des difficultés scolaires et sociales. Le degré de désenchantement varie d'une localité à une autre, et ce degré de variation est directement proportionnel au degré de discrimination envers les Indiens. La fréquentation scolaire était surtout compensée par la compagnie de bons amis et la participation à certains sports à leur goût. Les enfants indiens considèrent que le système scolaire est immuable, de sorte que s'ils ne peuvent satisfaire aux exigences de l'école, ils s'estiment automatiquement incapables de réussir quoi que ce soit parmi les non-Indiens.

7. Les problèmes des écoliers indiens, tels que les conçoivent parents et étudiants

l'idée que se font les parents des problèmes de la jeunesse à l'école est très compatible avec l'idée que s'en font les jeunes eux-mêmes. Pour les deux groupes, les problèmes principaux sont le manque de vêtements et l'insuffisance des lunches. Le problème de la discrimination a été soulevé en plusieurs cas et les écoliers ont dit se sentir "stupides tout le temps" et se sentir "à part", ce qui représentait d'autres sources importantes de malaise. On a aussi mentionné d'autres sujets d'embêtement, comme la discipline injuste, les échecs et les problèmes se rapportant aux absences.

Il n'est pas nécessaire d'insister davantage sur l'insuffisance des lunches et le manque de vêtements. Nous avons abordé de diverses façons la question de la discrimination. Enfants et parents étaient parfois d'avis que la discrimination dont ils étaient l'objet était attribuable au seul fait de leur identité indienne. Dans la plupart des cas, il était fait mention de discrimination relativement à une école, un instituteur ou un administrateur en particulier. Parfois, on disait que "l'instituteur attisait la discrimination", mais si l'on poussait l'enquête un peu plus avant, on se rendait compte qu'il s'agissait d'une incompréhension du comportement, plutôt que de pratiques discriminatoires. On dira par exemple: "tels instituteurs sont toujours sur son dos parce qu'il est en retard". Les parents ne comprenaient pas que l'école exige de tous les enfants un certain comportement, et que ces exigences ne sont pas nécessairement discriminatoires. Les parents rapportaient parfois le fait que, dans certaines classes, les échecs étaient plus nombreux chez les Indiens que chez les non Indiens, ce qu'ils considéraient comme une pratique discriminatoire contre les Indiens. La plupart du temps, les enfants eux- mêmes admettaient qu'ils n'étaient pas l'objet de discrimination, et la majorité d'entre eux estimaient que, sauf rares exceptions "ne se faisaient réprimander que ceux (d'autres Indiens) qui le voulaient".

De toute évidence, ces malentendus proviennent d'orientations culturelles différentes. Les parents indiens s'attendent que l'école va accepter leurs enfants tels qu'ils sont et qu'elle n'en exigera pas plus qu'eux-mêmes en exigent. Ceci pose un problème, en particulier pour ce qui est des questions de discipline. Les parents n'arrivent pas à comprendre pourquoi leurs enfants "ont toujours des ennuis" à l'école. De fait, selon la version des autorités scolaires, les enfants indiens sont rarement considérés comme des indisciplinés. Toutefois, on leur reproche leurs retards, leur manque de propreté et une foule d'autres choses: ce sont ces réprimandes que les parents et certains enfants considèrent comme des ennuis.

On retrouve la même susceptibilité dans la définition de l'échec, qui est considéré comme l'aboutissement des rapports personnels entre l'élève et l'enseignant sans tenir compte du travail de l'enfant et sans comprendre les exigences auxquelles tous les élèves sont soumis. En pareils cas, les parents disaient que leurs enfants "étaient lésés" par l'instituteur, ce qui signifiait, en termes concrets, qu'il avait raté son année. Certains élèves ont affirmé qu'ils n'étaient pas retournés à l'école "parce que je me suis senti trop frustré par un nouvel échec, l'an dernier". Avant de recommander des solutions, il y aurait lieu de mieux comprendre et de bien définir ce genre de susceptibilité excessive.

Ces malentendus disparaîtraient si parents et élèves pouvaient se faire une idée plus large et plus précise des exigences auxquelles l'école doit soumettre tous les élèves. Cette compréhension ferait-elle disparaître les sentiments de brimades et d'affronts personnels, permettrait-elle de redéfinir les sensibilités, on ne saurait le dire. l'absence de communication significative entre le foyer et l'école contribue sûrement à la fausse interprétation des faits et gestes et accentue les sentiments de frustration personnelle, ce qui rend la situation plus compliquée qu'il ne faudrait. Même si le fait n'atténue nullement le problème que pose cette situation, il est réconfortant de constater qu'effectivement il y a peu de discrimination à l'école et que les élèves eux-mêmes le reconnaissent.

8. Attitudes des enfants et des parents indiens à l'égard de l'abandon précoce des études

Tous les parents indiens ont reconnu qu'ils ne faisaient pas bien de retirer tôt leurs enfants de l'école, mais ils se disaient disposés à faire le nécessaire pour essayer de maintenir leurs enfants à l'école. On considérait comme définitive la décision de l'élève et les parents n'avaient pas songé à discuter de la chose avec les membres du personnel de l'école ni avec quelqu'un d'autre. Le plus souvent, l'abandon des études n'avait pas fait l'objet de discussion entre les enfants et les parents, ces derniers acceptant simplement la décision des premiers. Les enfants déclaraient n'avoir discuté avec aucun adulte, à la maison ou à l'école, de leur décision de quitter l'école. Parfois, on en avait discuté avec des amis. Dans certaines communautés, les Indiens adultes ont exprimé l'opinion que les enfants ne devraient pas laisser l'école, mais ils ont aussi indiqué que cette décision relevait seulement de l'enfant. Nulle part on ne punissait l'enfant qui avait quitté l'école trop tôt. Aucun de nos informateurs n'a exprimé un sentiment de honte ou de culpabilité pour avoir abandonné tôt ses études.

Les raisons apportées par les jeunes pour motiver leur abandon prématuré des études étaient toujours les mêmes: ennui, manque d'argent, désir de travailler, services requis à la maison. Dans quelques cas, on a invoqué la grossesse. Certains jeunes délinquants n'étaient pas retournés à l'école après une période d'emprisonnement. Plusieurs enfants ont déclaré avoir quitté l'école parce qu'ils "se sentaient ridicules parmi tous ces jeunes enfants". Des jeunes ayant quitté l'école ont dit qu'ils auraient aimé terminer leurs études parce qu'ils ne pouvaient trouver de travail et parce qu'ils n'étaient pas admissibles aux cours de formation professionnelle. d'autres ont dit ne rien regretter et affirmé qu'ils prendraient encore la même décision, dans des circonstances identiques. Certains ont exprimé le souhait de pouvoir retourner en classe et se sont dits d'avis que s'ils pouvaient le faire, ils finiraient par être en mesure d'obtenir un emploi. Pour plusieurs de ces jeunes ayant abandonné l'école, rien ne pouvait être fait pour corriger les conséquences de leur décision, mais ils encourageaient leurs jeunes frères et soeurs à terminer leurs études secondaires "de façon que les choses tournent mieux pour eux".

Certains de ces jeunes ont indiqué qu'ils seraient peut-être restés à l'école si quelqu'un avait étudié le problème avec eux et les avait encouragés à persévérer. l'importance de cet appui a reçu confirmation chez des enfants qui sont encore aux études, en dépit du fait qu'ils sont avancés en âge et que leurs amis ont quitté l'école. Pour ces enfants, la raison primordiale qui les a fait persévérer, c'est l'intérêt manifesté par un instituteur ou un adulte, qui les a encouragés à terminer leurs études.

En résumé, l'abandon prématuré des études n'a pas tellement d'importance aux yeux des Indiens, car, dans les différentes communautés, rares sont ceux qui ont terminé leurs études. Aucune sanction n'est prévue, dans ces communautés, contre ceux qui abandonnent l'école prématurément, parce qu'on n'y est pas profondément convaincu de la valeur d'un cours d'études complet. Tant qu'on ne verra pas, chez les individus comme dans les communautés, certains résultats concrets qui peuvent être rattachés à l'instruction, il est peu probable qu'on encourage fortement les jeunes à terminer leurs études.

9. Aspirations, image de soi et objectifs professionnels des jeunes Indiens

Aux fins de la discussion, on peut établir une distinction entre les variables de l'image de soi, des aspirations et du choix d'une profession. En fait, elles se rattachent en un faisceau qui détermine effectivement l'orientation de la vie d'un individu. Si les aspirations sont irréalisables et si les objectifs ne peuvent être remplacés, l'image de soi s'amoindrit et, du même coup, peut rabaisser le niveau des aspirations, pour ainsi réduire le champ des professions où il peut s'engager.

De façon générale, les jeunes Indiens réduisent de beaucoup leurs aspirations dès qu'ils deviennent conscients du fait que les occasions de les réaliser sont très limitées. A mesure qu'ils avancent en âge, ils se font d'eux-mêmes une image de plus en plus négative. n'ayant guère confiance en leurs propres attitudes, ils restreignent leurs ambitions professionnelles aux métiers que les jeunes Indiens (et les autres) identifient comme des métiers "typiquement indiens"...

On imagine mal qu'un jeune Indien admis dans une école publique ordinaire puisse se faire, à son sujet, autre chose qu'une image négative. Tout d'abord, il ne retrouve à l'école aucune des valeurs qui sont propres à sa culture. Ensuite, il a très souvent l'impression que lui- même ou les autres Indiens ne font rien de bien, en comparaison des enfants non-indiens. En troisième lieu, l'une des grandes ambitions des instituteurs, en ce qui a trait aux Indiens, tant dans les écoles séparées que dans le système intégré, c'est, comme ils le disent, "d'aider les Indiens à améliorer leur niveau de vie, leur sort en général ou de les aider eux-mêmes", ce qui revient à dire que les Indiens n'ont rien de bon ou ne font presque rien de bon présentement: il faut qu'ils soient différents, qu'ils fassent des choses différentes. Ajoutons à ces attitudes les problèmes de fréquentation scolaire dont nous avons déjà parlé. Une informatrice indienne, attrayante jeune fille de 19 ans, qui avait réussi à comprendre la véritable atmosphère de son école, a décidé de réussir malgré tout. Elle nous confiait: "Parce que je suis indienne, je dois terminer mes études. Parce qu'ils sont Indiens, ces derniers doivent s'efforcer davantage de surpasser les autres. Si un plus grand nombre d'Indiens réussissaient, nous arriverions peut-être à nous débarrasser de l'idée que les Indiens ne peuvent rien faire et nous n'aurions pas continuellement à faire nos preuves".

La plupart des êtres humains ont besoin de réussir, et cette réussite est habituellement orientée vers un but précis. Si l'individu ne voit pas la possibilité d'atteindre ce but, ou bien il porte ses ambitions vers un objectif plus accessible, ou bien il abandonne tout. d'après les études faites à l'occasion du présent projet, il ne faudrait pas attacher d'importance à l'opinion répandue, selon laquelle les Indiens ont moins de motivation que les non-Indiens. Il n'est pas vrai que les enfants indiens, comme groupe, manquent d'intérêt à bien faire dans les classes élémentaires. Toutefois, il a été établi que les enfants indiens faillissaient en raison de leurs expériences scolaires. Chaque échec contribue à diminuer davantage la motivation, l'image de soi et le niveau des aspirations.

Nous avons déjà dit que, le peuple indien des réserves de façon générale, n'avait pas confiance en ses propres capacités pour dominer son milieu et diriger sa vie. Cette particularité se retrouve chez l'écolier indien. Il en arrive à accepter ses échecs et à croire qu'il ne peut rien faire pour modifier sa situation; ainsi commence à s'accomplir la prédiction selon laquelle l'Indien n'est pas de taille et manque de motivation. Si l'enfant indien est libre de terminer ses études ou d'obtenir immédiatement un emploi peu rémunérateur, il décidera de prendre l'emploi. Pour lui, cela signifie un revenu immédiat, cela convient à sa conception de ce que "les Indiens font" et c'est aussi le choix le plus réaliste, si l'on considère qu'il s'attend peu à des succès scolaires. Les aspirations de cet Indien correspondent à la piètre image qu'il a de lui-même, ainsi qu'à sa conviction profonde de ne pouvoir aller au-delà des objectifs restreints établis par les Indiens qu'il connaît, ni au-delà des restrictions imposées par les non-Indiens.

Abstraction faite des convictions personnelles de l'Indien pour ce qui est de l'image de soi, des aspirations et des métiers possibles, le peu de renseignements dont il dispose limite encore sérieusement son choix. Nous n'avons trouvé que quelques communautés où les Indiens savaient que la Direction des affaires indiennes pouvait fournir des fonds et des programmes de formation; quant aux installations et aux programmes provinciaux, la plupart des Indiens n'en savaient rien. Nos informateurs du niveau secondaire ont déclaré que l'orienteur et le principal fournissaient des renseignements à qui leur en demandait. Mais la plupart de ces informateurs se disaient trop gênés pour se présenter au bureau du principal ou de l'orienteur. Quant aux écoles élémentaires, elles ne fournissaient aucun renseignement à leurs élèves les plus avancés.

En réponse à nos questions, les membres du personnel de la Direction des affaires indiennes ont dit qu'ils faisaient parvenir des renseignements à tous les surintendants. Ces derniers ont affirmé qu'ils transmettaient les renseignements aux conseils indiens et qu'il appartenait à ces derniers d'en faire part aux écoliers. Si nous considérons le peu de temps que les surintendants consacrent à chaque réserve, parce qu'ils sont débordés de travail, il semble peu probable que les occasions d'emplois soient un sujet d'études approfondies. De plus, ce serait contraire aux habitudes des membres des conseils de divulguer ces renseignements à tous les adolescents de la réserve, à supposer qu'ils disposent de tels renseignements. A l'heure actuelle, la façon de procéder est nettement inefficace. Les écoliers ne connaissent rien des différents programmes et des fonds disponibles, sauf les quelques étudiants qui ont quitté la réserve pour suivre un cours de formation, sous l'égide de la Direction des affaires indiennes ou du gouvernement de la province. Certains membres du personnel de la DAI ont avoué qu'ils ne s'efforçaient pas de vulgariser les renseignements, parce qu'à leur avis "les Indiens ne sont pas encore prêts; il ne s'en trouve pas un, dans notre agence, qui pourrait suivre avec succès l'un de ces cours". Ces façons d'agir ne sont pas de nature à favoriser ceux qui auraient les aptitudes voulues, ni à étendre les horizons très étroits de plusieurs adolescents qui seraient intéressés à entreprendre un certain cours, s'ils en connaissaient l'existence. Même en supposant que les informations soient à la portée de tous, l'image négative que les adolescents se font d'eux-mêmes et le faible niveau de leurs aspirations les rendraient incapables d'explorer les différentes possibilités. La jeunesse se fait d'elle-même une image subtilement négative. Ses aspirations se portent, en théorie, vers des objectifs de la classe moyenne dont elle a réussi à se pénétrer; toutefois, dans la pratique et dans l'immédiat, elle choisit davantage en fonction de l'expérience personnelle et de l'occasion qui se présente. A l'intérieur d'une communauté indienne, la variété des métiers est limitée et les possibilités de réussite dans la communauté des Blancs apparaissent peu nombreuses. Le choix doit donc se limiter aux catégories d'emplois qui ne demandent guère ou pas de spécialisation. Lorsqu'il existe une certaine forme d'orientation professionnelle, soit par l'information soit par l'entremise d'un orienteur, elle a tendance à se porter vers les occupations qui, de l'avis de tous, sont celles "où les Indiens peuvent réussir

10. Attitudes des non-Indiens envers les Indiens

Nous avons posé en principe, à plusieurs reprises, que les attitudes des non-Indiens envers les Indiens déterminaient de façon décisive les attitudes des Indiens envers eux-mêmes, leur perception des possibilités de succès à l'extérieur de la réserve et leur comportement général au sein d'une communauté plus étendue. Il semble opportun d'examiner plus à fond ces données pour se faire une idée exacte des attitudes que rencontrent les Indiens dans leurs rapports quotidiens avec les Blancs. Nous nous bornerons à étudier les rapports des Indiens avec les seuls Blancs qui jouent un rôle déterminant dans la réglementation de leur vie. Il n'y a pas eu moyen d'obtenir des renseignements sur les rapports purement fortuits, entre Blancs et Indiens.

Le personnel enseignant des écoles publiques rencontre d'abord les Indiens en classe. Il a des idées nombreuses sur ce que les Indiens sont et devraient être, sur certains de leurs problèmes et sur certaines manières de les régler. Ce qui caractérise surtout le comportement des enseignants avec les Indiens, c' est une inquiétude véritable et le manque considérable de connaissances appropriées. Étant donné que les autorités scolaires ne se rendaient presque jamais dans les réserves et qu'elles n'ont pratiquement pas eu de rapports avec les parents indiens, leur connaissance des Indiens et de la vie des Indiens repose sur une information stéréotypée, une fausse interprétation du comportement des Indiens en classe et sur une utilisation discutable de tests d'intelligence uniformes et administrés collectivement. De façon générale, les autorités scolaires sont convaincues que les parents indiens ne s'occupent pas de leurs enfants. Cette conviction se fonde sur le fait que les parents indiens ne se présentent pas à l'école lorsqu'on les convoque pour une conférence, ne participent pas à l'APM, ne s'occupent pas de la propreté et de la ponctualité des enfants, les envoient sans dîner, permettent les absences et n'établissent pas d'horaire fixe d'étude et de coucher. Cet énoncé correspond aux faits, mais ces faits sont interprétés par des gens de culture différente, qui ne comprennent pas le contexte culturel du comportement de l'Indien ou qui n'y font pas de rapprochement. Parce que les parents ne veillent pas à la propreté et à la ponctualité des enfants, nombre d'instituteurs croient sincèrement que les parents ne s'occupent pas de leurs enfants. Ils ne leur vient pas à l'esprit que les parents indiens peuvent prouver leur souci de l'enfant de bien d'autres façons que par la propreté et la ponctualité. d'autres instituteurs expliquent le retard des écoliers indiens par le fait que ces derniers ne marquent que peu de points dans les tests d'intelligence et qu'ils sont toujours à la queue de la classe. Certains instituteurs admettent que ces tests sont peu valables dans le cas des Indiens, et que les enfants indiens ne manquent pas nécessairement d'intelligence, même si les résultats des tests et leur rendement scolaire indiquent le contraire. Les instituteurs en général ne prévoyaient de rendement scolaire satisfaisant, chez les écoliers indiens, à aucun échelon. Sans croire à des différences innées d'aptitudes entre les écoliers blancs et indiens, certains administrateurs estimaient que le manque de réalisation des enfants indiens devait être attribué à l'ambiance de la réserve. Plusieurs se sont dit d'avis que "on ne pourra rien faire tant que les réserves n'auront pas été abolies". Selon eux, la réserve ne ferait qu'amplifier les attitudes négatives à l'égard de l'école, du travail et de l'obtention d'un niveau de vie convenable. Pour les administrateurs, le problème de l'éducation des enfants indiens naît du système des réserves; rares sont ceux pour qui l'école peut ou doit fournir à l'enfant indien des possibilités de réussite, car, disent-ils, "nous ne pouvons pas combattre le système des réserves et toutes ses implications".

La question des tests d'intelligence est sérieuse. On admet que ces tests n'ont de valeur que pour la population à laquelle s'appliquent les normes adoptées, c'est-à-dire pour un groupe urbain de race blanche, de classe moyenne et de langue anglaise. Dans le cas des petits non-indiens qui ne sont pas du groupe urbain de classe moyenne, ces tests ont aussi tendance à être faibles. c'est ce qui se produit pour un grand nombre d'enfants de groupements minoritaires. Certains jours et pour une foule de raisons, même des enfants de classe moyenne peuvent n'accumuler que peu de points lors de ces tests de groupe. Il n'est pas surprenant que l'enfant indien n'y obtiennent pas de bons résultats, étant donné le temps alloué, le peu de rapport que l'enfant y trouve avec les choses qu'il connaît, son manque d'aptitude pour la lecture et vu que ses modes de perception et d'abstraction diffèrent de ceux de ses compagnons blancs de classe moyenne.

Tous les élèves sont soumis aux tests au début et à la fin de la 1 re année, puis à la fin de chaque année scolaire. Les résultats sont portés à la fiche du dossier permanent de l'élève et le suivent d'une classe à l'autre et d'une école à l'autre. Même un instituteur qui serait averti de l'inexactitude possible des résultats, serait porté à conclure, en voyant une fiche inférieure à la normale, que l'enfant manque d'aptitudes. Si les systèmes scolaires pouvaient accommoder les élèves plus faibles, on serait sûr de retrouver dans ces classes presque tous les enfants indiens du pays, si l'on se fondait sur les résultats des tests d'aptitudes et sur les résultats scolaires.

Le cas suivant montre bien que ces tests sont utilisés abusivement pour des enfants de groupes minoritaires, et qu'on fait beaucoup de tort à ces enfants en les soumettant à ces tests et en conservant les résultats en dossiers. Dans la localité X, 1,400 écoliers ont été soumis à des tests: le test Otis "Quick Scoring" et le "California Test" de maturité mentale. Ces épreuves avec papier et crayon ont pour but de mesurer les réalisations et le degré d'intelligence. Ces tests furent administrés par les membres du personnel d'une clinique d'hygiène mentale de la région, qui en étaient à leur première visite dans la localité X. Ils sont restés trois jours à l'école. Sur 1,400 écoliers, 189 étaient des Indiens de la réserve locale. Une fois les épreuves terminées, 200 enfants ont été classés comme "inéducables", c'est-à dire des enfants qui avaient besoin d'une éducation spéciale que ne donne pas une école ordinaire. De ces 200 enfants "inéducables", 164 étaient des Indiens. Sur 189 enfants indiens inscrits, il y en avait donc 164 qui étaient "inéducables".

Les Indiens étaient issus d'une réserve vivant de chasse et de piéage, où il avait aussi quelques emplois saisonniers de voirie et de chemins de fer. Dans bien des cas, ces gens ne parlaient que le cri, et la plupart des élèves de ire année ne parlaient que le cri. Sauf le surintendant des écoles indiennes de la région, personne n'a mis en doute les résultats des tests, qui furent dûment inscrits sur les fiches permanentes des enfants. c'est alors que le problème a commencé à soulever des discussions. Il fut décidé d'établir plusieurs classes de rattrapage. Comme dans bien des classes de ce genre, privées de personnel spécialisé et d'installations suffisantes, le programme ne devint qu'une simple répétition, à un rythme ralenti, des travaux courants, au lieu de devenir un processus dynamique et dirigé. On n'a institué aucun cours d'anglais comme langue seconde. On a utilisé très peu de matériaux nouveaux et de techniques nouvelles d'enseignement, de sorte que l'instruction de ces enfants ne soulevait guère d'enthousiasme, ceux-ci étant définitivement considérés comme "inéducables". La situation décrite plus haut n'est pas unique, malgré ses particularités. Partout au pays, on a recours aux tests d'aptitudes pour dépister les enfants non éducables, mais les membres du personnel scolaire se posent peu de questions sur l'exactitude et la validité de ces tests. Les commissions scolaires dépensent de fortes sommes pour ces tests, dont les résultats sont enregistrés. Lorsqu'un instituteur estime que certains enfants sont "inéducables" ou qu'ils sont "lents à apprendre", il y a bien des chances que ces enfants soient définitivement classés comme tels.

Les membres du personnel scolaire ont exprimé une réelle préoccupation quant à la qualité du foyer dont l'écolier indien est issu, foyer qu'ils qualifiaient volontiers de taudis et de maison de beuverie. Ils n'y trouvaient que très peu de facteurs positifs. Certains d'entre eux ont déclaré que les enfants indiens étaient "sales, apathiques et semblables à leurs parents". Les membres du personnel scolaire se reconnaissaient comme rôle "d'aider les Indiens à devenir quelqu'un". Cette dépréciation de tout ce qui est indien laisse à l'enfant indien peu de chance de se développer et de grandir avec une certaine confiance en soi, s'il doit faire face tous les jours à ce genre d'attitudes, malgré toute la sincérité et la bonne volonté de tel instituteur, qui cherche à aider le jeune Indien. Un professeur qui comptait plusieurs années d'enseignement auprès des Indiens, a déclaré:

"Si vous les traitez comme des gens raisonnables, ils finissent par se conduire comme des gens raisonnables".

Les surintendants estiment généralement que l'éducation intégrée est une bonne méthode. Pour eux, le régime d'écoles publiques crée aux Indiens de nouveaux problèmes de transport, d'abstention, d'argent, de manuels et de formules, des problèmes dont ils n'avaient pas à s'occuper dans les écoles de réserve. Vu ce surcroît de soucis, d'aucuns ont pu penser que l'intégration de l'enseignement était venue trop tôt pour un grand nombre d'Indiens et qu'elle n'avait causé que plus de problèmes aux administrateurs. Plusieurs surintendants se sont demandé si les enfants indiens étaient capables de réussir dans les écoles intégrées, et ils ont mentionné comme facteurs possibles d'échec, le niveau de vie et les attitudes de la communauté indienne. Plusieurs ont soutenu que l'instruction publique ne serait pas efficace tant que "quelque chose ne se produira pas sur la réserve", et ils se disaient favorables à l'idée de soustraire les enfants à l'influence des Indiens adultes, en établissant des foyers d'adoption et des maisons de pension, de façon "qu'ils connaissent ce que c'est qu'une vie convenable". Les surintendants n'étaient pas tout à fait fixés quant aux modalités qui pourraient aider les Indiens à obtenir un niveau de vie différent, un emploi, ainsi qu'un niveau d'instruction plus élevé.

Si l'on veut que les enfants se sentent à l'aise à l'école et qu'il y ait une véritable socialisation entre les Indiens et les non-Indiens, il faut, à leur avis, changer les modes de vie de la réserve. Ils avouent toutefois que ce n'est pas en remettant la clé d'une maison neuve à un Indien qu'on peut hausser son niveau de vie ou lui garantir une amélioration de son sort. Pour ce qui est de l'instruction intégrée, on rencontre chez les surintendants la même incertitude que chez les Indiens. Les surintendants se sont engagés dans des programmes qui ont eu un succès partiel, mais qui ne cessent aussi de se transformer et d'être l'objet de critiques. Les problèmes de l'administration des réserves sont si diffus qu'il est difficile d'entrevoir des solutions. Pour les surintendants, l'instruction publique est un pas en avant, mais ils n'osent pas en conclure que c'est là le moyen qui pourrait changer les choses. Ils ont eu plusieurs tentatives qui auraient pu apporter un changement, mais rien ne s'est produit. Cette ambivalence de leur part quant à l'efficacité du système public pour les Indiens, les embarrassent lorsqu'il s'agit d'encourager les parents à maintenir leurs enfants à l'école ou de discuter de la question lorsqu'un accord conjoint est proposé. Les Indiens adultes ont reconnu que le surintendant leur avait parlé de l'instruction en commun, mais sans plus approfondir. Ce manque de temps consacré à la discussion compte pour une bonne part dans la confusion des parents. Selon ces derniers, le surintendant ne leur avait pas dit que "tous les enfants devraient fréquenter l'école des Blancs, même les tout-petits". Les parents prétendent aussi qu'on ne leur a pas fait savoir que c'était à eux de décider si les enfants pouvaient rester dans la réserve ou fréquenter l'école publique de la localité. Pour que l'instruction intégrée soit un succès, il faut que la question de l'enseignement en commun, avec ses avantages et ses inconvénients, soit soumise aux parents indiens, et cela, bien avant le moment de prendre une décision. Les membres du personnel des services de santé publique rencontrent les Indiens dans leur réserve et dans les cliniques de la santé publique. Les infirmières scolaires ont aussi affaires avec les écoliers indiens. l'attitude de toutes ces gens envers les Indiens est avant tout positive, car ils consacrent beaucoup de temps aux programmes d'hygiène pédagogique, aux programmes de puériculture et aux questions de santé en général. De tous les fonctionnaires, ce sont eux qui consacrent le plus de temps en rapports directs avec les familles indiennes; d'ailleurs, l'attitude des Indiens envers les membres du personnel des services de santé est positive et empreinte de coopération.

Les membres du personnel de ces services ont signalé que le manque de sommeil et l'insuffisance du régime alimentaire nuisent au rendement scolaire des enfants. On a aussi signalé le manque de propreté, les infirmières devant traiter des enfants qui ont des poux, des gales et qui sont généralement crasseux. Ces cas sont attribuables à la pénurie d'installations sanitaires dans la réserve et parfois au manque de temps, d'effort et de compréhension des parents dont les enfants souffrent de maladies dues à la malpropreté, d'infections chroniques et de malnutrition. La répression et le traitement de ces maladies chroniques exigent des installations sanitaires suffisantes, du temps et de l'effort. Les cas de malnutrition ne semblent pas être très nombreux. Cependant, les infections chroniques bénignes et la carie dentaire sont très fréquentes. Ces infections bénignes réduisent la vitalité de l'enfant, qui ressent souvent fatigue et apathie.

Dans la plupart des cas, les enfants indiens ne reçoivent pas régulièrement de soins médicaux. Les parents les conduisent à la clinique ou chez le médecin quand la maladie devient aigué. Malheureusement, bon nombre de parents ne savent pas reconnaître certaines maladies à leur début, et il arrive souvent que les enfants ne reçoivent aucun traitement pour des maladies qui engendrent des infections secondaires et des affections chroniques. II s'ensuit que plusieurs enfants indiens sont atteints de troubles auditifs et oculaires et d'infections aux organes respiratoires supérieurs. Les enfants indiens sont habituellement tranquilles: c'est une particularité que leur reconnaissent les instituteurs; c'est pourquoi il serait peut-être profitable de leur faire subir un examen médical dès leur entrée à l'école. Ainsi, il serait facile de dépister les infections chroniques et les troubles marginaux avant que l'enfant ne prenne un retard scolaire excessif. Au cours de ses premières années de classe, il n'est pas rare que l'enfant compense de différentes façons ses légers troubles oculaires et auditifs. La nature répétitive des matières enseignées permet à plusieurs enfants de comprendre à la troisième et quatrième reprise le mot qu'ils n'ont pas saisi la première fois. Toutefois, ces conditions ne favorisent pas l'apprentissage, et, dans la plupart des cas, on pourrait y remédier. Le personnel des Services de santé s'inquiétait davantage de la santé mentale d'un grand nombre d'enfants indiens issus de foyers grandement démunis et désorganisés. Selon plusieurs informateurs, chaque fois que la pauvreté extrême, l'alcoolisme et le désaccord familial sévissent dans une réserve, il s'y trouve un groupe de personnes déséquilibrées. On a rapporté des cas de foyers où les parents maltraitaient les enfants par habitude, où les parents étaient trop déprimés pour maintenir la stabilité familiale et laissaient les enfants à eux-mêmes pendant plusieurs jours de suite. On peut relever bien d'autres exemples de ce genre. Les enfants non-indiens issus de foyers semblables présenteraient probablement les mêmes symptômes pathologiques, que les dirigeants scolaires seraient en mesure de dépister. Paradoxalement, il est difficile de trouver beaucoup d'enfants indiens dont le comportement dénote de véritables dérangements pathologiques du type classique. La culture propre peut en masquer les symptômes. Un enfant paraît parfois tranquille, alors qu'en réalité il est déprimé, en réaction à la privation, et il n'est pas facile de distinguer l'enfant ébranlé de celui qui ne l'est pas. Un enfant peut paraître arriéré, alors qu'il est, de fait, dérangé, mais on procède rarement à un diagnostic, étant donné que cet enfant ne dérange pas la classe et que les Indiens passent pour des gens tranquilles et passifs.

Il s'agit de savoir si la pathologie du dérangement des Indiens se présente sous des formes que les non-Indiens n'ont pas encore appris à identifier. Il peut se faire aussi que le milieu indien fournisse des compensations suffisantes, qui l'emportent sur la pathologie prévue. Peu de travaux de recherche ont été entrepris sur la santé mentale des Indiens. Il est possible, par exemple, que dans une situation de délaissement, l'enfant indien ne perçoive pas du tout le stress de la même façon que le jeune non-Indien. Il est possible que des enfants indiens laissés seuls pendant plusieurs jours ne se sentent ni rejetés ni abandonnés. Pour eux, c'est peut-être là un mode de vie normal et ils se sentent peut-être en sécurité du fait qu'ils peuvent, au besoin, demander l'aide d'un membre de la bande. Dans une telle situation, l'enfant indien peut ne pas éprouver le sentiment d'angoisse que ressentirait l'enfant non-indien. Tel comportement, qui serait considéré incorrect en milieu culturel non-indien, pourrait facilement être accepté dans la réserve. Le milieu de la réserve, qui est habituellement moins restrictif que la société de classe moyenne des Blancs, fournit plus d'occasions de défoulement dans les cas de stress et de tension. c'est ce qui expliquerait que, chez les Indiens en général, on ne rencontre presque pas de troubles aigus.

Il est vrai que la société indienne peut fournir aux individus une sécurité et des déversoirs d'énergie suffisants, qui compensent les effets néfastes des grandes privations; néanmoins, il se peut aussi que la société des Blancs soit la source de nouveaux stress, auxquels la société indienne soit incapable de réagir. Nous avons déjà souligné les stress de la fréquentation scolaire. Le conflit de la jeunesse indienne, face à un choix impossible entre des modes de vie tout à fait différents, peut avoir pour conséquence de créer un groupe considérable d'individus incapables de s'accommoder aux conditions existantes, s'éloignant de plus en plus, chaque jour, de la grande société et n'ayant plus la souplesse voulue pour quitter éventuellement le milieu protecteur de la réserve.

Disons, pour résumer, que les attitudes des Indiens envers eux-mêmes et envers les non- Indiens en général, sont déterminées par les attitudes des membres du personnel non-indien qui travaillent auprès des Indiens. Chez les surintendants et chez les membres du personnel des services de santé et des services scolaires, on rencontre toutes sortes d'attitudes, depuis l'attitude franchement négative jusqu'à une attitude quelque peu positive. Nombre de fonctionnaires ont véritablement à coeur leur travail auprès .des Indiens, mais plusieurs d'entre eux, constatant les minces progrès réalisés et face à l'ampleur du travail à accomplir, se sont peut-être découragés. Sensibles à ce sentiment de découragement des fonctionnaires, les Indiens ont tendance à réagir en se repliant sur eux-mêmes et en laissant voir leur désespoir ou leur hostilité. Quand les Indiens entendent dire: "qu'est-ce qu'on peut faire pour les Indiens", ils ont le sentiment qu'on ne peut faire grand'chose.

Les enfants réagissent de la même façon aux attitudes des non-Indiens. Lorsque les instituteurs veillent à ce que les enfants indiens travaillent bien et réussissent en classe, et leur accorde une assistance supplémentaire, ces derniers ont habituellement un bon rendement. Si les instituteurs classent leurs élèves comme des enfants dépourvus de talent et d'ambition, ces derniers ne font aucun effort, parce qu'ils sont convaincus de ne pouvoir réussir. Chez certains groupes indiens qui acceptent l'attitude des fonctionnaires relativement à leurs capacités, on finit par retrouver une certaine conformité de comportement. Pour autant que les Indiens acceptent les limitations que leur imposent les attitudes des Blancs, et pour autant que fonctionnaires et instituteurs se sentent également écrasés en raison de l'échec probable de leurs programmes, il est à prévoir que la percée ne se produira pas. Si chaque groupe était en mesure d'apprécier plus objectivement ses propres limitations et ses propres possibilités, si les programmes étaient mis en oeuvre de façon coordonnée entre les agences, l'espoir de succès serait alors plus grand et plus réaliste. Toutefois, c'est la réciprocité des rapports entre Indiens et Blancs qui semble être, en fin de compte, le principal facteur d'ambiance propice à l'utilisation de toutes les ressources individuelles, en vue de trouver une voie facile vers le succès et l'épanouissement.

III. RAPPELS ET COMMENTAIRES

Après avoir décrit les principaux sujets d'inquiétude au sujet de la condition actuelle de l'éducation des Indiens dans les écoles publiques, nous cherchons ici à formuler certains principes directeurs, lorsqu'un changement apparaît comme possible et essentiel. Nous nous rendons compte que nos recommandations ne s'appliquent pas dans tous les cas, pas plus qu'elles ne représentent les besoins de tous les écoliers indiens. Cependant, dans la majorité des cas où elles s'appliquent, il est relativement facile d'apporter les changements requis à l'intérieur des structures administratives existantes.

1. Orientation et succès

A son arrivée à l'école publique, le petit Indien a une orientation bien différente de celle du jeune non-Indien. Cette différence d'orientation crée une discontinuité d'expérience, qui place le jeune Indien dans une situation défavorable par rapport à ses compagnons. Dès le début, l'enfant éprouve certaines difficultés particulières. Il n'a pas l'habitude des livres, des ciseaux, des crayons, des travaux ordinaires, des exigences et des horaires de l'école. l'enfant indien n'est pas disposé à se servir des outils scolaires avant de les bien connaître; or, pendant qu'il fait cet apprentissage, ses compagnons de race blanche apprennent notamment à lire et à écrire. l'enfant indien commence à accuser un retard par rapport à la majorité des élèves de la classe. Parfois, les enfants réussissent à rattraper ce premier retard, mais le plus souvent l'enfant indien commence à accumuler un déficit, qui l'empêche de réussir selon ses aptitudes dans les classes plus avancées. Vers la ~e année, l'enfant a connu nombre d'échecs; il est démoralisé au point de perdre toute réceptivité à l'enseignement et de songer à quitter l'école à la première occasion. Il nous paraît indispensable que l'enfant indien réussisse sa ire année d'école. Si l'enfant connaissait le succès dès le début, il pourrait continuer à lutter au cours des années subséquentes, pour surmonter certaines faiblesses scolaires. Les maternelles et les jardins d'enfants pourraient préparer l'enfant à participer pleinement aux programmes de la ire année. Plusieurs systèmes d'écoles publiques ont des classes maternelles comptant quelques enfants indiens. d'après les instituteurs de ire année, les enfants qui ont fait la maternelle sont plus avancés que les enfants indiens qui n'ont jamais fréquenté la classe. Toutefois, il semble qu'une année de jardin d'enfants ne permette pas de donner à ces enfants une préparation suffisante, vu que plusieurs d'entre eux doivent, malgré tout, reprendre leur ire année. Le programme qui semblerait convenir le mieux aux besoins de l'enfant indien consisterait à organiser dans la réserve une école maternelle et un jardin d'enfants. Il serait également utile de mettre en oeuvre un programme comportant l'établissement d'une école maternelle et d'un jardin d'enfants situés respectivement dans la réserve et dans une école publique. Ce genre de programme permettrait de réaliser plusieurs objectifs. Il permettrait à un instituteur dûment qualifié de préparer les enfants en vue de leur entrée à l'école; il élargirait les horizons de l'enfant, auquel on permettrait d'acquérir une expérience immédiate, à l'aide de certains jeux, de livres, de disques et de courtes balades dans la localité. Si ces écoles maternelles pouvaient être établies sur une base de coopération, les parents auraient l'occasion de s'intéresser à la programmation et au processus éducationnel. Cette participation les inciterait à continuer de s'intéresser à l'expérience de l'enfant à l'école publique, ce qui favoriserait la compréhension et améliorerait les rapports entre le foyer et l'école, pour le plus grand bien de tous. Ces programmes auraient aussi l'avantage d'encourager les adultes à relever leur propre niveau d'instruction, pour être en mesure d'aider leurs enfants, tout en veillant à leur propre perfectionnement.

Les instituteurs des maternelles et des jardins d'enfants sont plus à même que ceux des écoles publiques ordinaires, de puiser des matières et des idées dans le patrimoine de l'enfant. Ceci permettrait à l'enfant d'avoir une première expérience éducative qui ne contredise pas son sens des valeurs ou qui ne dévalorise pas tout à fait son univers. De même, l'enfant pourrait se familiariser avec les exigences de la société à l'égard des travaux courants et des modalités scolaires, suivant le régime simplifié en vigueur dans ce genre de classes. La Direction des affaires indiennes a adopté comme ligne de conduite d'instituer des jardins d'enfants dans les régions où les écoles publiques n'avaient pas ce programme. Nous approuvons de tout coeur cette ligne de conduite. De plus, on devrait étudier la possibilité d'établir dans toutes les réserves des écoles maternelles fonctionnant suivant un régime de coopération. On ne devrait pas non plus considérer comme négligeable le fait de maintenir ouverts les jardins d'enfants existants, même si les écoles publiques instituent de tels programmes. Dans les réserves plus considérables et plus urbanisées, les enfants peuvent avoir suffisamment d'expérience pour se présenter à l'école dès l'âge de cinq ans, mais dans la majorité des cas, il semblerait préférable que l'enfant suive un programme spécialement conçu pour combler les déficiences qui lui causent des ennuis à son entrée à l'école. Ainsi préparés, les enfants indiens ne devraient avoir aucune difficulté à réussir en 1re année.

2. Communication

Dans le système scolaire, le succès ou l'échec d'un enfant dépend de ses aptitudes, de la compétence des enseignants et de la capacité de chacun de communiquer avec l'autre de différentes façons. La plupart des écoles sont orientées et structurées définitivement en fonction de la classe moyenne dont la plupart des instituteurs, de même que l'écolier moyen, sont issus. De cette façon, l'écolier peut partager avec l'instituteur un certain nombre de valeurs. Chacun comprend ce que l'autre attend de lui et se sent fort de l'appui des administrateurs et du consentement des parents. Chacun est en mesure de comprendre le comportement de l'autre, de viser aux mêmes objectifs et de communiquer verbalement ou autrement.

Entre des enfants de groupes minoritaires et des instituteurs de groupes majoritaires, le nombre d'orientations communes est réduit, de même que les communications réciproques. Ceci soulève des difficultés à l'école, difficultés qui prennent souvent la forme d'une fausse interprétation du comportement ou d'un échec à satisfaire aux exigences. Parfois, il en résulte des punitions décernées par l'instituteur, et l'enfant ne parvient jamais à mériter des récompenses pour ce qu'il fait. Les problèmes de communication entre instituteur et élève deviennent plus compliqués, si l'enfant vient d'un milieu culturel et linguistique différent. Dans l'enseignement comme dans tout le domaine des relations humaines, la communication est un facteur essentiel. Le jeune enfant en classe n'a pas les ressources pour vaincre les obstacles qui l'empêchent de communiquer librement. Il n'a ni les connaissances ni les aptitudes voulues, étant donné surtout le milieu tout à fait étranger dans lequel il se trouve. La situation de l'instituteur est de beaucoup meilleure. c'est lui le maître de la situation, car non seulement il a des connaissances et une expérience plus vastes des affaires humaines, mais aussi il peut acquérir les connaissances et les compétences particulières dont il a besoin pour améliorer la situation. Certains instituteurs possèdent déjà des connaissances théoriques en psychologie, en sociologie et en anthropologie; ils ont donc une conscience intuitive suffisante, du fait que le comportement d'un enfant issu d'un groupe minoritaire n'est pas forcément déviationniste, mais simplement différent. Ces disciplines devraient aussi avoir préparé l'instituteur à aider l'enfant à conserver son sens des valeurs, tout en lui enseignant un comportement approprié aux circonstances et en lui faisant comprendre la situation sociale dans laquelle il se trouve. On ne saurait trop insister sur la formation théorique et pratique des personnes qui auront à enseigner à des enfants de groupes minoritaires.

La formation en cours de service peut aussi s'avérer utile aux instituteurs qui désirent mieux comprendre ces enfants. Certaines commissions scolaires ont autorisé la fermeture hâtive des classes, afin de permettre aux enseignants de tenir des conférences sur les problèmes que causent certains groupes d'enfants dont ils connaissent mal le milieu traditionnel. Ces conférences ont fourni l'occasion de consultations auprès d'un grand nombre de personnes, et elles ont été accueillies avec enthousiasme par les instituteurs. Dans les régions où l'on est à négocier des accords conjoints, il serait peut-être utile de prévoir un programme coopératif de formation en cours de service, sous l'égide de la D.A.I. et de la commission scolaire locale, de façon à mettre à profit toutes les ressources individuelles.

Les enseignants, qui sont débordés de travail, n'ont pas beaucoup de temps libre. Il devient alors nécessaire que les parents se rendent à l'école, participer à des conférences en compagnie de l'instituteur. l'Indien adulte n'aime pas se rendre à l'école. Toutefois, pour qu'il y ait compréhension entre l'école et les parents et pour éviter tout malentendu, il faut une liaison entre les deux groupes. l'instituteur qui a dans sa classe un enfant malpropre et débraillé, ne peut qu'en être mécontent. Mais s'il connaissait les circonstances dans lesquelles se débat l'enfant, il s'étonnerait plutôt de la propreté relative de l'enfant. Quels que soient ses sentiments, si l'instituteur se rend compte de la situation par lui-même, il pourra mieux comprendre que le fait de blâmer l'enfant ne résout rien, mais crée, au contraire, des difficultés. Les rapports entre le foyer et l'école doivent exister pour plusieurs raisons, notamment pour éviter que l'enfant ne soit refoulé dans un rôle intermédiaire qui le déroute et qu'il ne peut supporter. Les rapports directs entre parents et enseignants permettront à chaque groupe de comprendre leurs difficultés respectives et de constater les secteurs de divergence entre les objectifs scolaires que chacun envisage. Cette compréhension pourrait amener enseignants et parents à accepter les différences et les limitations propres à chacun. Cette acceptation inciterait les parents à s'intéresser plus directement au processus de l'enseignement et, comme corollaire, à accorder plus d'attention et d'appui à leurs enfants.

La compréhension des problèmes et des différences particulières à l'enfant indien permettrait aussi à l'instituteur d'aider les autres enfants à comprendre et à accepter le comportement des jeunes Indiens, ainsi que les conditions qui sont une source de tensions dans la classe. Moins l'enfant indien se sentira isolé, plus il y a de chances qu'il réussisse à l'école et qu'il développe sa personnalité. l'enfant peut aussi apprendre, de la société des non-Indiens, des choses qui lui feront mieux saisir la nécessité de certains règlements, de certains genres de comportement et des choses qu'on attend de lui. Ces choses, il ne peut les apprendre que si l'instituteur se rend compte de sa propre ignorance e~m ce domaine (comme c'est le cas pour les autres enfants), et s'il prend le temps d'expliquer et d'enseigner ces choses à mesure qu'elles se présentent au cours de l'année.

3. Accords conjoints

La question des accords conjoints a été étudiée dans d'autres chapitres du présent rapport. Nous la rappelons ici dans le seul but de souligner l'importance des rapports qui doivent exister entre les parents et la Direction des affaires indiennes en vue des négociations et en raison des conséquences qui en découlent pour l'école. La Direction des affaires indiennes a eu pour principe de consulter d'abord les parents avant d'engager des négociations avec les différentes commissions scolaires en vue d'un accord conjoint. Le but de ces consultations est d'obtenir le consentement et l'appui des Indiens pour que leurs enfants soient instruits dans les écoles publiques. De façon générale, ce consentement n'a pas été difficile à obtenir. Les parents, cependant, ne sont pas en mesure d'apprécier leur décision, ni de motiver leur refus ou leur consentement, à moins d'avoir une idée quelconque du résultat visé. La plupart des parents n'ont jamais mis les pieds dans une école publique; ils ignorent les traits qui la distinguent des écoles de réserve et les expériences que les enfants y vivront. Ils supposent que ceux-ci y trouveront à peu près le même mode de vie que dans les écoles de la réserve. Quand ils se rendent compte que tel n'est pas le cas, que la plupart des enfants y éprouvent des difficultés, ils s'imaginent qu'on a obtenu leur consentement sous de fausses représentations. Leur sentiment se comprend, même s'il n'y a pas eu mauvaise intention.

La difficulté vient, en partie, du fait que les administrateurs qui doivent obtenir le consentement des parents, n'ont pas assez de temps à leur disposition. s'ils pouvaient discuter plus longuement de la question, organiser une visite de l'école de la localité pour les parents et les enfants, s'ils avaient l'occasion de discuter de certaines choses avec les membres du personnel, le problème ne se poserait peut-être pas. Cette façon de procéder laisserait aussi à la commission locale tout le temps voulu pour considérer sa décision. s'il survenait alors un accord conjoint, les parents et les membres du personnel scolaire auraient une idée plus exacte des problèmes et des avantages inhérents à cette mesure. Les fonctionnaires intéressés à ces problèmes auraient l'occasion d'observer directement les réactions réciproques des Indiens et des Blancs; ils seraient donc en mesure d'apprécier l'utilité d'un tel accord du point de vue des enfants intéressés. Dans les cas où les parties semblent très hésitantes, il serait peut-être avantageux de retarder tout accord officiel jusqu'à ce qu'on ait poussé plus avant le travail de base, de manière à éviter la fâcheuse nécessité de briser un accord.

4. Niveaux de vie

Le faible niveau de vie des différents groupes indiens contribue à miner l'enfant, physiquement et émotionnellement, et à nuire à son rendement scolaire. La majorité des enfants indiens ne reçoit pas de soins médicaux réguliers. Rares sont ceux qui subissent un examen médical avant leur entrée à l'école. Plusieurs enfants souffrent de troubles de l'ouïe et de la vue et sont atteints d'infections chroniques bénignes qui accentuent leur apathie. Certains enfants sont sous-alimentés et manquent de sommeil, au point qu'ils ne peuvent suivre le rythme d'une journée de classe.

Dans plusieurs réserves, les conditions de logement et d'hygiène favorisent la maladie, la fatigue et le mauvais état de santé des écoliers. Le surpeuplement des foyers dérange le sommeil et empêche d'étudier. Les conditions économiques des différentes familles obligent les enfants à travailler ou encore à garder les plus jeunes pour permettre aux parents de travailler ou de voyager. La situation économique de la famille détermine encore la quantité et le genre de nourriture fournie à l'enfant; elle détermine si l'enfant aura assez de vêtements pour fréquenter l'école, quelle que soit la température. La tenue vestimentaire joue aussi un rôle dans le cas des enfants plus âgés admis aux écoles publiques. Ces derniers se sentent humiliés de porter des vêtements obtenus dans des soldes, rabais ou des liquidations d'articles usagés. De façon générale, il semble que plus les gens d'une réserve sont économiquement dépourvus, plus les conflits et les désaccords sont nombreux, plus l'alcoolisme est fréquent. Ces facteurs influent sur les enfants dans leurs attitudes envers la vie en général, envers l'école et envers leur avenir en particulier. Les enfants de parents désunis et alcooliques manquent l'école plus souvent et sont victimes d'une foule de facteurs négatifs. Les chances de terminer leurs études et de réussir semblent beaucoup plus faibles que dans le cas d'étudiants indiens provenant de milieux moins défavorisés et moins désorganisés. Dans le présent rapport, nous avons déjà recommandé qu'on prenne des mesures pour que les jeunes Indiens puissent obtenir leur lunch à l'école, pour que les enfants indiens admis en 1re année subissent un examen médical préalable, pour que les écoles remédient à certaines déficiences de logement et d'hygiène en permettant aux enfants d'utiliser les douches de l'école et en leur organisant des périodes d'étude à l'école, et pour qu'on fournisse d'autres vêtements aux enfants nécessiteux. Peut-être la meilleure solution consisterait-elle à aider les parents à équilibrer leur budget de dépenses en fonction de leurs revenus, des allocations familiales et des allocations de bien-être.

Nous recommandons, de plus, que la Direction des affaires indiennes, avec la coopération éventuelle des commissions scolaires locales, encourage les instituteurs à parfaire leur formation par des cours d'été, des cours du soir et des cours en période de service. Ils acquerraient ainsi une connaissance systématique des gens auprès desquels ils travaillent. Il faut louer la D.A.I. des efforts qu'elle a déployés en vue de résoudre les nombreux problèmes que posent l'économie déficiente de certaines réserves et la divergence de leurs échelles de valeurs. Nous espérons que ces efforts se poursuivront, que des mesures nouvelles seront prises et que des accords seront conclus, en collaboration avec les commissions locales, en vue d'améliorer la situation de l'enfant indien à l'école publique.

5. Problèmes scolaires

Plusieurs membres du personnel scolaire ont signalé l'opportunité de créer un poste d'agent de liaison entre les écoles et la Direction des affaires indiennes. A leur avis, le titulaire de ce poste devrait s'occuper des problèmes découlant de la sujétion des Indiens à la Direction des affaires indiennes, pour ce qui a trait à des questions comme la Caisse d'achat de matériel scolaire, les lunches, les vêtements et diverses formes d'activité. Il veillerait aussi à consigner les absences. Certains problèmes ont tendance à s'aggraver si l'on ne s'en occupe pas directement. Ainsi, l'absence d'un élève doit faire l'objet d'une enquête le jour même, et non pas à l'occasion de la visite du surintendant. Il en est de même pour les écoles: quand elles ont besoin de renseignements ou qu'elles doivent prendre des mesures relatives à des problèmes de santé ou de finance, elles doivent le faire le plus tôt possible, et non pas attendre les longs délais qu'impose parfois la correspondance.

La nomination d'un agent de liaison aurait plusieurs avantages. Elle faciliterait les relations entre les écoles et les agences gouvernementales; elle permettrait l'utilisation de toutes les ressources disponibles à l'égard d'un problème donné, qui pourrait échapper à la direction de l'école, mais non à un agent de liaison; elle assurerait des consultations et des mesures immédiates, en vue de régler un problème; elle diminuerait le taux d'abstention chez les écoliers, qui subissent actuellement les délais et les incertitudes de l'administration; elle n'obligerait plus les parents, l'école et la Direction des affaires indiennes à s'adresser à plusieurs personnes: infirmière, agent des services de bien-être, agent de probation, conseiller spécial. etc., pour résoudre un seul problème.

6. Retard et échec

Il a été établi que le taux des échecs est beaucoup plus élevé chez les enfants indiens que chez les enfants canadiens de race blanche, et que cet état de choses tient surtout à des facteurs d'ordre culturel et social, plutôt qu'à des causes d'ordre intellectuel. Nous avons déjà mentionné ces principaux facteurs; il n'est donc pas nécessaire de les répéter ici. Il est urgent de prendre des mesures, en vue de réduire le taux élevé des échecs. Nous avons déjà suggéré de remédier, au moins partiellement, au manque de préparation scolaire, source constante d'échec en 1re année, en établissant des programmes préparatoires, comme des écoles maternelles et des jardins d'enfants. Nous avons aussi déclaré que les enfants doivent être en bonne santé et qu'il faut veiller à supprimer les malaises ou maladies marginales. Enfin, nous avons recommandé aux instituteurs de se préparer professionnellement à enseigner à des enfants de groupes minoritaires, suivant des méthodes d'enseignement variées. De plus, il serait peut-être opportun que la Direction des affaires indiennes examine les programmes des écoles publiques en ce qui a trait à la reprise des classes et à l'avancement. La Direction des affaires indiennes pourrait entreprendre des négociations, soit avec les provinces, soit avec les commissions scolaires qui n'ont pas les moyens d'offrir ce genre de cours, en vue d'instituer des programmes coopératifs de cours de rattrapage et de cours spéciaux.

Certaines écoles ne permettent pas qu'un enfant puisse doubler plus d'une année sur trois. Cette ligne de conduite nous semble raisonnable. Toutefois, si, après avoir doublé une année, l'enfant n'est pas encore prêt à s'attaquer aux matières de l'année suivante, à quoi bon le monter de classe? Ce dont l'enfant a besoin, c'est d'un enseignement correctif destiné à lui permettre de combler ses déficiences, de manière qu'il puisse suivre la classe appropriée à son âge, sans avoir à perdre une année scolaire, il est bien évident que ce travail supplémentaire ne peut être fait pour tous les enfants qui en auraient besoin, mais sûrement pour un grand nombre.

Nous appuyons de tout coeur le régime de classes primaires avancées, qui permet aux enfants d'apprendre suivant leur propre rythme, sur une période de trois ans. Bon nombre d'enfants qui ne sont pas prêts à commencer l'école, peuvent ainsi surmonter leurs déficiences, sans avoir à subir l'épreuve d'être classés dans la catégorie des "doubleurs" dès leur première année d'école.

Les échecs persistants et les retards accumulés découragent autant l'enfant que l'instituteur. Outre qu'ils engendrent des attitudes négatives envers soi-même et envers l'école, ils sont un facteur déterminant lorsque l'enfant doit décider s'il poursuivra ses études ou quittera l'école. Les échecs contribuent aussi à l'absentéisme. Un enseignement correctif et spécial pourrait empêcher certains retards et certains abandons. Dans plusieurs systèmes scolaires, il existe déjà des cours spéciaux, mais il en faudrait davantage. Là où il n'y en a pas, on invoque habituellement le manque de fonds. Si, après entente avec le gouvernement fédéral, la Direction des affaires indiennes ou les provinces accordaient aux commissions scolaires des subventions spéciales en vue d'établir de tels programmes, tous les enfants de ce district scolaire en tireraient avantage. Les écoles récipiendaires de ces subventions seraient choisies en fonction du nombre d'enfants indiens qu'elles comptent et suivant la décision de la Commission d'engager des enseignants spécialement préparés et d'instaurer des programmes spéciaux à l'intention des enfants intéressés. Grâce à une collaboration entre les gouvernements et les commissions scolaires, tous les enfants pourraient bénéficier de services correctifs de haute qualité, sous forme de cours spéciaux qui pourraient être partagés, par exemple, entre des travaux pratiques et des cours théoriques.

Ces contributions seraient hautement louables et réduiraient sûrement le nombre considérable d'échecs, ainsi que le taux élevé d'abandons, tant chez les autres enfants que chez les écoliers indiens.

7. Enseignement intégré

l'intégration de l'enseignement pose plusieurs questions qu'il ne serait pas facile d'étudier systématiquement aux fins du présent rapport. Il convient toutefois de signaler quelques questions importantes soulevées lors de discussions. Nous avons déjà fait état de la question des formalités à suivre au cours des étapes initiales devant conduire à la conclusion d'accords conjoints. Certes, avant de prendre une telle décision, il faut beaucoup de réflexion et une évaluation raisonnable de la situation. Nous insistons pour que l'on continue de porter la plus grande attention aux critères régissant le choix des territoires visés par un accord conjoint, ainsi qu'à l'étude des innombrables facteurs qui s'y rattachent. Nous ne mettons pas en doute le principe de l'intégration de l'enseignement, mais nous insistons pour qu'on procède à une révision constante de la façon de procéder pour choisir les districts scolaires touchés par l'intégration.

Il semble qu'on devrait procéder à une nouvelle appréciation des aspects accessoires des accords conjoints, notamment en ce qui a trait aux contingents. Dans certaines régions, on transporte les enfants vers différentes écoles parce que l'école la plus rapprochée s'est établi un pourcentage fixe d'enfants indiens. Ce pourcentage étant atteint, les autres enfants de cette même réserve doivent être conduits dans d'autres écoles. Outre qu'il occasionne des pertes de temps et des frais supplémentaires, ce régime a l'inconvénient d'indisposer les parents indiens qui doivent se plier à de tels accommodements et qui y voient un rejet de l'enfant indien de la part des Blancs. Leur opposition est fort compréhensible si les enfants d'une même famille fréquentent des écoles différentes. Dans certains cas, les contingentements ont pour effet d'exclure certains enfants d'un programme, jardin d'enfants ou école secondaire, dont ils ont besoin. Nous recommandons que la question d'accords conjoints ne soit pas envisagée lorsque ces accords doivent être conditionnés par des contingentements, signe que les enfants indiens ne sont pas acceptés facilement à l'école.

Il convient ici de faire état des différents aspects de la question religieuse. Dans certains endroits, des enfants doivent passer devant des écoles publiques pour se rendre à des écoles privées. Dans bien des cas, les parents consentiraient à voir leur enfants fréquenter l'école publique locale; parfois même ils le préféreraient. On offre rarement aux parents d'enfants catholiques romains la possibilité d'envoyer leurs enfants dans une école publique locale. Les parents présument qu'un tel accommodement n'est pas possible. A leur intention, il y aurait lieu de clarifier la question et de contester certains cas où il y a dédoublement d'installations, pour des motifs de confession religieuse. Tel est le cas d'une réserve qui compte deux écoles à classes multiples installées dans une seule pièce, toutes deux financées par le gouvernement fédéral, et qui offrent à des enfants particulièrement dépourvus un régime d'instruction d'une valeur pour le moins douteuse. Un instituteur qui enseigne dans quatre divisions à la fois, ne peut donner le même rendement que s'il ne dirige que deux classes. Si deux instituteurs suffisent, il serait alors logique de répartir les écoliers en deux groupes de deux classes chacun. Nous admettons que ces situations ne sont pas fréquentes, qu'elles sont de moins en moins fréquentes, mais le fait même qu'elles existent est inadmissible. Parents, écoliers et membres du personnel scolaire ont fait des observations sur les problèmes que rencontraient les élèves des classes avancées du primaire et du cours secondaire, lors de leur transfert des écoles de la réserve et des pensionnats aux écoles publiques. On a surtout fait remarquer que le transfert se compliquait du fait de la différence de niveau intellectuel entre les élèves d'une classe donnée et les jeunes Blancs de la même classe. Nous ne prétendons pas que les écoles de réserve ou les pensionnats ne sont pas à la hauteur. Dans plusieurs cas, on y donne un enseignement supérieur à celui des écoles locales. Toutefois, nous recommandons aux fonctionnaires de la D.A.I. de procéder à une évaluation constante des écoles de réserve et des pensionnats, en vue de s'assurer que les jeunes Indiens qui en sortent puissent se classer au même niveau dans le système d'écoles publiques.

Nous favorisons de tout coeur la disparition graduelle des écoles de la D.A.I., en vue de loger tous les enfants Indiens dans les écoles publiques. Le processus en cours devrait assurer que l'intégration se produit au moment le plus favorable pour les élèves intéressés, et d'une façon qui garantit l'excellence de leur éducation et leur développement personnel. Dans les régions où les installations et le personnel enseignant du gouvernement fédéral sont nettement supérieurs à ceux des écoles publiques locales, on devrait prendre des dispositions pour que tous les enfants fréquentent l'école de la réserve, au lieu de transférer les jeunes Indiens dans des écoles de second ordre. Ces dispositions pourraient être prises en vertu d'une entente prévoyant les modalités et les dates suivant lesquelles la province et la commission scolaire locale prendraient charge de l'école fédérale et de son personnel. Le régime constitutionnel des réserves ne permet évidemment pas de telles dispositions, mais lorsque les bandes prennent d'autres arrangements avec l'administration provinciale, ces dispositions pourraient se défendre.

Nous souscrivons au principe de l'intégration dès l'entrée à l'école. Le transfert d'une école à une autre, dans les classes avancées, cause de nombreux problèmes. Il semble donc que, du point de vue éducatif, il est plus avantageux de refuser l'admission dans les classes inférieures que de fermer les écoles de la D.A.I. à partir des classes supérieures. Nous recommandons que les enfants présentement admis dans les écoles secondaires de la D.A.I. soient autorisés à poursuivre leurs études dans ces écoles, s'ils le désirent; toutefois, on ne devrait plus y admettre d'élèves à partir de la 9e année. De même, les élèves du secondaire qui logent dans des maisons de pension ou des foyers, devraient pouvoir terminer leurs études selon les mêmes arrangements, sans devoir laisser la place en raison des inscriptions plus nombreuses d'élèves des classes élémentaires supérieures. II ne faudrait pas que les réserves soient divisées par un programme d'instruction. On peut, pendant un certain temps, procéder à un choix expérimental des élèves admis dans les écoles publiques, mais il y a toujours le risque de mal classer les enfants, erreur très néfaste. Les enfants qu'on retient dans la réserve parce qu'on ne les croit pas aptes à réussir dans les écoles publiques, ne reçoivent aucune instruction spéciale ou corrective. Advenant qu'ils entrent plus tard à l'école publique, ils auront tellement de retard que le transfert posera toute une série de problèmes et les amènera en fin de compte à quitter l'école.

8. Programmes d'études

Nous n'avons fait aucune étude méthodique des programmes d'études provinciaux suivis dans les écoles publiques, mais nous voulons relever certains points importants. La plupart de ces programmes ne comportent aucune matière se rapportant aux cultures indiennes. Nous recommandons fortement que les programmes provinciaux prévoient l'élargissement de certains sujets, de manière à y inclure une matière se rapportant à chacun des groupes ethniques de l'école. Ainsi, on pourrait facilement offrir des études sociologiques, des cours d'art et de littérature, et le reste. Du point de vue pédagogique, ces matières d'intérêt local auraient l'avantage certain de capter l'attention et d'intéresser les élèves des différents groupes ethniques. Elles auraient aussi pour effet de leur apporter un certain sentiment de valeur et de fierté personnelles.

Certaines tentatives ont été faites, dans quelques provinces, en vue d'ajouter aux études sociologiques des textes sur les Indiens du Canada. II s'agissait habituellement d'une matière mal présentée et fortement stéréotypé. l'indien y était toujours représenté sous les traits d'un Indien des Plaines, coiffé du sempiternel bandeau de plumes. La plus grande partie de cette matière ne dit guère plus à l'écolier indien qu'à l'enfant non-indien. Dans une province, les textes contenaient des récits faux et partiaux de combats entre Blancs et Indiens. Il faudrait que ces textes disparaissent des livres de classe.

9. Recherche et méthodologie expérimentales

Dans tout régime scolaire, il serait profitable de faire plus grand usage de l'enseignement programmé. Dans les écoles où les enfants indiens sont nombreux, ces installations pourraient donner des résultats intéressants si on les utilisait pour les travaux correctifs ou pour l'enseignement des langues et des mathématiques. Nous recommandons aux spécialistes de la Direction des affaires indiennes de voir si ces dispositifs ne seraient pas un moyen rapide et efficace de faire progresser les enfants. Nous recommandons aussi qu'on maintienne un programme de recherches, en vue d'étudier d'une façon continue les problèmes propres à l'instruction des enfants indiens dans les écoles publiques, et qu'on mette en application certains programmes expérimentaux en vue de trouver des solutions à ces problèmes. Certains programmes, tel le cours d'anglais mis au point par Rose Calliou, ont une grande valeur et devraient être adoptés dans les écoles publiques. II n'est pas toujours nécessaire que ce soit la DAI qui se charge effectivement des travaux de recherche ou des programmes d'enseignement expérimental, puisque maintes écoles ont déjà adopté de tels programmes. Néanmoins, ces écoles ne disposent pas toujours des fonds voulues. La Direction des affaires indiennes pourrait contribuer à ces programmes ou accorder des subventions spéciales, qui faciliteraient la mise en oeuvre de ces programmes.

10. Programmes de tests

La Direction et les divers systèmes scolaires publics ont un programme de tests, qui consiste habituellement en des épreuves en groupe, avec papier et crayon. Certaines écoles commencent à se départir de ce genre de programmes. On sait pertinemment que ces tests ne s'appliquent pas indifféremment aux enfants de tous les milieux. On a d'ailleurs indiqué qu'ils causaient un tort considérable à l'enfant et que leur valeur positive était négligeable. Nous recommandons que la Direction supprime ces tests dans ses écoles et que les écoles publiques fassent de même. La Direction des affaires indiennes se trouve dans une situation idéale pour faire comprendre aux autorités scolaires que ces tests ne sont d'aucune valeur et ne signifient rien dans le cas des écoliers indiens.

11. Autres commentaires

Nous savons les sommes énormes de temps, d'efforts et d'argent qui ont été consacrées, par le passé, aux programmes

Nous nous rendons compte que nos conclusions n'apporteront aucun renseignement que certains fonctionnaires de la DAI ne connaissent déjà. Dans nos travaux d'analyse, nous avons cependant essayé de démontrer la corrélation de plusieurs éléments de l'instruction de l'enfant indien et de mettre en relief les facteurs les plus importants. Il ne faut jamais perdre de vue la distinction artificielle qui existe entre les problèmes de l'instruction et le mode de vie en général, car le comportement de l'enfant, à l'école, est déterminé par de nombreux facteurs liés au milieu. La plupart des recommandations que nous faisons ici ont déjà été soumises par d'autres personnes, en d'autres occasions. Pour la plupart, elles seront acceptées en principe, comme ce fut déjà le cas. Le défi consiste donc à transformer, à brève échéance, cette "acceptation de principe" en programmes d'action, On a convenu, par exemple, que les jardins d'enfants étaient nécessaires et on en a établi plusieurs dans les réserves. Mais, de toute urgence, il en faut beaucoup d'autres, pour lesquels on a besoin d'enseignants spécialisés et de programmes spéciaux. Ce n'est pas l'acceptation de principe qui va aider les enfants indiens admis en ire année, dès cette année ou l'an prochain. Il est à souhaiter que les enfants de ces enfants seront mieux partagés quand ils arriveront à l'âge scolaire. Après tout, dans bien des cas, il ne s'agit que d'une quinzaine d'années.

Nous savons les sommes énormes de temps, d*efforts et d*argent qui ont été consacrées, par le passé, aux programmes d'instruction de la Direction des affaires indiennes. Certaines recommandations formulées ici laissent supposer de nouveaux déboursés, mais il s'agit plutôt, en général, d'une redistribution des fonds et des programmes existants, en vue d'obtenir de meilleurs résultats. A mesure que les écoles de la Direction des affaires indiennes fermeront leurs portes et que l'effectif enseignant diminuera, les fonds ainsi libérés pourraient être affectés à certaines de ces installations spéciales d'instruction et aux travaux de recherche.

APPENDICE

La liste de contrôle qui suit a servi de guide lors des entrevues précédant la rédaction du chapitre IV.

  1. Indiens adultes:
    • Sentiments quant à la fréquentation de l'école publique par les enfants; avantages et inconvénients.
    • Aspirations des enfants quant à leur degré d'instruction, leur niveau d'emploi, et le reste.
    • Appréciation de l'avenir immédiat de la jeunesse indienne.
    • Possibilités d'emploi sur place pour les Indiens.
    • Sentiments sur la discrimination: en général, à l'école, au travail.
    • Conception des problèmes particuliers de la bande; solutions.
    • Attitudes envers ceux qui laissent l'école; degré d'instruction désiré pour les enfants.
    • Idées pour améliorer, au besoin, la situation scolaire.
    • Degré et genre de rapports avec le personnel scolaire; nature des rapports.
    • Genre et nature des rapports avec les Blancs en général.
    • Attitudes relatives aux problèmes de l'alcoolisme, de l'école buissonnière, et aux autres problèmes mentionnés: solutions.
    • Genre de programmes envisagés comme solutions aux différents problèmes.
  2. Écoliers indiens:
    • Classe poursuivie et idée du classement scolaire personnel.
    • Sujets de contentement ou de mécontentement à l'école.
    • Particularités aimées et détestées chez les instituteurs.
    • Intentions quant à la poursuite des études.
    • Motifs de ces intentions.
    • Projets de carrière, s'il en est.
    • Attitude envers les élèves qui abandonnent.
    • Motifs sur lesquels se fondent les intentions quant à la pour suite des études.
    • Espoirs et projets d'avenir.
    • Intention de quitter la réserve ou d'y rester.
    • Degré d'intérêt personnel dans les affaires de la réserve.
    • Constatations quant aux principaux problèmes de la jeunesse, dans la région.
    • Solutions proposées en vue de résoudre ces problèmes.
    • Utilisation des loisirs; participation à l'activité scolaire.
    • Importance des échanges sociaux avec les Blancs, en dehors des heures de classe.
    • Conception des attitudes envers les Indiens, à l'école publique.
    • Choix personnel de l'école que l'enfant fréquenterait, s'il en avait la liberté: école publique, pensionnat, externat indien.
    • Motifs de ce choix.
    • Difficultés éprouvées à l'école, en raison de sa qualité d'indien.
    • Conception de l'attitude des parents au sujet de l'opportunité de terminer les études; aspirations des parents pour leurs enfants.
    • Identification des genres d'occupations exercées par les Indiens
  3. Personnel scolaire:
    • Différences importantes et reconnaissables entre écoliers indiens et non-indiens.
    • Reconnaissance des principaux problèmes scolaires des enfants.
    • Dispositions spéciales prises à l'égard des Indiens, à l'école.
    • Attitudes à l'égard de la présence des Indiens à l'école.
    • Opinion sur l'instruction des Indiens dans les écoles publiques ou dans celles de la réserve.
    • Circonstances qui ont entouré l'intégration; modalités particulières; suggestions aux administrateurs qui seraient sur le point d'admettre des enfants indiens pour la première fois.
    • Appréciation des rapports entre l'école et la D.A.I.; entre l'école et les parents indiens.
    • Degré de participation des parents indiens aux questions scolaires; motifs de leur non-participation.
    • Degré de participation des enfants indiens à l'activité scolaire.
    • Identification des principaux problèmes scolaires, et dans quelle mesure ils s'appliquent aux Indiens.
    • Ligne de conduite générale pour ce qui est de l'avancement, des échecs répétés, des absences répétées.
    • Possibilité de services d'orientation pour tous les écoliers; dans quelle mesure les Indiens se prévalent de ces services.
    • Degré général d'instruction des parents dans la communauté non-indienne.
    • Taux général d'abandon.
    • Genre d'occupation des diplômés et de ceux qui ont abandonné l'école, dans la localité.
    • Attitudes de la communauté en général envers les groupes minoritaires; importance des échanges sociaux—discrimination.
    • Solutions suggérées aux problèmes mentionnés précédemment.
  4. Personnel des
    1. Santé publique services:
      • Opinion sur l'état de santé général des résidants de la réserve;
      • Problèmes relatifs à la santé de la communauté en général.
      • Importance et genre de programme en vigueur pour l'enseignement de l'hygiène; succès ou échec; donner les raisons.
      • Principal problème de santé de l'Indien.
      • Suggestions pour améliorer la santé publique de la communauté en général et celle des Indiens.
    2. Agent de probation ou GRC
      • Taux général de la délinquance pour la région.
      • Genres de délits commis par les jeunes.
      • Différences significatives, entre Blancs et Indiens, pour ce qui est du taux et du genre d'infractions commises.
      • Difficultés particulières éprouvées auprès des Indiens délinquants.
      • Différences d'attitude entre Indiens et Blancs au sujet de l'emprisonnement.
      • Genre et importance des mesures préventives à appliquer; orientation, travail complémentaire.
      • Définition des grands problèmes sociaux de la région; principaux problèmes des Indiens.
      • Solutions proposées à ces problèmes.
    3. Travailleurs sociaux
      • Identification des principaux problèmes sociaux des Indiens et des Blancs.
      • Appréciation et description des familles indiennes assistées; comparaison avec les familles de Blancs.
      • Différence d'attitude entre Blancs et Indiens au sujet de l'assistance sociale.
      • Suggestions pour résoudre les problèmes énumérés.
    4. Surintendant des affaires indiennes
      • Comparaison de la bande X avec d'autres bandes de l'Agence; facteurs positifs et négatifs particuliers à la bande X.
      • Principaux problèmes de la bande X.
      • Programmes et projets à long terme proposés en vue de l'évolution de la bande X.
      • Attitude à l'égard de la fréquentation des écoles publiques par les enfants indiens; appréciation de ce que pourrait être le mode d'éducation idéal pour les Indiens.
      • Mode de vulgarisation de l'information relative aux fonds disponibles, aux occasions d'emploi, à la formation professionnelle.
      • Conception et appréciation personnelles du leadership actuel et du leadership éventuel de la bande X.
      • Attitudes à l'égard de certains problèmes déterminés de la bande X; suggestions en vue de leur solution.

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