Réforme du système de protection de l’enfance des Premières Nations : Sommaire du processus de mobilisation
De Mme Cynthia Wesley-Esquimaux, représentante spéciale de la ministre
Présenté en septembre 2017
Les opinions et les points de vue énoncés dans le présent rapport indépendant sont celles de Mme Cynthia Wesley-Esquimaux, la représentante spéciale de la ministre (RSM) en vue de la réforme du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Cela ne représente pas les opinions ou les points de vue du gouvernement du Canada.
Table des matières
- Introduction
- Contexte entourant le processus de mobilisation
- Principaux enjeux soulevés durant le processus de mobilisation
- Principaux enjeux soulevés par les jeunes
- Principaux éléments visant à orienter la réforme
- Résultats : Leçons apprises
- Conclusion et prochaines étapes
- Sommaires des réunions régionales de la RSM
Introduction
C'est à l'été de 2016 que la ministre des Affaires autochtones et du Nord m'a nommée comme représentante spéciale afin de mener des démarches auprès des dirigeants, des collectivités, des jeunes, des fournisseurs de services et d'autres organismes des Premières Nations ainsi que des provinces et du territoire du Yukon sur les moyens d'effectuer une réforme du Programme des services à l'enfance et à la famille des Premières Nations.
Ma nomination et le lancement d'un processus de mobilisation nationale à l'automne de 2016 s'inscrivent dans la foulée de l'engagement du gouvernement du Canada en faveur de la réconciliation ainsi que des appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation, de pair avec les travaux du gouvernement en vue de mettre en œuvre la décision rendue en janvier 2016 par le Tribunal canadien des droits de la personne.
À titre de représentante spéciale de la ministre (RSM), mon rôle était le suivant :
- recueillir les points de vue d'un large éventail de partenaires sur les meilleurs moyens de répondre aux besoins des enfants et des familles dans les réserves
- prendre connaissance d'idées sur des pratiques judicieuses ou prometteuses en matière de protection de l'enfance et de prévention, de même que sur des solutions concrètes à court et à long terme
- apprendre quels sont les défis et les possibilités dans chaque région et territoire;
- assister et contribuer à d'autres réunions clés avec des intervenants, le cas échéant, à l'échelle régionale et nationale afin de maintenir l'impulsion donnée et d'obtenir des résultats concrets
- rendre compte des réunions tenues avec les partenaires, ainsi qu'avec d'autres parties intéressées, en faisant état des principales conclusions qui sont ressorties de ces réunions en ce qui concerne la réforme du Programme des services à l'enfance et à la famille des Premières Nations
- communiquer aux partenaires et aux intervenants les résultats de la mobilisation et des progrès réalisés quant à l'élaboration d'options afin de permettre de confirmer ce qui a été entendu
- orienter l'élaboration d'un rapport définitif soulignant les options réalisables en ce qui a trait à la réforme du Programme des services à l'enfance et la famille des Premières Nations, et y prendre part
La ministre des Affaires autochtones et du Nord a estimé qu'il était essentiel de mobiliser les jeunes, les collectivités et les dirigeants des Premières Nations afin que l'approche de réforme adoptée par le Canada soit mise en œuvre dans le cadre d'un partenariat complet avec les peuples autochtones et concorde avec leur vision de l'enfance, de la famille et du bien-être communautaire.
J'ai accumulé 37 années d'expérience des négociations sur les revendications territoriales globales et l'autonomie gouvernementale dans le cadre desquelles j'agissais à titre de vice-chef et de négociatrice adjointe; l'expérience que j'ai acquise englobe aussi le développement personnel et communautaire, la formation axée sur la sensibilisation aux réalités culturelles, la guérison et le bien-être au niveau à la fois individuel et communautaire, les traumatismes historiques et contemporains subis par les enfants et les familles, ainsi que la médiation. J'ai aussi dirigé des initiatives de mobilisation communautaire portant sur des thèmes variés, et j'ai travaillé directement avec des chefs et des négociateurs principaux, des avocats et des juges, des administrateurs et des gestionnaires ainsi que des présidents d'établissements d'enseignement.
Je connais le contexte historique et les situations complexes survenues au cours des derniers siècles, de même que les effets préjudiciables que cela a engendrés sur les familles et les collectivités autochtones dans l'ensemble du Canada.
Tout au long de mon mandat, j'ai gardé à l'esprit toute l'importance de ce processus de mobilisation, et j'ai mené des travaux fructueux avec les Premières Nations afin de comprendre leurs enjeux de longue date à l'égard du système actuel, tout en m'efforçant de comprendre leurs réflexions sur de futures mesures de réforme. Les peuples autochtones du Canada désirent vivement avoir les moyens de s'occuper comme il se doit de leurs enfants et de leurs familles, comme ils l'ont fait pendant des milliers d'années sur notre continent, bien avant que des mesures de protection de l'enfance soient instaurées à l'égard de leurs nations.
Le processus de mobilisation a donné lieu à un dialogue dense avec les dirigeants et les aînés autochtones, les ministères provinciaux et territoriaux compétents, les représentants et les défenseurs des droits des enfants, les jeunes et les familles ainsi que les organismes de protection de l'enfance. Durant ce dialogue, on m'a parlé de pratiques judicieuses ainsi que de solutions à court et à long terme en vue de procéder à la réforme du système. Les rencontres avec ces partenaires étaient bien sûr nécessaires en soi, mais elles ont en outre permis d'en apprendre beaucoup sur les circonstances entourant la situation des collectivités et les défis régionaux et autres, de concert avec des idées innovatrices sur les moyens de travailler en partenariat afin de mener la réforme du Programme des services à l'enfance et à la famille des Premières Nations.Ainsi que l’a conclu un aîné, « nous devons travailler ensemble – nous devons tourner la page, mais c’est une bien lourde tâche, aussi devons nous tous unir nos forces pour y arriver. » [Traduction]
Contexte entourant le processus de mobilisation
J'ai eu comme tâche de tenir des rencontres avec des jeunes, des représentants communautaires, des dirigeants ainsi que des organismes et d'autres fournisseurs de services. J'ai offert un soutien et fourni des renseignements de base en prévision des rencontres et j'ai écouté les participants exposer leurs points de vue sur les choses qui doivent changer pour procéder à la réforme du Programme d'aide à l'enfance et à la famille des Premières Nations au Canada.
J'ai parcouru le pays. Voici une liste des visites régionales qui étaient au programme :
- Du 21 au 30 novembre 2016 – Colombie-Britannique
- Les 16 et 20 décembre 2016 – Sud de l'Ontario
- Du 15 au 20 janvier 2017 – Alberta
- Du 23 au 26 janvier 2017 – Sud de l'Ontario
- Du 6 au 11 février 2017 – Nouveau-Brunswick,Nouvelle-Écosse et Île-du-Prince-Édouard
- Du 12 au 14 février 2017 – Toronto (séance de planification et de mobilisation des jeunes)
- Du 19 au 24 février 2017 – Québec
- Du 26 février au 3 mars 2017 – Saskatchewan
- Du 4 au 10 mars 2017 – Yukon
- Du 13 au 17 mars 2017 – Manitoba
- Du 19 au 23 mars 2017 – Terre-Neuve-et-Labrador
Pendant 54 jours, j'ai sillonné le pays pour rencontrer des gouvernements des Premières Nations, des cadres supérieurs et des représentants de chaque gouvernement provincial et territorial, des membres, des gouvernements innus, des représentants et des défenseurs des droits des enfants, des aînés, des chefs, des organismes délégués, des administrateurs d'organismes, des jeunes, des parents, des familles touchées et des membres de collectivités.
Lors de chaque séance, j'ai expliqué les raisons pour lesquelles la réforme du système de protection de l'enfance des Premières Nations présente une si grande importance pour la ministre des Affaires autochtones et du Nord dans l'optique de la prévention et de la guérison communautaire, de l'habilitation des collectivités, du ressourcement culturel et spirituel ainsi que des échanges de nation à nation. J'ai aussi indiqué que ce processus de mobilisation était l'occasion d'énoncer plus clairement la vision et les objectifs des Premières Nations concernant la manière d'appuyer le bien-être des enfants et des familles.
J'ai pris soin de mentionner à tous les participants que le bien-fondé de la position de la ministre sur la nécessité de changer le système de protection de l'enfance est directement lié au bien-fondé de leurs propres arguments en faveur de la réforme.
Un des principaux messages qui est ressorti des séances de mobilisation est que la prise de décisions devrait être confiée aux gouvernements et aux chefs des Premières Nations, et que la réforme devait être axée sur la guérison et sur la prévention. Ils ont dit également qu'il fallait de toute évidence affecter des ressources financières et humaines en nombre suffisant ainsi que renforcer les capacités professionnelles au niveau des collectivités mêmes.
Au chapitre des services de protection, les participants ont confirmé que le renouvellement du processus trilatéral de concertation – réunissant le gouvernement du Canada, les provinces ainsi que le Yukon, et les Premières Nations – permet de réunir les parties qui sont le plus à même de discuter des questions liées au financement requis et du rôle des organismes délégués de services à l'enfance et à la famille.
« Nous sommes les gardiens de la connaissance – nous formons un groupe indépendant d'aînés pouvant orienter et appuyer la guérison. Nous devons soutenir, nourrir et guérir l'esprit – il nous faut remplir les rôles et assumer les responsabilités qui nous reviennent de droit – c'est à notre propre peuple qu'il appartient d'assurer la formation nécessaire et d'apporter la guérison. »[Traduction]
Principaux enjeux soulevés durant le processus de mobilisation
Voici certains des principaux thèmes et enjeux abordés :
- Compétence, autorité et normes des Premières Nations
- Absence de compétence et d'autorité en ce qui touche la prise de décisions et les services communautaires concernant les enfants, les jeunes et les familles
- Application incongrue de normes et de valeurs occidentales dans des collectivités autochtones
- Ingérence indue de la part des ministères, des travailleurs sociaux et des représentants d'organismes de protection de l'enfance
- Capacité organisationnelle (ressources humaines et financières)
- Manque de flexibilité du financement, et un soutien financier inadéquat pour les enfants et les familles
- Nécessité de disposer de ressources et d'une formation adéquates pour renforcer les capacités à tous les niveaux
- Incapacité à trouver, à recruter et à former des travailleurs sociaux possédant des connaissances au sujet de l'histoire, de la culture et des valeurs autochtones
- Nombre insuffisant de travailleurs sociaux autochtones ou d'agents de soutien en matière de justice sociale ayant suivi une formation adéquate
- Incapacité d'offrir une rémunération suffisante pour permettre de recruter des travailleurs sociaux autochtones et de les maintenir en poste plus longtemps dans des collectivités éloignées
- Manque de ressources tant humaines que financières pour appuyer les enfants et les jeunes pris en charge ainsi que ceux qui arrivent à l'âge où ils cesseront d'être pris en charge
- Manque d'aide pour les familles qui ont besoin de soins de répit et de services de soutien au bien-être
- Grands enjeux sociaux connexes
- Degré élevé d'insécurité alimentaire – cette situation a des répercussions sur la stabilité familiale et la réunification
- Infrastructures et des logements inadéquats
- Conséquences de traumatismes intergénérationnels et contemporains sur les familles
- Mesures de soutien systémiques
- Soutien à la transition inadéquat pour les jeunes pris en charge et ceux qui arrivent à l'âge où ils cessent d'être pris en charge
- Absence de formation appropriée pour les familles d'accueil et les familles adoptives, et plus particulièrement les aidants non autochtones, qui doivent posséder une meilleure connaissance de la culture autochtone
- Manque de confiance entre les sociétés d'aide à l'enfance, les organismes délégués et les familles autochtones
- Compréhension lacunaire des besoins des enfants handicapés, et un accès insuffisant aux services de soins dont ces enfants ont besoin
- Manque de matériel éducatif pour les enfants autochtones, en particulier ceux qui vivent dans des collectivités éloignées
- Difficulté de trouver un placement permanent et sûr pour les enfants et les jeunes, peu importe leur âge
- Manque de communication avec les parents de la part des travailleurs sociaux, des centres de détention et des établissements où les enfants suivent une pharmacothérapie contre le gré des parents
Principaux enjeux soulevés par les jeunes
Au cours du processus de mobilisation, j’ai rencontré des représentants de trois organismes pour la jeunesse, de même que de nombreux jeunes lors de visites communautaires et de séances de discussion.
Considérant la nécessité de faire en sorte que le système soit résolument axé sur les enfants à l’avenir, il est important d’exposer certains des principaux enjeux soulevés par de jeunes Autochtones pris en charge ou qui sont devenus trop âgés pour être pris en charge, ce qui inclut notamment les observations suivantes :
- Il n'y a pas assez de ressources destinées directement aux jeunes pour combler leurs besoins personnels
- Le soutien à la transition est limité pendant la période de prise en charge et au moment où prend fin la prise en charge
- L'accès à la culture, à l'histoire, aux récits, aux pratiques spirituelles et à la langue autochtones est limité ou inexistant
- Les foyers de groupe n'offrent pas un environnement favorable dans la plupart des cas, et ils doivent faire l'objet d'une réforme
- Les enfants sont envoyés dans des foyers de groupe à un trop jeune âge – ils n'ont parfois que trois ans
- Les jeunes veulent que leurs parents obtiennent de l'aide afin de pouvoir demeurer dans leur foyer et leur collectivité, car sinon, à leur retour, ils ont un sentiment de rupture et se sentent perdus
- Ils continuent de se sentir éloignés de leur famille et de leur collectivité à l'âge adulte, situation qui peut mener à la toxicomanie et à des problèmes de santé mentale
- Ils veulent parler des abus – les nombreuses formes qu'ils revêtent, qu'il s'agisse d'abus physiques, émotionnels, sexuels ou spirituels)
- Les parents de famille d'accueil et les parents adoptifs ont besoin de suivre une formation sur la manière de prendre soin des enfants, en particulier les enfants autochtones
- De nombreux enfants ont dit qu'ils ne sont pas bien traités et ne se sentent pas acceptés ou en sécurité pendant la période où ils sont pris en charge. Ils ont déclaré qu'ils n'ont pas le sentiment d'être plus en sécurité lorsqu'ils sont pris en charge que dans leur propre famille, et ils aimeraient mieux que leur famille reçoive de l'aide que d'être pris en charge par des étrangers et placés dans d'autres collectivités
Les enfants et les jeunes ont aussi des inquiétudes et ne comprennent pas bien pourquoi ils ont été retirés du foyer de leurs parents et de leurs grands-parents. Beaucoup souhaitent qu'il y ait une meilleure communication de la part des dirigeants, des parents, des travailleurs sociaux et des organismes, en particulier sur les points suivants :
- Ils veulent bien comprendre les raisons pour lesquelles ils sont retirés de leur foyer – la plupart d'entre eux estimaient que les raisons qui leur étaient fournies ou dont ils avaient eu connaissance (par exemple, toxicomanie des parents, logement inadéquat, insécurité alimentaire, négligence selon le jugement des travailleurs sociaux) ne justifiaient pas ce retrait
- Ils étaient d'avis qu'il fallait aider et éduquer les parents avant de retirer les enfants de leur foyer
- Ils se demandaient pourquoi ils ne pouvaient rester avec leurs frères et leurs sœurs – bon nombre se sentaient perdus sans eux, et plusieurs ont perdu le contact après avoir été pris en charge et avoir déménagé à plusieurs reprises
- Ils se demandaient pourquoi ils avaient dû déménager si fréquemment – ces déplacements sont source de beaucoup de stress et de colère pour les enfants et les jeunes qui ne reçoivent aucune explication à ce sujet
- Il doit y avoir un dialogue de fond avec les jeunes sur le placement permanent – ces jeunes veulent vivre dans un foyer stable et sûr, peu importe l'endroit où ils résident
- Ils aimeraient avoir des renseignements sur l'endroit où ils vont aller et sur les personnes avec qui ils vont vivre – ils souhaitent que ce droit soit respecté
- La plupart estimaient qu'on ne prêtait pas foi en leurs propos dans des circonstances où ils avaient des inquiétudes légitimes, qu'il s'agisse de violence sexuelle, physique ou mentale
- Les jeunes qui souhaitaient être pris en charge ou qui ne voulaient pas retourner chez eux n'avaient pas l'impression d'être appuyés ou qu'on les écoutait, et ils se sentaient impuissants dans le contexte de la transition
- Plusieurs remettaient en question la définition du concept de « sécurité » et observaient que rien ne garantissait qu'ils seraient plus en sécurité une fois pris en charge – ils se sentaient trahis par un système qui ne les écoutait pas ou qui ne se souciait pas de leur demander ce qu'ils voulaient ou ce qu'ils vivaient
Principaux éléments visant à orienter la réforme
Il a été déclaré à de nombreuses reprises que les quatre éléments suivants étaient essentiels pour étayer la réforme et assurer de façon durable le bien-être des enfants et des familles autochtones.
- Rétablir la compétence et l'autorité des collectivités des Premières Nations au Canada :
- Restaurer l'équilibre en faveur des collectivités des Premières Nations et enrichir les ententes d'autonomie gouvernementale existantes et futures
- Promouvoir et respecter le droit des peuples autochtones à prendre des décisions touchant le soin et le bien-être de leurs enfants, et rétablir la dignité des parents, des familles et des collectivités autochtones
- Appuyer l'identité nationale autochtone et le renforcement des capacités à tous les niveaux
- Assurer la protection et le renouvellement de la langue et de la culture
- Adopter des modèles de financement hautement flexibles qui offrent les possibilités suivantes :
- Financement global – habiliter les collectivités et les nations à prendre leurs propres décisions sur l'ensemble des questions d'ordre financier
- Instaurer un processus décisionnel souple en vue de déterminer la manière d'affecter les fonds à l'appui du bien-être des enfants et des familles, où la guérison et la prévention constituent des enjeux de première importance
- Envisager une approche de financement en deux volets, où des ressources sont affectées, d'une part, à des organisations pour que celles-ci poursuivent leurs activités de protection, et d'autre part directement aux collectivités pour les efforts de guérison et de prévention, les pourcentages respectifs étant convenus par les participants à des tables de concertation des dirigeants autochtones, des provinces et du Yukon ainsi que du gouvernement du Canada
« Nous allons rédiger une loi énonçant notre autorité à l’endroit de nos propres enfants. » [Traduction]
- Élaborer des normes, des politiques, des pratiques et des lois nationales qui reflètent véritablement les saines pratiques ainsi que les conditions de vie, la culture et les traditions des peuples autochtones dans l’ensemble du Canada, et qui tiennent pleinement compte des impératifs suivants :
- Prendre des mesures pour que les ministères, les organismes, les sociétés d'aide à l'enfance, les organismes autochtones délégués ainsi que les Premières Nations en viennent à avoir une meilleure compréhension et une plus grande acceptation mutuelle pour concourir au rétablissement de saines pratiques et traditions afin d'élever les enfants
- Étudier des lois nationales ou des principes qui rendent bien compte des besoins, des valeurs et des approches des peuples autochtones concernant le bien-être des enfants et des familles
- Éliminer les distinctions entre les membres vivant dans les réserves et ceux qui vivent hors réserve; ainsi que cela a été déclaré, « nos membres sont nos membres, peu importe l'endroit où ils vivent »
- Nommer un protecteur autochtone du bien-être des enfants et des familles au Canada ou au niveau provincial si cela est requis
- Créer un centre de collaboration national se consacrant aux droits et au bien-être des enfants et des jeunes autochtones
- Élaborer un programme d'enseignement qui repose sur les connaissances historiques et contemporaines du bien-être des enfants et des familles, notamment en ce qui touche les effets des traumatismes; cela doit inclure l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ainsi que les bébés et les enfants que l'on a continué d'enlever de leur foyer et de leur collectivité; il faut aussi souligner en parallèle l'importance des politiques et des pratiques en matière de justice sociales
« Nous devons envisager un cadre constitutionnel qui abordera la question de la compétence et fera en sorte que les fonds aillent aux Premières Nations et non à la province. » [Traduction]
- Renouveler les rapports entre les peuples autochtones du Canada, les ministères des provinces et du Yukon ainsi que le gouvernement du Canada :
- Établir des relations de travail plus solides et inclusives avec les provinces et territoires et les Premières Nations pour procéder à la réforme
- Veiller à ce que les provinces, le Yukon et le gouvernement du Canada comprennent et acceptent les valeurs et les normes autochtones ainsi que les aspirations entourant l'avenir des enfants, des familles et des collectivités autochtones
- Trouver des moyens de mettre en application des ententes d'autonomie gouvernementale où la protection de l'enfance figure à titre de compétence clé, et fournir un financement direct à cet égard – les enfants sont au cœur de toute collectivité, et la compétence et l'autorité en la matière constituent un facteur essentiel à la santé physique et mentale ainsi qu'au bien-être de chaque personne autochtone au Canada – le moment est maintenant venu de passer de la parole aux actes
- Accepter le fait qu'il existe des différences en ce qui a trait aux peuples autochtones, à leurs besoins et à leurs normes – les politiques et les pratiques varieront, ce qui ne fera que refléter la diversité de ces peuples
« La législation provinciale ne permet pas à nos familles d’être un refuge ou d’intervenir : les critères nous étouffent. Si seulement quelqu’un pouvait croire en nous; laissez-nous simplement nous en occuper! Personne ne nous fait confiance. Nous pouvons le faire – ce sont nos enfants, pas les vôtres. »
L’élaboration et la mise en œuvre de ces éléments et de ceux qui suivent doivent être résolument confiées aux gouvernements autochtones et à leurs membres afin de leur permettre de répondre directement aux besoins en matière de guérison de prévention, étant entendu qu’il n’existe pas de modèle universel lorsqu’il est question de restituer la compétence et l’autorité, en tout ou en partie, aux peuples autochtones en ce qui concerne le soin et le bien être des enfants et des familles.
Résultats – Leçons apprises
En plus de cerner les éléments devant concourir à la redéfinition du système de façon à accorder plus d’importance à la guérison, à la prévention et au bien être, j’ai appris certaines choses importantes au fil du processus de mobilisation. En voici une synthèse :
- Même si on leur a déjà demandé de le faire à plusieurs reprises par le passé, les mères, les pères, les jeunes et les aînés autochtones sont encore prêts à répondre aux questions et à exprimer leurs points de vue. Chaque groupe a fait preuve d'honnêteté et de franchise au sujet du genre d'expérience vécue et de ses préoccupations, et les familles sont toutes disposées à faire ce qui est nécessaire afin de protéger et d'élever leurs enfants; l'ingérence doit cesser
- Cela étant dit, le fait de se contenter de fournir plus d'argent aux organismes délégués et aux ministères provinciaux et territoriaux responsables des services à l'enfance et à la famille ne pouvait à lui seul se substituer à la nécessité d'une réforme en profondeur; l'affectation des fonds doit également faire l'objet de discussions
- Il faut tenir davantage compte de la position des collectivités et de leurs besoins sous-jacents ainsi que de leurs attentes au chapitre des soins et de l'éducation de leurs enfants – nous devons tous nous faire mutuellement confiance pour faire ce qui doit être fait
- Il faut reconnaître et respecter la capacité des collectivités à exercer une surveillance et à prendre, chacune à sa manière, des mesures d'atténuation à l'égard des situations de toxicomanie, de négligence et de difficultés parentales – ces collectivités savent depuis longtemps ce qu'il convient de faire, et le fait de leur accorder des ressources adéquates à cette fin fera en sorte que le processus de guérison de nos nations se déroule bien et que nos enfants soient élevés dans des conditions sécuritaires
- Les collectivités des Premières Nations ont déjà acquis de l'expérience en matière de gouvernance et d'élaboration de lois dans des domaines variés, et notamment en matière de bien-être de l'enfance et de la famille. Il faut se fier à leur expertise et leur octroyer des fonds en conséquence
- Le problème lié à la « confiance » a une portée exceptionnellement large, et il faudra faire de grands efforts pour le surmonter – il y a eu bien des déclarations à propos de changements qui ne sont jamais survenus, et il incombe au présent gouvernement de veiller à ce que l'actuel processus de mobilisation ne se cantonne pas à quelques belles phrases, mais aboutisse à des mesures tangibles
- Il faut que le point de vue des Autochtones soit pris en compte dans les processus décisionnels. Aucune politique ou pratique intrusive ne sera acceptée, surtout dans le contexte de la réforme des services à l'enfance et à la famille
« Ce que j’ai entendu au sujet des plans culturels requis par les provinces – les familles d’accueil amènent des enfants à un festival autochtone et les provinces considèrent que la norme est respectée pour ce qui est de maintenir le lien de l’enfant à sa collectivité et sa culture. Par contre on ne laissera pas un enfant assister aux funérailles d’un grand parent et être en contact avec sa famille de façon régulière. Où est l’équité dans tout cela? » [Traduction]
Conclusion et prochaines étapes
Nous convenons qu'il faut cesser de retirer sans justification des enfants des Premières Nations à leur famille, et que le financement ainsi que le soutien des mesures de guérison et de prévention à l'intention des enfants, des familles et des collectivités doivent devenir un aspect prioritaire. Nous nous entendons aussi à dire qu'il y a des situations où le retrait des enfants de leur foyer est nécessaire, et que les Premières Nations respecteront les décisions des dirigeants autochtones et des organismes délégués, qui détermineront au mieux le moment de prendre une telle mesure. On m'a souvent déclaré que les normes et les valeurs des sociétés d'aide à l'enfance et des ministères des provinces et du Yukon ne sont pas les mêmes que celles des peuples des Premières Nations, et qu'un changement s'impose afin d'assurer la concordance avec les valeurs, les croyances, la langue, les pratiques spirituelles et la culture de ces derniers.
Le rétablissement de la compétence et de l'autorité, la rectification des modèles de financement provinciaux et nationaux ainsi que les nouvelles relations avec les ministères provinciaux et territoriaux permettront de réparer un système décrit comme étant détraqué. L'objectif consiste à mettre davantage l'accent sur la guérison et la prévention, à n'opter pour des mesures de protection et de retrait qu'en dernier recours, et à restaurer la santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle des enfants, des familles et des collectivités autochtones dans l'ensemble du Canada. Cela requiert de mettre en place un système national reposant sur des modèles autochtones qui reflètent réellement la capacité et la volonté des peuples autochtones à travailler en partenariat avec les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ainsi qu'à assurer la protection de leurs enfants.
Des mécanismes de contrôle seront requis pour s'assurer de rester sur la bonne voie, et il faudra peut-être prévoir un poste de défenseur des droits des enfants autochtones du Nord ou une fonction équivalente pour veiller à ce que les changements soient mis en œuvre. Il y a certains points non réglés au chapitre de la compétence des différents organismes (délégués ou autres) ainsi que des politiques et pratiques fédérales et provinciales.
Ce résumé de mes principales constatations a été soumis à la ministre fédérale des Affaires autochtones et du Nord. Des sommaires portant sur chacune de mes visites régionales sont également affichés en ligne. Différents participants ont demandé que leur soient communiquées mes notes et mes observations, et ils veulent que l'on continue le dialogue avant de procéder à la prise de décisions.
La ministre Bennett a donc pris l'engagement de poursuivre les travaux menés en partenariat afin d'élaborer une vision pour situer la réforme. Le processus de mobilisation mis de l'avant par AANC continue, en vue notamment de mieux connaître les points de vue des collectivités; cela inclut aussi des discussions tripartites et techniques dans chaque région, sans oublier les travaux du Comité consultatif national sur la réforme du Programme des services à l'enfance à la famille des Premières Nations.
La réussite du projet dépendra directement de l'acceptation et de la reconnaissance, par le gouvernement du Canada et ceux des provinces et du Yukon, du fait que les peuples autochtones ont le droit d'élever leurs enfants et d'en prendre soin. À l'instar de tous ceux qui l'ont précédé, le présent rapport demande instamment que l'on amorce le transfert de compétence et d'autorité aux gouvernements des Premières Nations, que l'on révise les ententes de financement afin de prendre en compte les besoins et les aspirations des peuples autochtones, et que l'on mette en application des normes, des politiques et des pratiques qui reflètent et entérinent l'histoire autochtone ainsi que le savoir traditionnel, la compétence et l'expérience des parents, des aînés et des dirigeants autochtones. Cette réforme prendra un certain temps et se déroulera par étapes.
« C’est le moment d’aller de l’avant – nous devons nous unir et travailler à la conciliation, que l’on pense aux titres et aux droits issus des traités, de même qu’à la santé et à la sécurité de nos enfants, de nos femmes. Nous devons travailler ensemble afin de hausser la qualité de vie de nos familles, et nous devons collaborer avec l’État, mais en suivant la voie tracée par nos ancêtres et en respectant nos valeurs et notre culture. » [Traduction]
En terminant, les conversations que j'ai tenues dans l'ensemble du pays ont été extraordinairement fructueuses et exaltantes. Je ne saurais dire à quel point j'ai apprécié cette occasion de discuter avec des participants variés, qui ont fait part de leurs opinions et de leurs suggestions, malgré le fait qu'on leur avait déjà demandé de le faire à de multiples reprises par le passé. Aller aux quatre coins du pays en compagnie d'une équipe de représentants fédéraux dévoués, être témoin de la douleur des parents et des grands-parents, voir les larmes et la frustration des enfants et des jeunes, et réaliser tout le défi associé à la réforme d'un système aussi vaste que celui de la protection de l'enfance, tout cela a constitué à la fois une grande leçon d'humilité et une expérience profondément inspirante.
Il y aurait encore bien des choses à dire, mais je conclurai mon rapport ici, par souci de concision et pour que la ministre saisisse bien à quel point les quatre éléments devant constituer l'assise de la réforme sont de première importante en vue de poursuivre le dialogue.